Jonas, un drôle d'oiseau dans un drôle de poisson
Chers amis Internautes, publiant cet article un premier avril, je n’ai pas pu résister au titre de circonstance ; mais pour être plus sérieux, j’aurais pu l’appeler : Jonas, le livre de tous les contraires…
Il y a longtemps que j’avais envie de vous parler de ce prophète, un personnage de la Bible pour lequel j’ai beaucoup d’affection, car il est le plus « français » des prophètes : tête de mule, râleur mais bon fond. Et voici que je passe à l’acte.
Le livre de Jonas est un des plus courts de la Bible – 4 chapitres et 48 versets – mais il est plein d’aventures. Résumons-le rapidement.
Il commence par un ordre de Dieu à Jonas, fils d’Amitaï : « Lève-toi ! Va à Ninive la grande ville », appel qui génère une fuite éperdue du prophète dans une direction tout à fait opposée, à pied puis en bateau, dans une effroyable tempête, au fond de l’eau puis du ventre d’un grand poisson d’où il dit à Dieu : « de la fosse tu as fait remonter ma vie »… Dieu ne peut donc pas faire moins que de le sauver des entrailles du poisson… avant de lui répéter : « Lève-toi ! Va à Ninive la grande ville ». Jonas y va enfin et annonce aux habitants : « encore 40 jours en Ninive sera détruite ». Alors – ô surprise – tout le monde se convertit, du roi au plus humble des citoyens.
Alors Jonas en « éprouve un grand mal et se fâche »… parce qu’il ne supporte pas que Dieu soit « un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et [se] repentant du mal » ! Il sort de la ville pour bouder et se laisser mourir. Dieu le met à l’ombre d’un arbuste pour le protéger, et Jonas est content ; Dieu fait sécher l’arbuste et Jonas est mécontent et accablé ; il veut encore mourir… Dieu se justifie : « Je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu'une foule d'animaux ? »
Point final.
Voilà le bref résumé de ce livre qu’on pourrait appeler…
Le Livre de tous les contraires.
Listons ces contraires :
- Dieu dit à Jonas d’aller à Ninive (en Mésopotamie, près du Tigre) et celui-ci s’enfuit illico vers Tarsis, c’est-à-dire, pour les hébreux, au bout du monde, comme l’évoque Isaïe 60,9 : « les bateaux de Tarsis ont pris la tête pour ramener de loin tes fils ».
- Dieu lui a dit : « lève-toi » (le fameux qoum hébreu) et Jonas se lève, certes, mais pour descendre (hébreu yarad, d’où le Jourdain tire son nom) à Jopé (Yapho, la belle ; aujourd’hui Jaffa) puis descendre dans un bateau, car en hébreu on ne monte pas à bord…
- Jonas, qui a refusé d’obéir à l’ordre que lui donnait Dieu déclare aux marins qu’il vénère ce Dieu.
- Les marins disent à Jonas : « lève-toi (encore !) et invoque ton dieu » ; mais il n’est pas dit qu’il le fait… Les marins païens, eux, invoquent le Seigneur puis lui offrent un sacrifice et font des vœux dès que la mer s’apaise.
- Jonas continue de descendre… et le voici dans le ventre du grand poisson (expression à l’allitération curieuse, dag gadol, en hébreu)
- Alors qu’il est tout au fond de la mer et du ventre du poisson, Jonas s’écrie : « Du ventre de la mort j’appelle au secours… Tu m’as jeté dans le gouffre… Je suis descendu jusqu’à la matrice des montagnes… Mais de la fosse tu m’as fait remonter vivant, ô Seigneur, mon Dieu ! »
- Enfin hors de l’eau et enfin obéissant, Jonas part pour Ninive et parcours la ville en proclamant : « encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous », traduction TOB qui prend bien en compte la racine du verbe haphach : contraire !
- Le roi de Ninive proclame immédiatement l’état d’alerte et ordonne : « chacun se convertira (verbe shouv, se retourner, repartir en sens contraire) de son mauvais chemin. » Alors Dieu voit qu’ils se convertissent (shouv) et il revient sur sa décision…
- Le texte nous informe alors que Jonas « le prit mal, très mal et se fâcha » ! Il ne supporte pas la miséricorde de Dieu pour les ninivites et lui qui fait depuis le début tout le contraire de ce que lui demande Dieu lui reproche de revenir sur sa décision de faire du mal…
- Jonas sort de la ville et s’installe à l’ombre d’une hutte en attendant… de voir ce qui se passera dans la ville… Dieu, dans sa bonté, fait pousser au-dessus de lui une plante pour lui faire de l’ombre ; Jonas en éprouve une grande joie, mais ne dit rien ; le lendemain Dieu fait mourir la plante et Jonas se lamente et veut mourir… oubliant totalement pourquoi il est là et ne pensant plus qu’à son propre sort.
- Dieu s’étonne qu’il se fâche pour une plante et Jonas affirme : « oui, j’ai raison de me fâcher à mort »… alors que Dieu l’a fait pousser pour lui sauver la vie !
- Final grandiose où Dieu dit « toi tu as pitié d’une plante pour laquelle tu n’as rien fait et moi je n’aurais pas pitié de Ninive et de ses 120.000 êtres humains ? »
Jonas tente toujours d’être à l’opposé de là où il doit être, pour faire le contraire de ce qu’il doit faire et penser le contraire de ce qu’il doit penser… Mais Dieu est un Dieu patient et – osons le mot ! – têtu.
Quels drôles de nom !
Pour terminer je voudrais m’arrêter un instant sur deux noms :
- En hébreu, le nom de Jonas est Yonah, qui est aussi un nom commun signifiant colombe. Est-ce un hasard si ce prophète porte le nom de l’oiseau qui après le Déluge (Genèse 8) annonce la fin de la colère de Dieu et le retour de l’humanité sur la terre sèche ?
Sûrement pas !
- En hébreu, le nom de l’arbuste que Dieu fait pousser pour protéger Jonas est qyqayon. C’est le ricin de la Bible de Jérusalem ou de la Bible du Rabbinat. En fait, personne ne sait de quelle espèce il fait partie car on ne le trouve qu’en Jonas.
Il se trouve qu’un jour j’ai eu comme une révélation surnaturelle et que j’ai compris ! Bon sang, mais c’est bien sûr : Jonas est un prophète de Provence et l’arbre qui l’a sauvé de la mort porte un nom provençal !
J’ai donc cherché et j’ai trouvé : dans le Grand Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral (1830-1914 ; écrivain né à Maillane et Prix Nobel de littérature en 1904) il y a un mot qui ressemble très fort à qyqayon… C’est quicon en languedocien, quaucarèn (prononcer cawcarèn) en provençal, mots qui désignent admirablement cet arbuste, puisqu’il signifient… quelque chose… Le quicon ou quaucarèn est un truc, un machin ; exactement ce que l’auteur biblique veut dire : Dieu a fait pousser un machin pour protéger Jonas de la chaleur !
Si j’ajoute qu’un des exemples d’usage de ce mot donnés par Mistral est : quaucarèn au noum de Dièu (prononcer cawcarèn au noun dé diw », c’est-à-dire quelque chose au nom de Dieu, comment pourrez-vous ne pas me croire ? Dieu a créé le quicon pour satisfaire au besoin de fraîcheur de Jonas ; d’ailleurs cela est confirmé par un autre exemple encore plus frappant donné par le Prix Nobel Mistral : vau faire quicon (prononcer : vaw faïre quicon) qui signifie : je vais satisfaire un besoin…
Les voies du Seigneur sont impénétrables… et les biblistes pas toujours sérieux… surtout un 1er avril !
René Guyon
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