Jésus crise... Donnez, que diable !
La grande majorité des catholiques français ne contribuent pas au denier de l’Église, souvent par méconnaissance de son fonctionnement. Ce qui oblige l’institution à multiplier les initiatives pour élargir le cercle des donateurs
« Bonjour, je viens d’apprendre que les finances du diocèse étaient revenues à l’équilibre. Auriez-vous la gentillesse d’interrompre mon prélèvement bancaire ? » Ce n’est pas sans une certaine surprise que le diocèse d’Évry a enregistré ces jours derniers quelques appels de ce genre après que La Croix eut indiqué que le cri d’alarme lancé l’an dernier par Mgr Michel Dubost avait contribué à rétablir l’état des comptes du diocèse.
Le repli de ces contributeurs occasionnels tendrait à montrer que tous les catholiques n’ont pas conscience de devoir participer régulièrement à la marche financière de l’Église. Faut-il une situation d’urgence ou une communication choc pour mobiliser la générosité des fidèles à l’égard du denier de l’Église ? Le paradoxe est d’autant plus étonnant que les catholiques sont réputés pour leur prodigalité lorsqu’il s’agit de signer un chèque pour les causes humanitaires les plus diverses. « Les trois quarts des catholiques pratiquants réguliers donnent pour le denier de l’Église. Mais les pratiquants occasionnels ne sont prêts à la soutenir que lorsqu’ils en ont besoin », explique Laurent Charignon, économe du diocèse de Lyon.
On estime que 10 % de la population participerait au financement des paroisses, des maisons diocésaines et autres séminaires. Selon l’économe lyonnais, la culture du service public à la française donne le sentiment à l’opinion que l’Église vit de subventions, comme l’Éducation Nationale ou la SNCF. Et les façades de bâtiments hérités du passé lui font croire qu’elle est à l’abri du besoin…
« Je demande un service, je le paie »
Double méprise ! Seuls les dons des fidèles permettent d’assurer le fonctionnement des lieux de culte et des salles paroissiales ainsi que le salaire des prêtres et des laïcs en mission ecclésiale. « L’enjeu est de faire comprendre aux catholiques qu’ils doivent soutenir la structure s’ils veulent avoir quelqu’un derrière la porte lorsqu’ils se rendent dans une paroisse. Tous ne font pas encore le raisonnement et sont plus séduits par une culture du contrat : “je demande un service, je le paie” », poursuit Laurent Charignon.
Son collègue rennais, Régis Boccard, développe l’argumentation. « Contribuer au denier de l’Église, c’est soutenir sa famille, que l’on en soit très proche ou un peu plus éloigné. Pour les catholiques, c’est le socle de toute démarche de générosité, en dehors de tout contexte émotionnel. Voilà pourquoi il n’y a pas de concurrence entre le denier et les associations caritatives qui mobilisent dans des situations de crise et d’urgence. Les dons doivent s’ajouter », insiste-t-il, bien conscient que le mois de décembre, ultime étape de la campagne 2010 du denier de l’Église, constitue un moment décisif.
D’autant qu’une statistique inquiète la plupart des économes diocésains : si les dons sont globalement en hausse, le nombre de donateurs a tendance à diminuer, obligeant chaque diocèse à des efforts considérables pour renouveler les fichiers. Mathilde Desjars, 32 ans, responsable pour la campagne du denier de l’Église en Gironde, vérifie l’équation. « Ici, le don moyen ne cesse de croître, il s’élève désormais à 190 €, soit 5 € de plus que l’an dernier. Mais l’âge moyen du donateur se situe aux alentours de 70 ans, ce qui crée des inquiétudes. Nous avons de grandes difficultés à toucher les plus jeunes. » Même situation à Lyon où le nombre des donateurs a baissé de 323 unités entre 2009 et 2010 tandis que les dons ont progressé de 2,49 %. « Il faut surveiller le flux des donateurs comme le lait sur le feu », remarque Laurent Charignon, dans un diocèse qui avait perdu 5 000 donateurs en dix ans.
Communiquer
Dans ce contexte, une seule solution : communiquer ! Surtout après la révélation de l’escroquerie dont a été victime la Conférence des évêques de France de la part d’une employée indélicate, susceptible de jeter le trouble sur la gestion des finances de l’Église. « Je ne donne pas à l’Église par manque d’information, reconnaît Alexandre, 30 ans, qui ne pratique plus depuis quelques années et se sent davantage enclin à donner à des organismes tels le Secours catholique. On ne sait pas où va l’argent, si c’est pour le salaire des prêtres, le chauffage de l’église ou les voyages du pape ! »
Nicolas Brugère, médecin à Bordeaux et catholique engagé, invite l’institution à parler clairement d’argent, sans honte ni fausse pudeur. « C’est une question taboue au sein de l’Église. À une époque, elle avait beaucoup d’argent mais aujourd’hui elle est pauvre. Elle ne doit pas craindre de faire état de ses finances réelles et de ses besoins, si elle veut recevoir davantage de dons. » Lui-même attribue 4 % de ses revenus à parts égales au denier du culte, à la quête, à la communauté du Chemin-Neuf et aux associations catholiques. Mais, à ses yeux, ses dons ne sont pas suffisants. Il dit d’ailleurs qu’il serait plus réceptif aux sollicitations si elles étaient plus nombreuses.
Campagnes audacieuses
« En 1989, raconte le médecin avec enthousiasme, j’ai participé à la souscription populaire lancée pour la construction de la cathédrale d’Évry en achetant des briques où chacun pouvait insérer des lettres et des prières dans des caissons étanches. » Cette idée originale avait séduit 400 000 donateurs en France et à l’étranger. L’Église doit-elle donc adopter une communication novatrice pour enrayer l’érosion des donateurs ? Plusieurs diocèses, comme ceux de la province de Rennes ou celui de Lyon, ont fait le choix d’une campagne audacieuse, à grands renforts de messages marquants, de couleurs vives et de publicités dans la presse grand public.
À Nancy, le vicaire général, le P. Robert Marchal, assume pleinement le message iconoclaste affiché cette année : « Jésus crise. Donnez, que diable ! ». Même s’il a provoqué des grincements de dents et quelques chèques en moins de donateurs réguliers. « Les dons étaient en baisse de 10 %, il fallait frapper fort et le retentissement a été à la hauteur, justifie-t-il. Nous avons enregistré 16 % de nouveaux donateurs. » Le défi étant aujourd’hui de les fidéliser. « L’essentiel, c’est que chacun prenne conscience de la vie concrète des paroisses, au-delà des images toutes faites. Très souvent, les gens découvrent qu’elles ne sont pas riches le jour où ils viennent pour un baptême ou pour un enterrement… »
Bruno Bouvet et Nicolas César
sur la-croix.com, sous le titre Les catholiques rechignent à financer leur Église