Il est temps que les États reprennent le pouvoir
Dans une série de trois articles particulièrement pertinents, Éric Le Boucher, fondateur du site d’information Slate.fr, chroniqueur économique au journal Le Monde et directeur de la rédaction d'Enjeux-Les Échos, analyse la situation de nos sociétés après la grande crise financière 1. Son constat est sans appel. Malgré les grandes déclarations des dirigeants de la planète, rien de sérieux n’a été fait pour réguler les marchés financiers qui ont renoué avec leurs pratiques les plus contestables.
Faute de refonder radicalement le système financier, Éric Le Boucher note que, malgré les incantations pour que le politique reprenne ses droits, ce sont en fait les marchés financiers qui dictent leur loi au politique : « Barak Obama, Angela Merkel et même l’Anglais Gordon Brown… tous sont sur la même longueur d’onde. Le capitalisme financier a dérapé gravement. Le libéralisme est allé trop loin. Les marchés livrés à eux-mêmes ont conduit le monde dans le décor. Il est temps que les États reprennent le pouvoir, fixent des règles, des interdits et imposent des valeurs morales. La première est que les casseurs devraient être les payeurs. Or, le système financier qui a foncé dans le gouffre n’a su ensuite que tendre la main aux contribuables. (…) La banque est un animal particulier qui tient l’économie au cou. Le contribuable n’a pas d’autre choix que de renflouer les banquiers, même les plus coupables ».
Les États ont sauvé les banques qui caracolent de nouveau de bonus en profits mirobolants. Mais cela se fait au prix d’une extension d’un chômage structurel, y compris dans des pays qui, comme les États-Unis, ne le connaissait que très faiblement. C’est cet autre constat que fait Éric Le Boucher : « Aujourd'hui, 210 millions de personnes cherchent un emploi, 30 millions de plus qu'en 2007, dont les trois quarts dans les pays dits “avancés”. Les pires résultats ont été enregistrés par l'Espagne, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, où 7,5 millions d'hommes et de femmes ont perdu leur job sans en retrouver. Et, fait nouveau outre-Atlantique où le marché du travail se caractérise par sa flexibilité, la moitié des chômeurs sont sans travail depuis plus de 27 semaines. Il s’installe dans ces pays un chomage structurel ».
Dans un accès inattendu de lucidité, Jack Welch, ex-patron de General Electric et considéré comme le père du mouvement de la priorité de la valeur actionnariale de l’entreprise, qui a dominé le monde jusqu’à la crise, déclare : « Si on regarde les choses en face, la valeur actionnariale est l'idée la plus stupide du monde : il s'agit d'un résultat, pas d'une stratégie en soi, car votre véritable force reste vos employés, vos clients et vos produits » 2.
Commentant ces déclarations, Franz-Olivier Giesberg écrit : « Il est temps que les gouvernements commencent à songer aussi à l'après-crise, pour définanciariser une économie trop longtemps tyrannisée par des marchés qui, finalement, font la loi dans les entreprises. Jusqu'à ces licenciements dits boursiers, comble de “l'horreur économique”, qui mettent les spéculateurs en joie. La finance est une chose trop importante pour être confiée aux seuls financiers. Depuis le temps qu'on le sait, il ne faudrait plus jamais oublier de s'en souvenir » 3. Il serait temps que les responsables politiques des grands pays travaillent enfin ensemble pour mettre en cause ce dogmatisme financier à court terme qui ne cesse de miner nos économies et nos sociétés.
Bernard Ginisty
Chronique hebdomadaire diffusée sur RCF Saône & Loire le 25.09.10
1 - Trois articles consultables sur le site Slate.fr : La moralisation du capitalisme ? Tu parles (1/3), La coordination du G20 ? Tu parles (2/3), Une reprise ? Tu parles (3/3)
2 - in L’Expansion, 13.03.09
3 - in Le Point, 26.03.09