Festival de Cannes 2010
Des hommes et des dieux
L’événement du Festival cette année a été ce film de Xavier Beauvois consacré aux derniers mois de la vie des moines de Tibéhirine, en Algérie. Avant de le voir j’avais beaucoup d’inquiétudes : comment le cinéaste éviterait-il tous les pièges que ce sujet présentait ?
Je laisse la parole à Jacques Mandelbaum (Le Monde, jeudi 20 mai) : « Très attendu, (…) le film surprend, au sens où il défie les attentes… Xavier Beauvois nous emmène ailleurs et signe un film en tous points admirable… Des hommes et des dieux est d’abord un film sur une communauté humaine mise au défi de son idéal par la réalité… C’est [d’une] exigence spirituelle que le film veut rendre compte… Sa lenteur, son dépouillement, sa fidélité au rituel de la communauté, la connivence partagée avec les frères musulmans, la beauté déconcertante des paysages sont pour beaucoup dans la réussite de cette ambition... C’est au cheminement héroïque des moines vers le sacrifice de soi-même pour l’exemplarité de l’amour qu’est consacrée la majeure partie du film… Les moines prendront à l’unisson, comme dans le chant qui les rassemble, la décision de rester. Quelques scènes magnifiquement inspirées ponctuent cette lente montée vers le martyre : (…) cette bouleversante série de travellings sur les visages des moines, à l’issue de la décision qui engage leur vie, accompagné par le déchaînement lyrique du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Il fallait oser ce plan digne de Dreyer et de Pasolini… Beauvois a osé, et il a bien fait ».
On ne saurait mieux dire ; dans l’article que j’ai écrit et que vous pouvez trouver sur le site du Jury Œcuménique, je notais simplement que c’était le meilleur film sur un sujet religieux depuis le Thérèse d’Alain Cavalier (1986). Ce film est donc parfaitement récompensé par le Grand Prix du Jury, qui souvent récompense un film de grande qualité esthétique et humaniste (Par exemple L’homme sans passé de Aki Kaurismäki en 2002). Il sortira sur les écrans en septembre.
La Palme d’Or
Elle a été attribuée au film thaïlandais de Apichatpong Weerasethakul Oncle Boonmee.
Ce cinéaste avait déjà conquis les critiques cinéphiliques parisiens par ses deux films précédents : Tropical malady (2004) était classé troisième dans le « Top ten » des Cahiers du Cinéma pour la première décennie 2000. Ces films nous emmènent dans la forêt tropicale du Nord de la Thaïlande, avec des images superbes, et font apparaître, conformément à une culture fort éloignée de la nôtre, des ancêtres, des tigres ou autres fantômes. Je n’ai pas vu ce film, projeté le dernier jour du Festival ; j’avais déjà quitté Cannes, mais j’avais dit à plusieurs amis dès le mercredi précédent qu’il était candidat à la Palme d’Or, certes à cause du talent de son réalisateur, mais surtout du fait qu’il avait tapé dans l’œil de l’élite cinéphilique : « C’est selon moi le cinéaste le plus stupéfiant et le plus représentatif de cette première décennie cinématographique du vingt-et-unième siècle… Je n’avais jamais vu autant d’inventions post-godardiennes. » (Dominique Païni, dans les Cahiers). Personnellement, je reste plus réservé, mais il faudra voir ce nouveau film, qui a suscité à Cannes des impressions mitigées.
Le reste du Palmarès
Il est à mes yeux parfaitement défendable, en retenant 8 films sur les 19 de la Sélection Officielle. De grands anciens, Takeshi Kitano, Ken Loach, présentaient des œuvres de second plan. Alejandro Gonzalez Inarritu, Abbas Kiarostami, sont discrètement récompensés à travers leur interprète principal, qui le méritait, Javier Bardem, qui porte de bout en bout le film Biutiful dans les zones sombres de Barcelone, et Juliette Binoche, bouleversante dans la deuxième partie de ce nouveau Voyage en Italie. Je regrette seulement que le très bon film de Mike Leigh, Another Year, presque aussi bon que Secrets et mensonges, Palme d’Or 1996, ne soit pas au Palmarès. Il le méritait autant que le très beau et profond film coréen Poetry. De ce point de vue, le Palmarès du Jury Œcuménique, décerné vingt-quatre heures avant le Palmarès officiel, est remarquable : donnant son Prix, sans hésiter, à Xavier Beauvois, il décerne aussi deux mentions spéciales à Another Year et à Poetry.
D’autres films
Parmi les autres films que j’ai vus, on pourra retenir, quand ils sortiront, plusieurs films fort intéressants sur les relations père-fils : elles sont profondément perturbées par le fossé qui se crée en Extrême-Orient entre les générations, mais elles restent fondatrices, comme plus généralement la famille, dans des contextes culturels et sociaux pourtant fort différents : Chongking Blues, de Wang Xiao Chuai (Chine) et Sandcastle, de Jun Feng Boo (Singapour), auxquels on peut ajouter Le secret de Chanda, d’Olivier Schmitz (Afrique du Sud), cette fois un très beau portrait d’une jeune fille de douze ans dans une situation familiale et sociale très difficile.
Jacques Lefur
le 31 mai 2010