« L'amour seulement ? »
Merci à G&S de publier cette Décision de la Congrégation pour la doctrine de la Foi (C.D.F.) contre un livre, publié en 2006 par une religieuse catholique américaine, sur divers sujets touchant à la sexualité. Ce texte devrait permettre à nos amis internautes de réagir sur les points polémiques rebattus, mais toujours d'actualité.
En même temps, profitons de cette belle occasion d'exercer notre esprit de méthode et d'éviter les réactions épidermiques. En effet, face à des thèmes aussi disputés que ceux qui sont abordés, il est trop fréquent soit de dénoncer une fois encore « la rigidité et l'obscurantisme romains », soit de flétrir « une pensée strictement profane (une partie de ses références le sont), totalement sécularisée, ayant perdu tout sens du sacré, etc. »
Si on étudie ces sujets au cas par cas, on s'aperçoit que le dualisme n'est pas possible parce qu'ils touchent au plus humain de l'humain. Malheureusement, comme trop souvent, le magistère d'une part mélange des choses très différentes 1, d'autre part ne donne pas de réponse alternative à une simple condamnation. Et la sœur, " professeur d'éthique chrétienne " à Yale n'a pas, d'après Rome, l'air de croire beaucoup à la nécessité de celle-ci ni d'une certaine exigence en la matière. Ne faudrait-il pas chercher une " voie du milieu " où l'histoire, le bon sens et la charité pourraient jouer un rôle ?
Passons sur la procédure de l'enquête, elle respecte la hiérarchie, si importante pour les éminences romaines. Retenons au passage que la « compréhension toujours plus approfondie par l'Église de la Parole de Dieu » ne passe forcément et uniquement par les décisions du magistère, proclamées Tradition sans aucune remise en question qui pourrait tenir compte de la réflexion et de l'expérience de spécialistes laïcs ou religieux : médecins, psychologues, travailleurs sociaux, etc. (souvent en désaccord en eux, il est vrai). Au passage, car c'est un terme qu'on retrouve constamment en théologie morale, quelle est la définition exacte d'un acte « intrinsèquement et gravement désordonné » ? En existe-t-il d'« extrinsèquement et légèrement ordonnés » ? De quel ordre (ou loi naturelle) s'agit-il ? Ce patois ne passe plus auprès des fidèles.
Sur des questions aussi vitales que quotidiennes, le décret oublie ou exprime mal la nécessité de recourir à la casuistique. Il y a une règle, certes, mais tellement de "cas" où elle s'appliquera difficilement.
À propos de la masturbation, même les médecins ont cessé de croire qu'elle rend sourd ou fou – cf. Dr Tissot : "De l'onanisme " (1759). On la retrouve quasiment " naturelle " pendant l'adolescence, alors que son statut est moins clair pour l'âge adulte. Mais de là à penser qu'elle ne pose « aucun problème », comme le dit Sr Farley, il y a un (grand) pas. En effet, si l'auto-érotisme peut avoir un effet " libérateur " ponctuel, permettre d'explorer son corps, etc., il risque de rester un acte centré sur soi-même, égocentriste, avec un péril d'addiction qui peut rendre difficile un partage de jouissance avec une autre personne, voire de donner lieu, en ce domaine, à de la perversion. Il n'est que de lire certains messages relevés sur Internet pour s'en convaincre. À la limite, on pourrait parler d'un " bon emploi " (limité) de la masturbation ; c'est probablement ce que le livre incriminé qualifie de « question empirique » (p. 236).
Les actes homosexuels dépendraient d'une certaine " orientation " (du psychisme ? du corps ?). Mais ni la Sr Farley ni la CDF ne tente d'expliquer le pourquoi de cette orientation : physiologie ? éducation ? effet de mode… ? À ceux qui veulent se référer à la Bible, pour dévaluer l'attitude " moralisatrice " du décret, on peut rappeler que le Lévitique (18,22) nomme la relation homosexuelle masculine une " abomination ". Et si dans le Nouveau Testament la question n'est guère abordée dans les évangiles, le verset 7 de l'Épitre de Jude (canonique) voue au feu éternel les villes qui, comme Sodome et Gomorrhe, « ont couru après une chair différente ». Alors, on connaît la distinction classique qui distingue l'acte " condamnable " de la personne qui l'accomplit et que l'on peut et doit accueillir avec « respect, compassion et délicatesse ». Ça ne résout pas leur situation.
En outre, la pensée de l'Église romaine en la matière est fondée sur la reconnaissance de la masculinité et de la féminité avec ses côtés positifs : une " complémentarité " qui peut être dynamique, et négatifs : le fait que, pendant longtemps, cette distinction " anatomo-biologique " a eu pour conséquence d'établir une infériorité de la femme. Idée qui n'est peut-être pas encore sortie de toute les têtes et a pu justifier les recherches sur le " gender ", si décriées dans les milieux catholiques.
Il faut savoir encore que, quand les théologiens moralistes parlent d'acte contre nature, il ne faut pas y voir un jugement sur l'acte homosexuel en lui-même, mais sur le fait qu'une telle relation ne peut s'ouvrir à la procréation. Il en serait de même pour des hétéros empêchant systématiquement et définitivement toute possibilité de donner la vie. On peut être pour ou contre cette position, encore faut-il comprendre ce qu'elle signifie exactement.
Les Unions homosexuelles. Là, on ne se situe plus parmi des principes, mais par rapports à des faits réels, constatables. Il est des gens qui, de même sexe, vivent ensemble. Peu importe, sur le plan civil, de savoir s'ils ont des relations sexuelles ou non, mais ils ont à régler des problèmes de vie commune, de droits par exemple, d'héritage, etc. Après tout, il existe une longue tradition, depuis la fin du XIIIe siècle jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, de communautés de vie fondées pour faire face aux difficultés et dangers de la vie, en vue d'une exploitation agricole collective par exemple (telles les frérèches réunissant des frères et sœurs).
Le PACS a été une tentative pour régler des questions juridiques. Il serait insuffisant. Ne peut-on l'améliorer ? Faut-il pour autant utiliser le mot de mariage qui a une signification millénaire désignant l'union d'un homme et d'une femme, pouvant déboucher sur la naissance d'enfants, ce qui, il y a une ou deux générations notons-le, semblait naturel, même à des personnes exemptes de toute préoccupation ou obédience religieuse ? Il y a une confusion entre une égalité de traitement juridique, cherchant sa justification dans l'évolution des mœurs, une revendication juste du respect dû à toute personne, le rejet de l'homophobie, et le recours à un terme, considéré comme ringard par bien des gens depuis plus d'un demi-siècle (avant même 1968), que l'on détourne de son sens initial, probablement pour permettre une reconnaissance sociale de l'homosexualité et surtout la capacité d'adoptions par un couple homosexuel. Ce qui pose une toute autre interrogation.
Sur le destin des enfants élevés par des homosexuels, on manque peut-être d'un peu de recul pour en juger statistiquement. Sans doute, comme l'avancent les couples concernés, ces enfants pourront vivre plus heureux dans une famille homo harmonieuse que dans une famille hétéro déchirée et violente. Mais d'abord, rien n'empêche qu'un couple homo ne puisse être ou devenir déchiré et violent. Ensuite, subsiste la question cruciale de savoir si l'enfant a besoin ou non de repères différenciés, " mâle" et "femelle ", comme l'affirment beaucoup de spécialistes de psychologie de l'enfant, et une certaine expérience d'enfants privés d'un des référents par départ ou mort prématurée.
Indissolubilité du mariage. Sans doute l'Église ne peut-elle renoncer à ce qui semble établi par le Christ lui-même : « Que l'homme ne sépare point, etc. » (Marc 10,9). Mais, pour respecter les exigences du droit canon, combien de mariages se concluent sans une pleine conscience de l'engagement pris, étant de ce fait canoniquement invalides ? Et puis, il y a la longueur du temps. Sr Farley fait une remarque juste sur le plan historique quand elle constate (p. 304-305) qu'à terme : « l'un des partenaires ou les deux ont changé ». En effet, lorsqu'au XVIIe siècle on se marie — et c'est sûrement encore plus vrai dans les temps antérieurs — on "en prend " pour 13 ans en moyenne, avant qu'un des deux époux ne meure. Aujourd'hui, dans les pays développés, la durée moyenne des unions (non rompues par un divorce, bien sûr) est d'au moins un demi-siècle ! Sans justifier les ruptures trop fréquentes des mariages, ce fait ne modifie-t-il pas l'économie de cette union ?
Sur le plan religieux, ce qui complique la question du divorce vient de la comparaison faite par saint Paul entre le mariage et l'union du Christ et de l'Église (Éphésiens 5,32), car non seulement elle sacralise ce qui a longtemps été considéré comme un simple contrat (le mariage religieux ne se mettant lentement en place, d'après Georges Duby, qu'à partir du XIIe siècle et encore pour les classes dirigeantes), mais elle en fige toutes les données en les absolutisant.
On sait que l'Église a toujours prétendu que les divorcés restaient membre à part entière de l'Église. La séparation de biens et de corps existait d'ailleurs dans la société chrétienne d'Ancien Régime, mais ce qui pose problème est le remariage plaçant les nouveaux époux en situation d'adultère (Marc 10,11 ; Luc 16,18).
Remarque de principe : parmi les sacrements, l'ordre l'a longtemps emporté en distinction sociale sur le mariage, l'exigence du célibat semblant donner à ceux qui choisissaient cette voie étroite une aura dont les pauvres laïcs ne disposaient pas. Or le mariage n'est indissoluble que la vie durant : le veuvage permet le remariage (1Corinthiens 7,39). Le prêtre, lui, est consacré in æternum ; or celui qui demande sa réduction à l'état laïc (expression qui souligne la haute opinion que l'Église a longtemps gardé de cet état) peut non seulement communier, ce que le pauvre divorcé-remarié ne peut pas (excommunié de facto), mais aussi se marier. Où est l'erreur ?
o O o
Que les positions de Sr Farley ne soient pas conformes à la doctrine catholique est une évidence, elles sont même contradictoires sur bien des points. Il n'est pas réactionnaire de le constater. La question qui se pose est de savoir si, sur tous les points abordés, la doctrine doit rester telle qu'elle s'est construite à travers les siècles, sans tenir compte de réalités et de contraintes nouvelles 2.
Finalement, pour éviter d'être trop long, la tentation s'installe de renvoyer dos à dos la professeure d'éthique, qui manque peut-être un peu de rigueur (mais pour être totalement honnête, il faudrait avoir lu intégralement son livre) et les Messeigneurs de la Curie, qui oublient un peu leur charité professionnelle pour défendre le droit pur et dur. En tout cas, tout ceci mérite réflexion et non controverse stérile.
Albert Olivier
1 – De la même manière qu'il a pratiqué pour la contraception et
l’avortement.
2 – À titre de comparaison,
on pourrait réfléchir sur la contraception à partir de l'évolution de la mortalité infantile. Au XVIIe siècle, plus de la moitié des enfants ne parvenait pas à l'âge
adulte…