Jésus a voulu être un saint ordinaire

Publié le par G&S

Peguy.jpgIl nous fallait les Évangiles. Jésus n’a pas voulu être un saint extraordinaire. Il a été un saint ordinaire, le premier dans l’ordre, mais dans l’ordre.

Il a eu besoin de ses notaires et chroniqueurs.

Il a eu besoin des Évangiles et qu’il y eût les Évangiles comme Polyeucte a eu besoin de Corneille, comme saint Louis a eu besoin de Joinville, comme Jeanne d’Arc a eu besoin de ce malheureux pauvre clerc qui écrivait les demandes et les réponses. (Et quand je dis ce malheureux pauvre clerc je me place à notre point de vue, car c’était certainement un fort bon clerc, très considéré, et qui avait une bonne place ; c’était un fort bon clerc et fort bien appointé.)

En ceci aussi Jésus a voulu être un saint ordinaire,

Un homme, un saint comme les autres parmi les autres. Il a voulu avoir besoin de ses témoins, de ses martyrs, de ses notaires, des écrivains.

Il n’a point voulu être attesté, remémoré par un miracle constant. Par un miracle permanent. Il n’a point voulu faire appel à d’autres moyens que les moyens de l’homme et de l’histoire et de la mémoire de l’homme.

Il lui a fallu des écritures. Il a voulu avoir besoin des scribes et des huissiers, comme ses saints, et de tout l’appareil judiciaire et historique.

Il a voulu être la matière et l’objet d’un procès et même de deux, d’un procès au civil et d’un procès au religieux. D’un procès d’Église et d’un procès d’État.

Il a voulu être la matière et l’objet de l’exégète et de l’historien, la matière, l’objet, la victime de la critique historique. Il a voulu donner matière à l’exégète, à l’historien, au critique.

Il s’est livré à l’exégète, à l’historien, au critique comme il s’est livré aux soldats, aux autres juges, aux autres tourbes.

Il s’est livré à ceux qui portent des férules comme il s’était livré à ceux qui portaient des verges et des fouets. C’est la même tradition, c’est la même livraison.

Il s’est livré aux controverses comme il s’était livré aux autres injures. Et les historiens crient après lui mort et vivant comme les scribes et comme les greffiers criaient après lui présent et muet.

S’il s’était dérobé à la critique et à la controverse, s’il s’était soustrait à l’exégète, au critique, à l’historien, si son histoire avait été soustraite à l’historien, si sa mémoire n’était point entrée dans les conditions générales, dans les conditions organiques de la mémoire de l’homme, il n’eût point été un homme comme les autres. Et l’incarnation n’eût point été intégrale et loyale. Et il faut toujours en revenir là.

Pour que l’incarnation fût pleine et entière, pour qu’elle fût loyale, pour qu’elle ne fût ni restreinte ni frauduleuse il fallait que son histoire fût une histoire d’homme, soumise à l’historien, et que sa mémoire fût une mémoire d’homme, humainement, défectueusement conservée. En un mot, il fallait que son histoire même et que sa mémoire fût incarnée.

Il fallait que sa mémoire et son histoire fût querellée. Qu’elle fût livrée au même vulgaire. C’est la même exposition, de la même victime aux mêmes bourreaux. […]

Pour que Jésus fût homme, il fallait que sa mémoire même et que son histoire fût la matière et l’objet non pas d’un miracle mais d’un procès permanent.

Il fallait qu’il survécût comme il avait vécu. Et il fallait qu’il survécût comme il était mort. Et il fallait qu’il fût temporellement éternel comme il avait vécu et comme il était mort.

Charles Péguy

Publié dans Fioretti

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E
<br /> <br /> Je précise : Marc-Alain Wolf ( Un psychiatre lit la Bible) dans un chapitre consacré à Moïse, cite Chouraqui :<br /> <br /> <br /> "Asher qui relie les deux èhyèh est la plus subtile des conjonctions.  On pourrait traduire assez justement par deux points, en éludant ce "qui" équivoque  Je suis : Je suis<br /> "Chouraqui. A. " Moïse"  Ed.du Rocher  1995<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Bonjour à tous,<br /> Je préfère nettement mettre mon grain de sel sur les interprétations du livre de l'Exode que de commenter les éternels débats liturgiques ou institutionnels entre « progressistes » et<br /> « traditionalistes »...<br /> Si effectivement la Bible liturgique (mais est-ce une référence?) donne cette traduction contestable « je suis<br /> celui qui suis » , d'autres traductions sont données par :<br /> Bible Segond : « Je serai qui je serai »<br /> BJ : « Je suis celui qui est »<br /> TOB : « Je suis qui je serai »<br /> Je ne sais pas où Marc-Alain WOLF a trouvé la traduction tout aussi énigmatique de Chouraqui (je suis : je suis), mais la version présente sur internet donne : « « Èhiè ashèr<br /> èhiè ! - Je serai qui je serai », soit la même traduction que Segond.<br /> <br /> <br /> Aucune de ces traductions ne me semble satisfaisante, et l'on est face au mur du passage d'une langue à une autre, d'un univers à un autre, d'une culture à une<br /> autre, mur parfois infranchissable par la linguistique seule.<br /> Les notes de la TOB me semblent mériter notre attention et nous faire avancer vers une compréhension :<br /> On peut comprendre : je suis qui je suis, c'est-à-dire, je ne veux pas dire ou je ne peux pas dire qui je suis. Le nom de YHWH ne saurait exprimer le mystère de Dieu, on ne peut enfermer<br /> Dieu dans des mots.<br /> On peut aussi comprendre « Je suis celui qui est » par opposition aux idoles qui ne sont pas ou qui sont du néant.<br /> La TOB, en prenant en compte le fait que le verbe est à l'inaccompli, propose : « je serai qui je serai » veut affirmer : « Je suis là, avec vous, de la manière que vous<br /> verrez » : c'est par l'histoire du salut des hommes que Dieu manifestera peu à peu qui il est. Et le commentaire ajoute cette phrase de Rashi, l’exégète juif : « Je serai avec<br /> eux en cette détresse ce que je serai avec eux quand ils seront asservis à d'autres royaumes ».<br /> On est peut-être loin du texte initial, mais, du coup, on est peut-être plus proche d'une intelligence de l'essence du Dieu de la Bible, on se rapproche du mystère de Dieu.<br /> J'ajouterai que si l'on élargit la lecture aux versets précédents (Ex 3,11-12), on trouve Moïse s'interrogeant sur ses capacités à faire sortir ses frères de la « maison de servitude »<br /> . Et Dieu lui répond : « Je suis avec toi... ». Le lien entre le verset 12 et le verset 14 ouvre des perspectives.<br /> « Je suis avec toi et je serai présent de la manière que tu verras pour t'aider à libérer tes frères, et te libérer avec. » Traduction très personnelle, mais qui colle bien avec ma<br /> vision du Dieu de la Bible.<br /> Cordialement.<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci de votre réponse. J'ai lu votre article avec beaucoup d'intérêt. Les notions  "d'accompli et d'inaccompli" des verbes en hébreu biblique ont pour moi, un écho<br /> symbolique.  Cette langue échappe à "l'enfermement" du temps.  Cela me plaît.<br /> <br /> <br /> Votre proposition " du destin d'homme et de femme" devient un appel et une invitation à l'espérance. " Maintenant tu vois de tes yeux que Je suis celui qui est...et maintenant<br /> toi aussi -enfin- tu es celui que tu es."<br /> <br /> <br /> La recherche de Dieu devient une soif d'identité à travers ce que nous sommes. <br /> <br /> <br /> Si " je suis celui qui suis" vous exaspère encore...je vous propose la trouvaille de Chouraqui : " Je suis : Je suis".  Cité par Marc -Alain Wolf " Un<br /> psychiatre lit la Bible". Cerf<br /> <br /> <br /> Cordialement,  Malouine<br /> <br /> <br /> P.S. dans le message précédent, excusez-moi pour les caractères en couleur bleue, indépendants de ma volonté! L'informatique a aussi des mystères...<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Pour lire l'article que j'ai écrit sur le sujet il vous suffit de cliquer sur son titre (qui apparaît en italiques gras) dans mon commentaire précédent.<br /> J'ai beaucoup d'admiration pour le chanoine Osty, mais "je suis celui qui suis " m'exaspère !<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> « Le mot biblique est un lieu d’être et d’appel »      Daniel<br /> Sibony<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne suis pas spécialiste en langues anciennes.  Je m’attarde volontiers aux notes qui éclairent et nourrissent dans un souci d’ouverture. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Trop contrainte dans le passé, à  aborder 1texte, 1traduction,1interprétation, ces<br /> notes invitent les non-spécialistes à dépasser et aller au-delà d’un sens unique ,figé, dogmatique. <br /> <br /> <br />  Les citations données dans mon message sans<br /> explication peuvent sembler abruptes voire incompréhensibles.  Pour<br /> plus de clarté, je vous transmets la note du verset 14 in extenso.  Merci de me donner votre avis.<br /> <br /> <br />  Voici la note  d’E.<br /> Osty :<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  «  Verset fameux qui traite du nom du Dieu d’Israël : Yahvé.<br /> <br /> <br />  Attesté ailleurs sous les formes Yah, Yô,<br /> Yahô, Yahû ( quelle que soit l’origine), il reçoit ici une explication par le verbe « être ».  Dieu dit : « Je suis »( ‘ehyèh) ; les Israélites<br /> diront : « Il est » ( yahavèh), c.à.d. «  Yahvé », pour désigner le Dieu des<br /> <br /> <br /> pères (v 15-16).<br /> <br /> <br />  Tandis qu’en 6,2.6.7.8, on lit<br /> clairement : « Moi » (c.à.d. : je suis) Yahvé », la formule «  Je suis qui Je suis »<br /> laisse planer le mystère sur l’être de Dieu, et elle évite de le définir tout en exprimant sa réalité et son action(<br /> cf. les expressions du genre : «  Je fais grâce à qui je fais grâce, et je fais<br /> miséricorde… »,  33,19).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> On traduit encore : «  « Je suis ce que je suis » ,  « Je<br /> suis parce que je suis » , «Je serai qui je serai » ; les traductions : « Je suis<br /> celui qui suis », ou avec le grec «  Je suis celui qui est » ( que l’on entend : «  je suis<br /> celui qui est par lui-même » ou « celui qui est éternellement », L’Eternel ),   insistent sur<br /> Yahvé «  qui est » face  aux « dieux qui ne sont pas des dieux », et elles ouvrent la voie<br /> aux spéculations métaphysiques sur l’être absolu et l’aséité de Dieu. »     p. 149    La Bible   <br /> E. Osty<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je lirais votre article avec intérêt.    Où puis-je le<br /> trouver ? <br /> <br /> <br />       <br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> <br /> @Eeckhout<br /> Vous écrivez : "Le nom de YHVH est la réponse donnée à Moïse (Ex.3,13-14)."<br /> Je ne suis pas sûr qu'on puisse dire cela, car le mot YHWH ne figure pas dans la réponse. Il y est dit : 'eheyiéh asher 'ehyiéh.<br /> Dans mon article Je ne suis pas ce que je<br /> suis... je fais un long développement sur ce sujet qui me tient particulièrement à coeur tant on écrit de "bêtises" !<br /> Je regrette que la note explicative du verset 14, dans la traduction de la Bible par Eugène Osty, par ailleurs certainement  "remarquable de profondeur", utilise les expressions<br /> " Je suis parce que je suis et Je suis celui qui suis (!!!)  mais suis ravi de voir les autres énoncées il y si longtemps, à une époque où les catholiques ne<br /> s'embarraissaient pas du Premier Testament...<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> A propos de YHVH cité par un commentaire. Le nom de YHVH est la réponse donnée à Moïse (Ex.3,13-14). La note explicative du verset 14, dans la traduction de la Bible par Eugène Osty, est<br /> remarquable de profondeur. Qui est YHVH ?<br /> <br /> <br /> " Je suis qui Je suis <br /> <br /> <br /> Je suis ce que je suis<br /> <br /> <br /> Je suis parce que je suis<br /> <br /> <br /> Je serai qui je serai <br /> <br /> <br /> Je suis celui qui suis<br /> <br /> <br /> Je suis celui qui est <br /> <br /> <br /> Je suis celui qui est par lui-même ou celui qui est éternellement"<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Ben non : je n'ai pas de scanner. Mais j'en profite pour réparer une coquille de mon mel : il faut lire bien sûr p. 1478-1480 et non 1780 !<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> S'il est permis d'ajouter une précision : Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, in M. Péguy éd., Péguy, Œuvres en prose 1909-1914, Paris,<br /> Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1961, p. 1478-1780, avec toutefois une disposition des paragraphes beaucoup plus compacte. Quelle version préférer ? Impossible de la savoir, car il s'agit<br /> d'un texte non publié par Péguy lui-même.<br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> Merci pour ces précieuses précisions !<br /> Vous serait-il possible de nous envoyer par mail à blogmestre-gs@yahoo.fr une copie de<br /> l'édition de la Pléiade, que nous pourrions essayer de reproduire ?<br /> Merci d'avance<br /> Le blogmestre de G&S<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Texte fort, que je n'avais jamais rencontré (d'où est-il tiré d'ailleurs ?). Texte qui va lui même tomber aux mains des scribes et des exégètes. Texte dérangeant : nous sommes si bien habitués à<br /> un Jésus "Fils de Dieu" (comme si c'était une évidence axiomatique). Si le nom de Jésus —c'est à dire son être même— qui signifie "YHWH est Sauveur", a fait de lui LE Sauveur, c'est aussi parce<br /> qu'il était "vrai homme" ; il a pu ainsi pénétrer l'humanité jusqu'au cœur de sa réalité la transfigurant en vue du Royaume. Car, comme dit la prière de l'Offertoire, c'est «pour nous<br /> unir à la divinité qu'il a pris notre humanité»,.Ce n'est pas pour rien que de grands mystiques, comme Thérèse d'Avila, ont insisté sur l'humanité de Jésus.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Sauf erreur, il s'agit de l'ouvrage Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne.<br /> <br /> <br /> <br />