L'abandon passe par le banal que l'on choisit
L’autre soir j’étais chez des amis qui me sont chers…
Ils ne croyaient plus, disaient-ils, à la Résurrection du Christ, mais continuaient de se reconnaître baptisés, de recevoir le Corps et le Sang du Christ durant une Eucharistie et de parler des « défunts », comme s’ils existaient personnellement pour toujours…
Nous avons dialogué et me suis efforcé de comprendre. Où butent-ils ? Qu’est-ce qui a délabré leur foi apparemment solide des années « Soixante » ?
Depuis trois décennies, impuissant, j’ai assisté à la thrombose progressive de leur pratique chrétienne. Un naufrage sans révolte ! Ils ont progressivement perdu les mots qui ne tenaient plus Parole. Ils connaissent le discours, peuvent parler à cause du catéchisme de leur enfance et de l’enseignement religieux de leur jeunesse. La formation a satisfait, naguère, leur intelligence et aujourd’hui la poésie exprime leur émotion religieuse. Ils sont sans doute déistes.
Ils ont perdu la foi au Christ en même temps que les supports de la foi. Ils ont, disent-ils, trouvé des connaissances plus fines, des sagesses plus prégnantes, des poèmes plus profonds. Un humanisme paisible et large a remplacé la foi catholique.
On peut ajouter peut-être que leur générosité militante, en dévorant leur temps, a achevé d’éroder la foi qui se nourrit aussi de contemplation, de dialogues entre croyants et du « moment-pour-rien » de la prière.
Tout se passe comme si l’Église était devenue ni visible ni crédible. Ils affirment que le langage religieux répétitif les lasse ; que la tristesse d’un discours sans âme les blesse au plus profond d’eux-mêmes. Ils sont tombés de l’Église comme on tombe d’un escabeau mais leur vie n’est pas égratignée ! Leur foi s’est noyée mais eux ont continué leur navigation.
Progressivement la Résurrection personnelle et éclatante du Christ est devenue pour eux une « maintenance » au-delà de la vie des Églises. Dans le surgissement du Christ ils reconnaissent seulement un signe de « l’énergie collective d’un peuple qui ne veut pas mourir ».
Il m’a semblé durant cette soirée que nous étions loin de la grande et belle foi vivante des Chrétiens. On avait bricolé, rapetissé le Message unique de Pâques, de l’Ascension et de Pentecôte. Ils ont perdu le Verbe : Parole – et - Action de Toujours à Toujours.
Que faire ? Que dire ? Bien sûr respecter les démarches honnêtes et la vérité qui se cherche. Mais de quelle lumière dispose le témoin du Christ placé là, au carrefour des consciences loyales ? La pauvreté, la simplicité, l’explication douloureuse de son propre combat ne suffisent pas. Accueillir « à nouveau » le Christ, Maître de l’Histoire et Chemin de Résurrection, demande à chacun une démarche intime et coûteuse : une pratique onéreuse et fidèle.
Pour entrer en conversion
- il faut tout d’abord admettre que l’on n’a pas forcément raison.
- il est nécessaire ensuite d’accepter de partir en pèlerinage vers le Christ, sans bagage, loin, très loin, plus loin que Compostelle !
- il est indispensable encore d’endurer la fatigue, le chaud, le froid et la monotonie des routes humaines. Marcher et encore marcher ensemble pour être « Église sacrement » d’un bonheur qui se construit en Dieu.
- il convient aussi de saluer les autres marcheurs d’Absolu sans se distraire soi-même et sans les distraire de leur propre chemin. Faire route commune avec eux vers un horizon qui recule à mesure que l’on avance.
- puis, arrivé enfin à l’étape que l’on juge la dernière, reste à brûler ses vêtements souillés et se jeter nu dans le fleuve qui coule du Temple détruit et rebâti en trois jours.
Oui, pour arriver à une nouvelle naissance, pour aborder derechef à l’Espérance chrétienne pour retrouver le Chemin oublié, il faut se compromettre dans une pratique à première vue dérisoire au regard de la grandeur de l’enjeu. Ainsi on s’engage sur le chemin vicinal de l’humilité en mendiant « son pain quotidien » sans honte, juste pour vivre du don d’autrui en vue de la communion, signe suprême du pardon né de l’amour réciproque.
L’abandon passe par le banal que l’on choisit.
Christian Montfalcon