L’Église est bien vite dans le collimateur
Interview de Monseigneur Stanislas Lalanne, évêque de Coutances et Avranches
Les propos du cardinal Tarcisio Bertone évoquant "un lien entre la pédophilie et l'homosexualité" ont suscité de nombreuses réactions indignées, jusqu'au ministère français des Affaires étrangères qui a dénoncé un "amalgame inacceptable". Qu'a voulu dire le cardinal Tarcisio Bertone ? S'agit-il d'une bourde ?
- Je n'ai pas de compétence pour dire s'il y a un lien ou pas. Homosexualité et pédophilie ne relèvent pas du même ordre. Mais je ne connais pas de statistique sur ce sujet.
Et entre la pédophilie et le célibat des prêtres, faites-vous un lien ?
- Le constat est très clair : il n'y a pas plus de cas de pédophilie chez les célibataires que chez
les hommes mariés, dans la mesure où plus de 9 abus sexuels sur 10 ont lieu au sein des familles. Le célibat ne diminue ni ne renforce les pulsions d'une structure psychologique profonde. Il y
autant de personnalités perverses et pédophiles chez les personnes mariées que chez les célibataires.
En revanche, je crois qu'on attend à juste de titre du prêtre, en raison de son ministère, une attitude irréprochable. Les hommes qui répondent à l'appel de Dieu choisissent
librement de vivre dans la chasteté. Cela suppose une bonne connaissance de soi-même, une maturité affective, une capacité à nouer des relations saines et enfin, la pleine
conscience de ce qu'entraine le célibat. Car vivre en célibataire, c'est faire le deuil à fonder une famille. Le célibat, comme d'ailleurs la fidélité dans le mariage, signifient qu'on se refuse
d'autres possibles. Je peux affirmer qu'aujourd'hui, dans les séminaires, nous sommes extrêmement attentifs à ces points. Ensuite, il faut aider les prêtres à faire face à une certaine solitude
dans le célibat, en restant attentif à leur équilibre psychologique et affectif.
Le Vatican a-t-il trop tardé à réagir face au scandale des crimes pédophiles étouffés par la hiérarchie de l'Église ?
- Je peux parler de l'Église de France : j'étais porte-parole de l'Assemblée des évêques quand elle a
abordé cette question de front, en novembre 2000, après un long travail avec des juristes, des moralistes, des médecins, des psychiatres... Cela a donné lieu à une déclaration, je crois
extrêmement claire, dans laquelle les évêques disent que l'Eglise condamne absolument les actes de pédophilie. Ils soulignent qu'un prêtre agresseur commet une double trahison :
envers l'enfant à qui l'on impose ses pulsions, et envers l'Evangile. Les évêques ont également dit très clairement qu'un prêtre qui se rend coupable d'acte pédophile doit en répondre devant la
justice. Aujourd'hui, c'est tolérance zéro.
Dans ce but, les évêques de France ont élaboré un livret pour tous les éducateurs, qui s'intitule "Lutter contre la pédophilie". Ce livret touche à la manière de bien traiter les
enfants et les jeunes. Il explique clairement ce qu'est la structure pédophile et donne des signaux d'alerte pour prévenir les dangers. Cette brochure figure sur le site de la Conférence des évêques.
Cela signifie donc qu'aujourd'hui, on ne peut plus imaginer que la hiérarchie couvre un acte pédophile ?
- Ah non ! Quand on est au courant d'une situation, on dit que ce n'est pas possible. Ceci étant clarifié, les crimes commis par quelques-uns ne doivent pas jeter le discrédit sur l'ensemble de l'institution. Il y a encore des affaires de pédophilie, mais la plupart des actes dont on parle aujourd'hui remontent à 20, 30 ou 40 ans, à une période où ni l'église, ni les autres institutions, n'avaient la conscience de l'extrême gravité de la pédophilie. N'oublions pas qu'il y a 30 ans, des écrivains comme Gabriel Matzneff pouvaient revendiquer dans les médias leurs penchants pour la pédophilie ! A cette époque, on pensait qu'un prêtre pouvait se reprendre, donc on le changeait de lieu. On n'avait pas réalisé que la structure pédophile ne se guérit pas à coup de bonne volonté. Désormais, de telles erreurs ne sont plus possibles. Nous voulons être exemplaires.
Vous nous expliquez comment l'Église de France s'est saisie du problème en 2000. Mais du côté du Vatican, la même clarification a lieu en 2010, dix ans plus tard…
- La communication est une chose. Mais il y a un eu un travail de fond au sein de l'Église qui ne date pas d'aujourd'hui, et l'on aimerait que d'autres institutions en fassent autant.
En tout cas, l'Église n'en est pas à sa première polémique au cours des derniers mois : réintégration de l'évêque négationniste Mgr Williamson, excommunication de la mère d'une petite fille violée qui a avorté au Brésil, béatification de Pie XII, préservatif... Comment expliquez-vous cette accumulation ? S'agit-il seulement d'erreurs de communication ?
- Ces événements n'ont rien à voir les uns avec les autres. Sur le négationnisme, le pape a dit très clairement qu'il ne connaissait pas les positions de l'évêque. Il a condamné le négationnisme. Pour la fillette au Brésil, il est surprenant que la position d'un évêque prenne une dimension mondiale, jusqu'à mettre en cause le pape. Il y a là quelque chose qui ne va pas ! Sur le préservatif, il faut relire l'ensemble des déclarations du pape. Je suis étonné du manque de professionnalisme de certains journalistes qui reprennent n'importe quelle information sans la croiser ni la situer dans son contexte. Que nous ne sachions pas toujours bien manier la relation avec les médias, c'est possible. Mais tout de même… sans aller jusqu'à parler d'acharnement, je trouve que nous sommes bien vite dans le collimateur.
Le directeur de l'Osservatore Romano, Giovanni-Maria Vian, estime que le pape est victime d'une "campagne" médiatique. Partagez-vous cette analyse ?
- Une campagne, je ne sais pas. Mais il est vrai qu'on accuse le pape de tous les maux, alors qu'il s'est montré très clair dans ses interventions sur la pédophilie : compassion avec les victimes, reconnaissance courageuse des erreurs du passé et mesures strictes. Donc je ne sais pas s'il faut parler de campagne, mais il y a en tout cas des tirs nourris qui vont dans le même sens. Un cas de pédophilie au Canada fait le tour du monde. Je ne dis pas qu'il ne faut pas condamner. Mais que cela devienne mondialement connu et que le pape soit mis en cause, cela ne va pas !
Et en France, estimez-vous le traitement des médias équilibré ?
- Je suis bien incapable de le dire. Je crois que beaucoup de journalistes ont compris que le travail réalisé au sein de l'Église est considérable. Il est vrai que le pape Benoît XVI n'a pas le même type de relation aux médias que son prédécesseur Jean-Paul II. C'est un professeur. Et pourtant, il dit les mêmes choses. Sur le fond, leurs positions à l'un et à l'autre, et en particulier sur les questions de pédophilie, ont été les mêmes et ont été extrêmement claires.
L'Église doit-elle s'adapter au fonctionnement médiatique si elle veut faire passer son message ?
- Il y a un chemin à faire de part et d'autre, car le temps de l'Église et le temps des médias ne sont pas les mêmes. L'Église prend le temps d'une réflexion plus élaborée, plus prudente. Je l'ai vu lorsque j'étais porte-parole de la Conférence des évêques : je faisais office d'interface et je devais expliquer à chacun le fonctionnement de l'autre. L'église doit mieux comprendre le fonctionnement médiatique : il faut être bref, rapide. Mais du côté des médias, il a souvent un analphabétisme religieux. Aujourd'hui, les journalistes spécialistes de l'information religieuse sont de moins en moins nombreux. L'actualité religieuse est couverte par des journalistes d'information générale. Alors que pour un match de foot, on ne tolèrerait pas que le journaliste confonde les règles avec celles du rugby, il serait viré dans la minute !
Comment le message de l'Église sur la pédophilie a-t-il été perçu par la population ?
- Il y a chez les catholiques un désarroi par rapport aux drames pédophiles, et aussi une certaine fatigue envers un harcèlement médiatique qui dépasse les bornes. Il y a les deux.
En tout cas, les réponses apportées par le pape sur la pédophilie n'ont pas mis fin à l'emballement médiatique. Que peut faire l'Église pour tourner la page ?
- Les tabous du silence doivent sauter. En même temps, il faut rester très prudent. On l'a vu récemment avec l'affaire d'Outreau : attention à de fausses dénonciations. On peut briser la vie de quelqu'un par de fausses accusations. Il y a un tel climat de suspicion...
Il est donc important de revenir à une juste mesure. Les épreuves que nous avons traversées doivent nous rendre les uns et les autres plus vigilants. Sur une question comme celle-ci, il est important de collaborer avec d'autres institutions : milieu éducatif, responsables politiques et sociaux... les médias peuvent apporter leur part positive d'explication et d'éducation.
Interview de Mgr Stanislas Lalanne
par Baptiste Legrand, de l’hebdomadaire Nouvel Observateur
le mercredi 14 avril 2010