Homosexualité et parentalité
En réponse au souhait formulé dans l’article de l’évêque de Nanterre (présenté par G&S), je souhaiterais exprimer sur le sujet ma position personnelle, en vue de la justifier, non par des convictions religieuses, mais par des arguments fondés sur d’autres considérations : le respect de la dignité humaine, chez l’adulte, comme chez l’enfant. De plus, mon analyse s’appuiera sur les informations puisées dans mon expérience professionnelle.
Cela me conduit aussi à me référer à une lettre que je viens d’adresser à Témoignage Chrétien pour sa diffusion récente d’un article sur Église et homosexualité - Mon Espérance est en Christ : pas dans une théocratie. Son auteur, un homme jeune (selon la photo imprimée), défend avec passion et grande sincérité les droits conjoints au mariage homosexuel à la parentalité pour une population injustement discriminée. Cette discrimination serait fondée sur des préjugés religieux, contradictoires avec l’amour prôné par Le Christ.
Pourtant, comme j’ai écrit à Témoignage Chrétien, ce lien, jugé nécessaire, entre l’homosexualité et la parentalité entraîne des confusions regrettables et des conséquences néfastes pour l’enfant. Il conviendrait donc d’opérer une distinction entre les deux.
Concernant l’homosexualité et la dénomination de ces couples
Certes, comme l’auteur le signale, la reconnaissance de l’égalité des droits sociaux pour tous se heurte souvent aux attitudes discriminatoires entretenues couramment à l’égard de plusieurs catégories de populations : les Roms, les noirs, etc. Une discrimination qui, généralement, frappe les minorités.
Cependant, il reste à préciser plusieurs points importants :
- Pour ma part, je pense que ni un état ni une église ne peut refuser à un citoyen la reconnaissance de son orientation personnelle vers l’homosexualité et refuser de reconnaître qu’il aime une autre personne de même sexe et qu’il partage sa vie avec elle. Cet état répond à l’orientation de ses tendances et aspirations afin de lui permettre de s’épanouir, lui-même et son (ou sa) partenaire de même sexe. Il est majeur et libre de ses choix qui n’engagent que lui et son conjoint, majeur également. Toute la difficulté consiste à définir la forme légale de cette reconnaissance.
- On peut proposer que ces couples soient reconnus légalement, sous le nom d’une institution récente : le PACS. Mais, pourquoi vouloir s’accrocher à un terme, le mariage, qui exprime une signification anthropologique différente, rappelée ci-après ? Évoquons la définition du Robert, donnée par Voltaire, dans son dictionnaire philosophique : « union légitime de l’homme et de la femme, pour avoir des enfants, pour les élever et pour leur assurer des droits, des propriétés sous l’autorité de la loi ». Aujourd’hui Wikipédia en reprend les mêmes termes traditionnels : « unionlégitime d'un homme et d'une femme. Il est l'acte officiel et solennel qui institue entre deux époux une communauté de patrimoine et de renommée appelée famille ». Si les repères retenus traditionnellement pour le mariage peuvent changer au gré des situations évolutives de la culture, pourquoi alors garder un terme devenu inadéquat ? Pourquoi entretenir une telle confusion qui supprime tous les repères naturels sur lesquels la société s’est construite et continue à se renouveler au cours des temps ?
Concernant la parentalité
L’auteur touche ici à une autre question, celle relative aux droits de l’enfant, qu’il convient de considérer sous deux aspects :
- l’enfant, cet être qui n’est pas majeur et ne peut choisir, va se voir imposer deux pères ou deux mères pour l’accompagner dans son existence. Certains jugeront secondaire cette contrainte, sous le prétexte qu’il existe plusieurs circonstances de la vie où l’enfant n’est plus entouré par ses deux parents biologiques : l’un des deux parents meurt, ou ils se séparent, ou encore un enfant abandonné sera adopté par une femme célibataire… Mais reconnaissons qu’il s’agit alors de situations particulières liées aux contingences de l’existence. Il ne s’agit pas de légaliser, et par là de multiplier, ces cas marginaux en recourant à des techniques artificielles.
- Vouloir à tout prix banaliser c’est ignorer que ce choix comporte des conséquences psychologiques néfastes pour l’évolution de l’enfant. Henri Wallon, reconnu pour son rôle important sur le plan pédagogique (le plan Langevin-Wallon) mais aussi sur le plan scientifique (chercheur-enseignant au Collège de France, médecin de surcroît), n’était pas dépendant de l’Église catholique, mais inscrit au parti communiste… Ce fut le premier psychologue scientifique, spécialiste de l’évolution ontogénétique, qui attira l’attention sur le caractère exceptionnel de la situation de l’enfant lors de sa naissance. Il insistait : au sein de tous les vivants, à sa naissance, l’enfant apparaît comme l’être le plus démuni. Parmi tous les mammifères, il est seul à se présenter comme totalement dépendant de son entourage, sans pouvoir actualiser une pré-programmation biologique minimale capable d’assurer sa survie et son évolution. Il ne sortira de la confusion initiale que très lentement, grâce une différenciation progressive, vécue au quotidien, entre les instances en présence : le « je » et le « tu ». Car le jeune enfant ne se représente pas comme un enfant (terme trop général et trop abstrait pour lui). Il se situe comme un petit garçon ou une petite fille (garçon comme papa ou fille comme maman). Cette différenciation reposera sur la reconnaissance, très progressive, de l’altérité, garante de l’existence du « moi ». Cette relation d’altérité contribue fondamentalement à la construction de son humanité : elle sera beaucoup plus difficile à construire au sein d’un entourage intime de même sexe.
Certes, on peut toujours évoquer les particularités (déjà signalées ci-dessus) ou encore citer le cas de couples hétérosexuels moins attentifs à leurs enfants que ne pourraient l’être des couples homosexuels capables d’adopter par recours à des procédures artificielles. Évidemment, l’État ne peut intervenir auprès des parents pour limiter toutes les dérives possibles de la liberté humaine.
Mais ce n’est pas une raison pour créer, légalement, de nouvelles situations marginales susceptibles d’être néfastes pour l’enfant (lequel ne peut ni protester ni voter).
Francine Bouichou-Orsini
retraitée
anciennement directrice du Laboratoire de Psychologie de l’Enfant, Université de Provence