François aux jeunes : « Un chrétien n’est jamais triste ! »
Le Pape a célébré la messe dans le plus grand
sanctuaire marial du monde,
qui fut aussi la source inspiratrice de son programme papal.
En pèlerin décidé et reposé, visage rayonnant, ravi d'être en Amérique latine, le pape François a choisi d'inaugurer sa visite pastorale au Brésil par le lieu phare du premier pays catholique du monde. Non pas la statue du Christ, le Corcovado, bras ouverts, qui domine la baie de Rio, mais le sanctuaire marial d'Aparecida, à 250 km de là. La tradition assure qu'en 1717 trois pêcheurs trouvèrent dans leurs filets la statue sans visage d'une Vierge noire. Ils relancèrent leurs filets, remontèrent la tête, et s'ensuivit une « pêche miraculeuse ». Très vite, la dévotion autour de cette statue, symbole de l'esclavage des Noirs et de ses ravages, gagna tout le Brésil. Ce lieu est aujourd'hui le plus grand sanctuaire marial du monde. Près de douze millions de pèlerins s'y recueillent chaque année.
En pleine forme, donc, mercredi matin, après une journée de repos, le Pape a descendu très tonique et d'un trait la passerelle du jet qui l'a conduit là. Les 10 petits degrés de température et la pluie glaciale de l'hiver brésilien n'ont en rien refroidi sa jovialité ni l'accueil extrêmement chaleureux des dizaines de milliers de fidèles encapuchonnés et sous parapluies. Au troisième jour de sa visite qui se terminera dimanche – avec le point d'orgue, samedi soir, de la grande veillée des JMJ – François a vraiment conquis l'Amérique du Sud ! Cela ne fait plus l'ombre d'un doute. Et avec lui, le peuple brésilien, qui se sent pourtant culturellement parfois méprisé par les Argentins.
« L'Église doit se libérer de toutes les structures caduques qui ne favorisent pas la transmission de la foi »
Des considérations totalement étrangères à la pensée de ce pape, très dévot à la Vierge Marie, qui a surtout voulu rendre grâce, en ce lieu qu'il connaît bien, d'un épisode clé de sa vie peu connu et qui fut décisif dans son élection. C'était en 2007, la conférence générale de l'épiscopat de l'Amérique latine et des Caraïbes – 22 pays représentés, qui pèsent 40 % du catholicisme mondial – se réunissait à Aparecida pour la première fois. Le cardinal Bergoglio, qui était chargé de rédiger le message final, mena une bonne partie des débats.
Sur le fond, il annonçait déjà là, sans imaginer qu'il deviendrait pape, le programme de son pontificat : « L'Église doit se libérer de toutes les structures caduques qui ne favorisent pas la transmission de la foi », insistait le texte. Ce document marquait surtout le déclic du renouveau d'une Église d'Amérique latine ayant touché le fond dans les années 2000 avec les effets désastreux de la Théologie de la libération, l'un des terreaux de la montée des évangéliques. Mais sur la forme, l'archevêque de Buenos Aires, malgré son caractère rugueux et une certaine radicalité, avait conquis une bonne partie de l'assemblée de ses confrères évêques, en sachant mener par son charisme des discussions délicates, prenant là une vraie dimension de reconnaissance internationale dans l'Église catholique. Les cardinaux, bien informés de ce succès, s'en souvinrent le 13 mars dernier dans la chapelle Sixtine.
Ce qui explique l'émotion de ce cardinal devenu pape, mercredi matin, dans le chœur de cette gigantesque basilique. Comme si le film de son histoire personnel se déroulait, en accéléré, sous ses yeux. Il a d'ailleurs évoqué dans son homélie « le grand moment d'Église » que fut cette réunion. Non parce qu'elle fut constituée de doctes évêques, a-t-il fait remarquer, mais parce qu'elle donna lieu à un « tressage entre les travaux des pasteurs et la foi simple des pèlerins ». Soit toute sa vision ecclésiale. Car pour ce pape la hiérarchie n'a d'existence que par le peuple qu'elle conduit : « Les évêques, a-t-il raconté, se sentaient encouragés, accompagnés et, dans un certain sens, inspirés par les milliers de pèlerins » qui priaient dans ce sanctuaire.
Le second message de cette étape matinale du Pape à Aparecida fut de redire, aux catholiques d'Amérique Latine, des mots déjà entendus à Rome : malgré « d'énormes difficultés », ils ne doivent « jamais » être « submergés » par le « découragement » ni « perdre jamais l'Espérance » parce que « Dieu marche à [leurs] côtés, il ne [les] abandonne en aucun moment ». Le Pape les a invités à ne pas être dupes des « idoles éphémères » qui « se substituent à Dieu » : « argent, succès, pouvoir, plaisir ». Il a surtout explicitement critiqué les chrétiens dont la « froideur », le « pessimisme » ou « les visages qui semblent en deuil permanent » viennent de « l'éloignement du Christ ». Il est au contraire « le vin de la joie et de l'Espérance », a-t-il martelé. « Par Lui nos difficultés, nos péchés se transforment en vin nouveau. » Il a donc demandé aux catholiques « de se laisser surprendre par Dieu » et « de vivre dans la joie », lançant ce cri : « Un chrétien n'est jamais triste ! » Mais aussi cet avertissement : « Le “dragon”, le mal, est présent dans notre histoire, mais il n'est pas le plus fort. Dieu est le plus fort ! ».
Jean-Marie Guénois
pour lefigaro.fr