L’Ascension, invitation aux passages et aux partages
Chaque année, la liturgie chrétienne donne à ce qui pourrait être la monotonie de nos travaux et de nos jours une signification à la fois intime et cosmique. La liturgie ne se réduit pas aux travaux pratiques d’une théologie abstraite dont seraient dépositaires des clercs. Elle est une invitation à lire l’histoire de nos vies à travers celle du Christ. Avec la fête de l’Ascension se clôt sa présence physique parmi ses disciples pour ouvrir le temps de la Pentecôte, celui du surgissement de l’Esprit dans l’histoire humaine.
Les fondateurs des grandes religions connaissent en général une longue évolution vers la sagesse et la sainteté. Le nombre élevé des années de leur vie apparaît comme un signe de bénédiction et un enseignement. S’il convenait de faire le « bilan » de l’existence du Christ au moment de son Ascension, il faut bien constater qu’elle n’est en rien un modèle de moine, de père de famille, de professionnel de la spiritualité ou d’organisateur d’institutions. Le Christ meurt jeune et sa vie publique n’excède pas trois ans. Sa vie se définit comme un « passage », c’est-à-dire, dans le langage biblique, une Pâque. Bien loin de favoriser la fascination du Maître, le Christ lie le surgissement de l’Esprit en l’homme à sa propre disparition. « Il vaut mieux pour vous que je parte car si je ne pars pas le Paraclet ne viendra pas à vous » 1. Dès lors, au lieu de rester le nez pointé vers le ciel, comme les disciples le jour de l’Ascension 2, l’homme est renvoyé vers sa tache spirituelle et cosmique « jusqu’aux extrémités de la terre ».
Bien loin d’inviter à la création de nouvelles clôtures institutionnelles pour distinguer les justes des pécheurs, c’est l’amour agissant qui devient la nouvelle frontière. À la tranquille possession de la loi par les clercs et de l’intériorité par les sages se substitue la confrontation permanente aux excès de la grâce. Le message fondamental que Saint Paul va répandre c’est qu’au règne de la Loi mosaïque des Juifs et à celui de la Sagesse des Grecs s’est substitué celui d’une gratuité radicale qui ne se conquiert ni par des prouesses morales ni par des raffinements intellectuels, mais se reçoit.
À l’heure de sa mort, les évangélistes nous rapportent ses deux dernières paroles : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 3 suivi de « Père, je remets mon esprit entre tes mains » 4. Aucun crépuscule des dieux ne sera aussi radical que la mort du Christ supplicié, condamné par les défenseurs politico-religieux des ordres établis. C’est d’une image de Dieu totalement nouvelle que témoigne le Christ : un enfant dans une crèche, le partage du pain, la souffrance d’une passion sont les traces de son passage. Le Dieu de l’Évangile se « défroque » des oripeaux de puissance et de fascination. Par quelle aberration certains, qui se sont prétendus ses disciples, se sont-ils « froqués » de pouvoir, de dogmes, de moralisme, de richesses ?
Témoigner aujourd’hui de la « bonne nouvelle » que le Christ invite à répandre à l’heure de son Ascension c’est aller vers de nouveaux « passages » qui seront aussi de nouveaux partages.
Bernard Ginisty
1 – Jean 16,7
2 – « Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté et leur dirent : gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder v ers le ciel ? » Actes des Apôtres 1,11
3 – Marc 15,34
4 – Luc 23,46