Habiter la terre
Habiter la terre, c'est l'intitulé du numéro hors-série consacré par la revue Christus à Un regard spirituel sur l'écologie (sous-titre donné à ce numéro de la revue). Les contributions et articles qui ont été rassemblées datent de quelques mois ou quelques années, mais sont toujours d'actualité, y compris bien sûr les textes de Pierre Teilhard de Chardin ou de saint Augustin. Ce hors-série de la revue est susceptible d'intéresser les lecteurs de Garrigues et Sentiers : quelques extraits.
Bien entendu, un des thèmes principaux a trait à la Création de Dieu qu'André Beauchamp, théologien et consultant en environnement à Montréal, aborde dans un premier article consacré à Création et écologie. Il nous met en particulier en garde contre la tentation de faire concorder (sic) les mythes fondateurs de création de la tradition biblique avec les mises en récit du discours scientifique (le big-bang n'est pas le fiat lux). Une autre confusion est à éviter aux yeux de l’auteur : il nous faut distinguer l'origine de l'émergence. Même si les scientifiques arrivaient à situer l'instant de l'émergence de l'univers (ils en sont loin), ce n'est pas pour autant que son origine serait comprise : le pourquoi, la raison d'être de ce monde, surtout pour un croyant. L’expérience religieuse de la Création nous permet d'accueillir la vie comme un don et nous renvoie à l’expérience de la création artisanale ou artistique. Il s’agit bien d’expérience et non d'un fait historique même lointain. Se percevoir créé par Dieu c'est saisir une origine en soi, c'est plonger dans une présence qui nous précède et donc confesser une gratuité première.
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Dans un article datant de 2000, Marie Balmary, la psychanalyste bien connue, traite d'une question souvent abordée et débattue, avec un titre un peu provocateur : Le créateur, un Père ? Où est la Mère ?
Marie Balmary rappelle d'abord ce que certains Pères de l'Église ont vu dans les premiers chapitres de la Genèse : une Création inachevée lorsqu'il s'agit de créer l'homme. Alors que Dieu vient de dire : « Nous ferons adam en notre image, selon notre ressemblance », il ne fait pas ce qu'il a annoncé : « Élohim crée l'adam en son image. En son image il le crée. Mâle et femelle il les crée. » Le programme est incomplet : l'homme est crée en l'image et pas selon la ressemblance. Alors que pour toutes les autres créatures Dieu dit et Dieu fait, pour l'homme Dieu dit et ne fait pas. Et pourquoi ce nous mystérieux de Nous ferons l’humain ? L'auteur tente une hypothèse : Dieu fait sa part du travail l'image et laisse faire – à qui ? – l'autre part la ressemblance.
Et l'auteur en vient à rapprocher ce qui devient alors évident : un créateur qui ne fait qu'à moitié et un père qui n'est que pour moitié dans la procréation des enfants. Alors que de nombreuses critiques des monothéismes ont porté sur la masculinité de Dieu, source potentielle de paternalisme, voire de domination patriarcale, Marie Balmary nous suggère une tout autre interprétation : le vrai père – celui qui a besoin d'une autre pour le devenir – ne correspond pas à l’image d'un dieu créant tout, seul, à partir de rien. Dire que Dieu est Père, c'est le voir comme celui qui n'est certes pas pour rien dans notre venue au monde, mais qui n'y est pas pour tout. Le Dieu de la Genèse n'est pas un dieu tout-faisant, mais celui qui laisse à l'autre sa part dans l’œuvre à faire. Quelqu'un d'autre doit agir à son tour....
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L'article de Paul Lamarche S.J. (1923-2004) porte un titre étonnant : Tais-toi ! L'auteur part d'un côté de la scène de la tempête apaisée lorsque Jésus impose le calme aux éléments, de l'autre de celle de l'esprit impur qui torture un possédé et à qui Jésus dit : « Tais-toi, sors de cet homme ! » Il est dit dans le même évangile que Jésus ne laissait pas parler les démons, parce qu'ils savaient qui il était. Jésus ne veut pas que soit révélée sa dignité de Fils de Dieu, du moins pas tout de suite. Tais-toi !
Ce qui se joue, c'est la vision que les hommes vont se faire de la filiation divine. Si c'est un acte de puissance (miracle, guérison, exorcisme) qui nous fait reconnaître en Jésus le Fils de Dieu, cela ne va que renforcer l'idée terriblement humaine, mais au fond païenne que la puissance caractérise la filiation divine. Mais pour Jésus, être Messie et Fils de Dieu, ce n'est pas être capable de réaliser des actes de puissance, c'est respecter la liberté des hommes. Sa filiation divine repose sur un amour incompréhensible, déraisonnable, folie pour les Grecs, scandale pour les Juifs. Le centurion, lui l'étranger à la religion juive, est le premier à le comprendre au pied de la croix : « cet homme était Fils de Dieu ». Sur le Golgotha, il n'y a pas eu de miracle !
La tentation à laquelle Jésus ne cède ni devant les démons ni devant les hommes, c'est d'imposer la volonté divine par des miracles prodigieux. Car c'est l'illusion spirituelle par excellence : s'il y succombait, le Dieu qu'il révélerait serait le dieu bon, tout-puissant et miséricordieux des religions, mais pas le Dieu de Jésus-Christ, qui se définit comme amour humble, l'ami des pécheurs, le serviteur des hommes . Tais-toi !
Quand Jésus invite ses auditeurs à la conversion, ce n'est pas d'abord pour modifier leur façon d'agir – une sorte de nouvelle morale – mais c'est avant tout pour modifier leur pensée, l'idée qu'ils se font de celui qu'il nomme son Père, l'idée qu'ils se font de Dieu. La conversion attendue n'est pas un quelconque changement de religion – Jésus est né et mort dans la foi juive – mais un « changement de Dieu ».
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Michel Maxime Egger, théologien orthodoxe, a écrit un article en 2002 intitulé Le respect de la création. Il est en phase avec le sous-titre de la revue lorsqu’il affirme que le problème environnemental n'est pas seulement politique, économique, éthique ou technique, mais qu'il est plus fondamentalement spirituel. Pour lui, les origines du problème sont à chercher dans une certaine vision de l'homme et du monde, qui, dès la Renaissance, a conduit au développement d'une civilisation fondée sur le mythe du progrès continu, de la raison souveraine et de la croissance illimitée.
Pour l'auteur, la création est bonne car don de Dieu, mais aussi parce qu'elle manifeste le dessein de Dieu : la promesse, pour le cosmos et pour l'homme, d'une vie éternelle (cela mériterait un développement). Ce dessein, la création – au sens restrictif de nature sans l'homme – ne peut l'accomplir en plénitude par elle-même. Elle a besoin de l'être humain. Seul Dieu, bien entendu, peut « sauver » le monde. Mais l'homme est l'instrument de ce salut. L'auteur cite le théologien roumain Dumitru Staniloae : « Le monde n'est pas seulement un don, mais une tache pour l'homme », phrase condensée magistralement par le théologien jésuite Pierre Ganne (1904-1979) dans l’affirmation « les dons de Dieu sont des tâches humaines » ; nous sommes au cœur de la Création.
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Il faut mentionner aussi l'article de Claude Flipo sur La fascination de la nature, où l'auteur met en garde contre les risques réels d'une sacralisation de la nature par certains mouvements de l'écologie profonde. François Euvé, théologien du Centre Sèvres, propose un inventaire des images de Dieu chez les savants et Jean-Michel Maldamé, dominicain, traite de La place de l'homme dans l'univers.
Une vingtaine d'autres contributions complètent ce numéro.
Pierre Locher