Il vaut mieux pour vous que je parte
En proposant chaque année la liturgie de l'Avent, L'Église invite à vivre le rapport au Christ sur le mode de la nouveauté permanente et non celui de la possession satisfaite. Dans l’Évangile du troisième dimanche de l’Avent, Jean Le Baptiste envoie certains de ses disciples demander au Christ qui commence à faire parler de lui : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? ». Sa réponse ne consiste pas à enseigner un dogme ou à prendre position dans les querelles religieuses de son temps : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » 1.
Le signe messianique c’est que les gens se mettent debout, que les sourds entendent, que les morts ressuscitent et que les pauvres entendent une bonne nouvelle.
Les fondateurs des grandes religions connaissent en général une longue évolution vers la sagesse et la sainteté. Ils vivent longtemps et l’abondance des années constitue un signe de bénédiction. Or, le Christ n’est en rien le modèle d’une longue vie ; il n’écrit aucune œuvre, il ne crée pas un monastère ; il meurt jeune et ce qu’on appelle sa vie publique n’excède pas trois ans. Sa trajectoire, que les chrétiens se remémorent à chaque eucharistie, est celle d’un « passage », d’une Pâque. Ses disciples ne comprennent rien de son vivant, perdus qu’ils sont dans l’attente d’un messie politico-religieux.
Non seulement le Christ ne cherche à embrigader personne, mais il appelle chacun à accueillir la venue de l’Esprit en lui. Lorsqu’il voit ses disciples consternés par l’annonce de sa passion et sa mort, il leur dit : « Il vaut mieux pour vous que je parte car si je ne pars pas le Paraclet ne viendra pas en vous. » 2 Ce surgissement de l’Esprit en l’homme n’est jamais donné une fois pour toutes. Un Dieu vivant est toujours naissant et, comme le dit Maître Eckhart, on ne peut le saisir que « dans l’accomplissement de la naissance. » 3
Dans ce temps de préparation à Noël, l’Évangile nous rappelle que Dieu est un enfant dans une crèche et qu’il est présent dans le pain partagé. Dieu se « défroque » des oripeaux de puissance, de gloire, de suffisance. Par quelle aberration certains de ses disciples se sont-ils « froqués » de pouvoirs, de certitudes, de richesses, de moralisme ?
Le Christ ne nous invite pas à un plan de carrière institutionnel ou à la construction d’une perfection morale, mais à être pleinement vivants comme l’exprime avec bonheur le psychanalyste et jésuite Denis Vasse :
« Si nous croyons que, dans une origine chronologique, l’homme a d’abord été fabriqué, puis qu’il s’est secondairement amélioré, jusqu’à ce qu’il arrive enfin à un résultat de produit fini, nous nous trompons tout à fait. Vivre, c’est être suscité à la vie à tous les moments : naître et ressusciter sont le même acte de Dieu. (…) En Dieu, créer, pardonner, engendrer est un acte unique : il suscite et ressuscite par cet amour. » 4
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 12.12.10
1 - Évangile de Matthieu
11,2
2 - Évangile de Jean 16,21
3 - Maître ECKHART, Sermons, Tome 2, Éditions du Seuil, 1978 page 113
4 - Denis VASSE, La vie et les vivants, Éditions du Seuil, 2001, page 218