L’amour désarmé
Au pied de la croix, il n’y avait que quelques femmes en pleurs… Comme toujours, comme partout. Les femmes, si souvent victimes de la puissance des « systèmes » peuvent être là, les mains vides, debout, impuissantes. Gageons d’ailleurs que les femmes « modernes » qui, et c’est heureux, ont commencé à devenir responsables, d’elles-mêmes et du fonctionnement du monde, auraient sans doute réagi comme les apôtres et les disciples. Elles auraient commencé à faire le bilan pour trouver où ça n’avait pas marché, afin d’avoir une meilleure chance que ça marche « la prochaine fois ».
Mais il n’y a pas, il n’y aura pas, de prochaine fois. Dans le Christ, Dieu s’est dévoilé, il a révélé tout son programme. Les apôtres ne se sont pas trompés, c’était le « bon Messie », c’était vraiment le Fils de Dieu. Au jour de Pâques, ils en reçoivent la fulgurante et inimaginable annonce : celui qui était mort, Dieu l’a ressuscité, il est vivant.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Qui est cet homme, qui est Dieu ?
Pour comprendre, retournons dans le jardin de Gethsémani, revenons dans la salle haute. Jésus, « sachant que son heure était venue » laisse un ultime message, d’ultimes gestes.
Jésus, à genoux, dernier des serviteurs, Jésus rompant le pain, offrant son corps, son sang, sa vie. Jésus prostré dans le jardin, renonçant à toute puissance, offrant même son abandon et sa peur. Jésus refusant qu’une arme soit sortie, qu’un homme soit blessé.
Comprenez-vous ce que je viens de faire ?
Comprendrons-nous jamais ?
Comprendre, c’est abandonner toute illusion de puissance, c’est admettre que l’échec est l’échéance ultime en ce monde.
Ce que nous voyons en contemplant la croix, c’est qu’aucun pouvoir, surtout pas un pouvoir religieux, ne peut se réclamer de Dieu parce que Dieu a abdiqué toute puissance.
Oui, notre Dieu s’est fait impuissant, telle est la terrible révélation de la croix.
Inutile de rêver de conquêtes, de légions chrétiennes, de bataillons disciplinés qui assureraient dès ici, dès maintenant l’ordre divin, la loi divine, en un mot, le « triomphe de Dieu ».
Nul ne réussira là où le Christ a « échoué ». Ne nourrissons aucune illusion, le nombre, les fastes, les ors, l’influence, les réseaux, tout cela ne signifie rien devant le Dieu de la croix. Tout cela ne vient pas de Dieu, tout cela ne va pas à Dieu.
Au matin de Pâques, devant le tombeau vide, retournons-nous vers la croix. Elle est maintenant éclairée par la lumière de la résurrection. Celui qui s’est abaissé a été élevé. Contemplons l’œuvre de Dieu ; crions de joie : « Mort, où est ta victoire ? »
Mais prenons bien garde, la résurrection n’efface pas la croix. La résurrection n’est pas la victoire in extremis du Dieu tout-puissant, mais la victoire de l’impuissance.
Que la croix nous guérisse de nos désirs de puissance, que la résurrection nous fasse désirer la victoire de l’amour désarmé.
Et ensuite il nous restera à œuvrer chaque jour, sans rien imposer, sans rien exiger, sans juger, au nom de l’amour désarmé.
« Ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait ».
Pietro De Paoli
Pâques 2010