L'absence de Dieu... une autre forme de présence
Difficile de discerner les traces de Dieu dans un monde de
violences et de souffrances.
L’absence de Dieu deviendrait-elle une évidence ?
Gaston Pietri nous invite à dépasser les premières impressions :
Dieu n’est pas absent, il manifeste sa présence autrement.
« Où est-il, ton Dieu ? » Par deux fois l’auteur du psaume 42 place cette question dans la bouche de ses adversaires, c'est-à-dire de ceux qui le malmènent et qui du même coup s'en prennent à la cause de Dieu. C'est dans sa foi que le psalmiste est touché. Comme le sont tant d'hommes et de femmes croyants que désarçonne l'insolence du Mal dans le cours de l'histoire. Le livre de Job montre un homme qui ne peut que résister aux fausses explications. Cet homme est encore parmi nous aujourd'hui. Il est des moments où le constat, le seul qui s’impose, est celui de l’absence : « Si je vais à l’Orient il n’y est pas. À l’Occident, je ne l’aperçois pas. Est-il occupé au Nord, je ne sais pas. Et il demeure invisible, si je me tourne vers le Midi. » (Job 23,8-9). Plus que jamais au début de ce 21e siècle, c'est la question du mal qui vient se mêler d’instinct à la question de Dieu pour conclure trop souvent à son silence ou à son absence. Lorsque nous tentons de lire dans la foi les événements de l'histoire, nous oscillons entre deux attitudes. La première est, dans le recul que permet la prière, l'exclamation de Jacob sortant de son sommeil : « En vérité, Dieu est là et je ne le savais pas » (Genèse 28,17). La deuxième attitude est, à tout le moins, celle de l'extrême réserve que recommande Jésus : « La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et l'on ne dira pas : voici il est ici ! ou bien : il est là... » (Luc 17,30-31). L'intervention de Dieu n'est pas repérable à la manière des causes naturelles accessibles au regard ou à l'analyse quelque peu approfondie.
En retrait pour nous confier l'histoire
Dieu n'est pas dans la série des causes, ni en début ni en fin de file. S’il est source de tout ce qui est et agit en ce monde, il l’est de l'intérieur. Vu de notre côté, il est en retrait. Il est « comme cet homme partant en voyage » (Matthieu 25,14) qui remet des talents à ses serviteurs pour qu'ils les fassent fructifier. Autrement dit, il nous confie l’histoire pour que nous en soyons les artisans. Il n’attend rien d’autre que de nous voir déployer notre liberté inventive. Nous ne sommes pas appelés à reproduire quelque modèle préfabriqué. « Dieu nous invente avec nous », écrivait Emmanuel Mounier.
Intervenant en notre histoire, Dieu par son Fils s'est fait l'un d'entre nous. Jésus de Nazareth a été un segment minuscule de notre histoire, contemporain d’hommes et de femmes qui ont croisé son regard, entendu sa voix, vu ses gestes. Au terme de ce parcours, une fois passé par la mort, certains l’ont reconnu : Marie de Magdala au son de sa voix après l'avoir pris pour le jardinier, deux disciples au geste de la « fraction du pain » après avoir fait un bout de chemin avec celui qui n'était pour eux qu’un voyageur anonyme. À peine l'avaient-ils reconnu qu'il « avait disparu de devant eux » (Luc 24, 31).
Voilà donc qu’il lui faut s’absenter pour que désormais sa présence ne soit plus celle d'un individu reconnaissable en un lieu et pour un moment, et seulement en ce lieu et pour ce moment. Les disciples l’avaient entendu la veille de sa mort : « c'est votre intérêt que je parte. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous. Mais si je pars, je vous l’enverrai. » (Jean 16,7). Telle est la condition de la présence du Ressuscité par son Esprit.
L’Église dans la société, une présence paradoxale
C’est de cette présence universelle qu’en tout lieu et à tout moment nous avons à vivre. Voici donc que l'absence est en réalité un autre mode de présence à l'histoire qui va son cours, avec ses réussites et ses drames. Le Ressuscité en a donné l’assurance aux disciples : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Matthieu 28,20). Peut-être nous arrive-t-il de regretter de n’avoir pas été contemporains de Jésus aux jours de sa vie historique en Galilée et en Judée. C'est Lui qui désormais est notre contemporain. Silencieusement il parcourt l’histoire avec nous. Silencieusement parce que son intervention ne peut être que discrète. Elle se laisse percevoir à travers quelques signes. Mais ces signes ne sont lisibles que dans la foi. À la communauté des croyants en Christ, qui est l’Église, d'interrompre en quelque sorte le silence. Cette Église n’a d’autre raison d’être que de signifier efficacement la présence du Christ à l'histoire en train de se faire, et donc à ce moment précis de l’aventure humaine que l'on pourrait croire déserté par un Dieu si peu reconnu : « Où est-il, ton Dieu ? » Il est dans les paroles et dans les gestes qui révèlent l’Amour dont les hommes sont encore et toujours aimés. L’Église n’est pas faite pour être invisible et cachée. Elle est une part d'humanité. Mais il ne lui suffit pas d'être visible et de l’être à n’importe quel prix. Le regard qui se pose sur elle devrait être immédiatement renvoyé au Christ. L’Église n’a pas sa fin en elle-même. Sa présence dans la société est paradoxale. Elle est un index pointé en direction de l’invisible. Son rôle dans l'histoire est d’orienter les esprits et les cœurs vers une sorte de place vide, celle d'une absence. Ce Christ absent fait du corps ecclésial la mystérieuse réalité d'une Présence.
Très probablement certaines manifestations intempestives ne seraient-elles d'aucune manière au diapason de la discrétion du Ressuscité. C’est leur qualité d’humanité et d'actualité qui seule aura des chances de faire pressentir aux hommes de ce temps que Quelqu’un, comme avec les deux disciples le soir de Pâques, « fait route avec eux » (Luc 24,15).
Gaston Pietri