Faire bouger l’Église catholique
Ce livre prolonge une publication antérieure de Joseph Moingt sur la situation de l’Église catholique dans le monde actuel 1. Il nous recommandait alors de contester une institution catholique jugée trop rigide, enfermée dans son ancienne formule : hors de l’Église pas de salut, alors même que : « l’Église n’a pas sa fin en elle-même » (p. 126). S’adressant à chaque catholique, il s’attachait à justifier et à réanimer la foi des fidèles, fondée sur la nouveauté éternelle de l’Évangile.
Dans la dernière publication 2, cette réflexion se prolonge pour se centrer sur le comment vivre la foi évangélique aujourd’hui. Différents auteurs ont participé à cette recherche (Jean Housset, Gilles Lacroix et Guy de Longeaux), sous l’égide de l’association Chrétiens en recherche 41.
C’est un appel pressant lancé à tous les laïcs chrétiens : pour vivre l’Évangile aujourd’hui, il faut impérativement le rendre accessible aux hommes de notre temps. Pourquoi s’adresser prioritairement aux laïcs… ? La réponse s’imposerait comme évidente : « cette mission collective incombe, en fin de compte, au laïcat engagé dans la vie et les affaires de ce monde » (p. 15).
Dans cette visée, plusieurs questions sont examinées.
1 – En quoi consiste notre témoignage de l’Évangile ?
En priorité, il faut affirmer la nécessité de distinguer clairement deux réalités : d’une part, la situation d’une Église institutionnelle coupée du monde, désertée par ses fidèles et, d’autre part, le message évangélique qui demeure porteur d’un humanisme toujours actuel. C’est la Bonne Nouvelle, qu’il convient de débarrasser d’un habillage religieux, plus ou moins désuet. L’Apôtre Paul l’avait annoncé : « Les temps anciens ont disparu, un monde nouveau est apparu » (2Corinthiens 5,16).
J. Moingt en conclut : « Ainsi, l’Évangile se traduit en acte dès ses commencements, en acte de recréation de la société, d’humanisation, de régénération du monde. Tel est l’Évangile dont nous devons témoigner » (p. 23). « C’est pourquoi Jésus exhorte ses disciples à interpréter les signes des temps » (p. 24, Matthieu 16,3).
Mais si, par origine, cette charge fut commune à toute l’Église, à partir du IIIe siècle les laïcs se virent retirer le droit à la parole, alors exclusivement réservée aux ordres sacrés (p. 38). Puis, Vatican II est intervenu pour faire appel aux laïcs et remettre en lumière l’unité des chrétiens animés par la conduite de l’Esprit. « Membres du Peuple de Dieu, ils participent tous à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, ce qui les habilite à exercer des responsabilités et des charges dans l’Église (…) pour semer la parole de Dieu dans le monde » (p. 39, cf. Lumen Gentium § 4-5, 12, 31-37).
2 – Ce témoignage s’accompagnerait-il de la mise en place de réformes structurelles ?
Ecartant l’hypothèse de tout bouleversement d’ordre structural, Moingt se borne à évoquer la mise en place d’une évolution très progressive, impulsée par les laïcs. Il s’agirait : « d’esquisser une pastorale du changement par petits pas, de travers et de côté » (p. 49). C’est ainsi qu’il consacre les deux tiers de cet ouvrage à développer l’idée d’une évolution lente, dont le moteur principal correspondrait aux initiatives des laïcs, dans la mesure où leur pouvoir d’initiative, comme interlocuteurs majeurs, serait reconnu comparable au pouvoir dont ils jouissent individuellement, au sein de la société civile démocratique.
3 – L’humanisme évangélique : quel homme l’Evangile nous invite-t-il à devenir ?
« Ceci devrait nous conduire à une conception du christianisme davantage orientée vers l’éthique évangélique que vers le christianisme comme religion et pratique religieuse » (p. 82). Dans un monde où les sociétés se sont dégagées de l’influence des religions (reléguées dans l’espace privé) il ne s’agit plus de prêcher le retour au religieux et au sacré (toujours demandé par les intégristes, jeunes et vieux). Aujourd’hui, enfin, l’Église reconnaît clairement que les valeurs communes républicaines, liberté, égalité, fraternité, d’abord frileusement refusées, sont reconnues d’origine chrétienne (d’ailleurs même par des spécialistes historiens athées, tel Marcel Gauchet). Se référant à Galates 3,2 J. Moingt rappelle que « Paul est le fondateur de la société ouverte, en tant qu’il a contribué à changer une politique fondée sur la discrimination » (p. 119).
En conséquence, être chrétien suppose que l’on vive sa foi en société, notamment dans de petites communautés réunies sur le partage de la parole évangélique. « Ce partage incluant le partage du pain comme cela se faisait au début de l’Église (…). C’est ainsi que, peu à peu, les fidèles pourront prendre et exercer un droit de citoyenneté dans l’Église (…). Celle-ci ne sera respectée dans le monde que dans la mesure où elle apparaîtra, elle-même, comme un espace de vie et de liberté politique. Tant qu’elle n’apparaîtra pas ainsi, alors elle apparaîtra comme une secte religieuse où c’est le rite qui domine tout » (p. 123).
À partir de Vatican II, l’Église a commencé « à insérer le salut dans la recherche du sens. C’est l’homme qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il faut renouveler » (p. 128). Dans les deux pages suivantes (p. 129-130), l’Auteur précise : « Dieu ne veut pas sauver des individus, Dieu veut sauver l’humanité comme totalité » (…) Qu’ils soient tous un, c’est le testament de Jésus (Jean 17,21). C’est pourquoi, le maintien de l’attitude discriminatoire de l’Église à l’égard des femmes (reléguées dans des fonctions subalternes), constitue un non-sens, lourd de conséquences. « L’avenir de l’Église est donc bien mis en cause par l’aspect éthique de la condition féminine » (p. 142).
4 – Le sacerdoce commun des fidèles
En fin d’ouvrage, dans ce qui est appelé Annexes, Moingt souhaite que l’Église abandonne sa tendance actuelle du « retour au religieux et au cultuel », tendance qui s’affirme totalement en opposition avec les signes du temps. Car en fait : « Ce qui doit aider le travail de ressourcement dans les Écritures et dans la tradition, c’est d’apporter une aide et non un frein à l’adaptation de l’Église à sa mission (…). Or, elle existe, éclairante quoique rare : c’est ce que l’on appelle le sacerdoce commun des fidèles » (p. 167).
Comment alors situer ce sacerdoce par rapport à celui exercé par les clercs ? D’abord un rappel important : « Il y a un seul sacerdoce qui est participation à l’unique sacerdoce du Christ, mais que les apôtres exercent différemment, en vertu d’une participation spéciale à sa mission (…) et ne consiste donc pas, au premier chef, en un pouvoir de gouvernement hiérarchisé et territorial, mais en une responsabilité pastorale qui comporte avant tout un devoir de vigilance » (p. 172). Entre les deux formes, Moingt reconnaît une différence en terme de degrés, mais non en terme d’essence tel que, pourtant, l’admettait Vatican II (p. 173, Lumen Gentium, n° 10).
Alors, J. Moingt propose une distinction ingénieuse entre les deux formes de sacerdoce, exercées en des situations différentes : l’une relative au culte public et l’autre au culte exercé dans de petites communautés. La 1e requiert le ministère ordonné, parce que le prêtre a le pouvoir, reconnu par l’évêque, de participer à son autorité pastorale pour rassembler et convoquer le peuple ; ce n’est pas le cas de la 2e, laquelle résulte d’un rassemblement privé plus ou moins spontané. Et, comme l’avenir du sacerdoce est menacé de tarissement, J-Moingt pense qu’il faudra faire appel aussi à des hommes mariés et même à des femmes… Sans formellement définir davantage.
Commentaire personnel en guise de conclusion provisoire
Cette espérance est présentée comme un remède efficace en vue de sortir le christianisme de son isolement actuel, dans une situation mortifère que l’auteur analyse avec lucidité. Il fonde cette vision d’espérance sur le message fondamental de l’Évangile, dont les laïcs seraient essentiellement les agents actifs. Certes, ce jugement est fondé théologiquement. Pour autant, dans la situation actuelle, peut-on être sûr de l’efficacité d’une telle conclusion ? Je crains que cela nous enferme dans un vœu pieux… Je ne vois pas comment ce mouvement, propre aux laïcs, serait assez dense pour parvenir à ébranler toute l’institution…
Je me suis alors permis d’exprimer ma grande perplexité, en téléphonant, avec confiance, au Père Joseph Moingt dont l’accueil est toujours aussi simple et largement ouvert. Me confirmant sa propre inquiétude sur la situation actuelle de l’Église, il m’a aussi justifié sa propre espérance, fondée sur des faits nouveaux. Il semble que de nouveaux rapports entre la hiérarchie et les laïcs apparaissent en certains diocèses. Ainsi, dans le diocèse de Mgr Rouet, ces rapports traduiraient une évolution harmonieuse, décrite dans un ouvrage récent publié par cet évêque 3.
Je propose aux amis lecteurs de G&S de lire, comme moi, ce dernier livre et de juger s’il ouvre une piste nouvelle et crédible. C’est à voir et à étudier, car ce qui est réalisé en un lieu dit pourrait peut-être offrir le début d’une généralisation, ailleurs…
Francine Bouichou-Orsini
1 – Joseph Moingt, Croire quand même. Ed. Temps Présent, novembre 2010
2 – Joseph Moingt, Faire bouger l’Église catholique. Ed. Desclée de Brower, août 2012
3 – Mgr Rouet, L’étonnement de croire. Ed. de l’Atelier, janvier 2013