L'abondance frugale, pour une nouvelle solidarité
Recension de l’ouvrage de Jean-Baptise de Foucauld (Éditions Odile Jacob – 2010)
Jean-Baptiste de Foucauld reprend des thèmes qui sont devenus familiers à ses lecteurs :
- faute d'avoir corrigé à temps les déséquilibres que l'on sentait monter, nous voilà confrontés au défi de résoudre trois crises en même temps. Celle du chômage et de l'exclusion d'abord. La crise écologique ensuite. Les retombées de la crise financière enfin. La solution est-elle dans la quête illusoire du « toujours plus » ? Sûrement pas. Mais elle ne viendra pas non plus du « toujours moins » de solidarité. Bien au contraire.
- les trois mots d'ordre de demain devront être sobriété, justice et créativité. « Plus de sobriété pour plus de justice et plus de créativité pour plus de sens » : voilà les principes de l'abondance frugale qui doit inspirer le nouveau Pacte civique à inventer ensemble pour sortir de l'ornière.
Ce livre, complémentaire des écrits de Patrick Viveret (Vers une sobriété heureuse), constitue une référence précieuse pour approfondir notre démarche vers un Pacte civique. Il permet en particulier : i) une relecture des crises que nous traversons au regard de nos besoins matériels, relationnels et spirituels et du temps respectif que nous leur consacrons*, ii) une réflexion sur la conjugaison de trois cultures, la résistance, la régulation, l'utopie, et sur l'importance respective que nous leur accordons, iii) un approfondissement de la conception de l'abondance frugale au miroir des problèmes d'emploi et d'exclusion que nous devons surmonter en priorité.
Dans cet ouvrage, comme dans les précédents (en 1995, avec Denis Piveteau, Une société en quête de sens et, en 2002, Les 3 cultures du développement humain), l'auteur est lucide sur les nombreux obstacles se dressant sur notre route pour donner du sens au vivre ensemble. L’un des pièges les plus fréquents, lié aux risques électoraux qu’affronte régulièrement l’homme politique, est de voir celui-ci amené peu à peu à faire le contraire de ce qu’il promettait pour ne pas avoir assez approfondi et incarné le sens qu'il donnait à son action. « Un bon politique doit avoir sa vertu propre, sa cohérence... » (p.114) et exercer le pouvoir comme un service pour lequel on rend des comptes (p.66). En parallèle, la démocratie devient davantage une référence qu'une pratique, incapable d'être un espace où la participation du plus grand nombre est attendue et organisée. De même, il faut réfléchir à l'écart croissant entre les désirs et les moyens de les satisfaire (p.29), civiliser le capitalisme (p. 124), revisiter le pacte faustien passé avec le marché (p.23) et s’interroger pour savoir si le sens est subordonné au marché ou le marché au sens. En conséquence, l'auteur appelle à soutenir la recherche individuelle et collective de sens et à cultiver le patrimoine symbolique de l'humanité (p.37).
L'importance de la dimension spirituelle se retrouve aussi dans l'appel à l'ouverture sur les autres traditions spirituelles ou religieuses, sur les sciences, sur l'universel, « quelles que soient les remises en causes qui peuvent en résulter » (p.38). L’énergie spirituelle (produire des valeurs qui justifient la vie en commun, puis les appliquer) est à conjuguer avec l'énergie économique et politique (p. 112). Entre exigence et prudence, il est proposé de se référer à la culture trine présente dans l'Évangile : « celui-ci est dénonciation de l'injustice, de l'égoïsme, de la corruption ou de l'hypocrisie des puissants ; il est appel à une radicalité forte, celle du Royaume proche, mais dont la porte est étroite ; et, entre les deux, sachant que l'homme est ce qu'il est, qu'il progresse lentement, par à-coups, il admet que des règles du jeu social plus modéré soient fixées pour que les hommes puissent vivre ensemble » en faisant fructifier leurs talents... (p.119).
Dans la conclusion, intitulée Pour un Pacte civique de solidarité, Jean-Baptiste nous rappelle l'importance de mettre en œuvre une politique basée sur l'abondance frugale compte tenu des risques de différer ou de refuser les efforts collectifs (et de laisser filer notre dette publique) ou de s'en remettre à des solutions autoritaires. Il préconise donc des changements de nos comportements individuels, du mode de fonctionnement de nos organisations et de régulation de notre société « afin de réduire la place de l'avidité et de l'argent au profit d'une sagesse de vie ».
Marie-Françoise de Billy
* Dans le numéro du 29 avril 2010 de La Vie, dans une interview intitulée « Chaque être humain doit choisir et maîtriser son temps », JB de Foucauld revient sur « la réappropriation du temps par chacun et par tous » qui est tout aussi vital que la maîtrise du changement climatique (p.13).