Face à la vieillesse, apprivoiser le sourire de la grâce
La question de l’avenir des systèmes de retraite est posée de façon de plus en plus pressante à nos sociétés. Il semblerait que le président de la République veuille y répondre par une des réformes phares de son quinquennat. Au-delà des déficits financiers qu’il faudra bien prendre à bras le corps, c’est le sens même de la vieillesse qui est en jeu.
Dans un ouvrage assez poignant où il s’interrogeait sur son propre vieillissement, Claude Olievenstein, médecin psychiatre spécialisé dans la prise en charge des toxicomanes, décédé en 2008, écrivait ceci : « Il y a deux âges privilégiés pour se préoccuper du sens de la vie : l’adolescence où tout est éveil, où l’inquiétude, qui peut être extrême, est mâtinée d’espoir sous-tendu par les forces vives en ébullition ; et puis le moment de la reconnaissance, par l’intime conviction de la naissance de la vieillesse, de son parcours inéluctable, point de départ d’une interrogation, à vous rendre fou, sur votre devenir » 1.
La vieillesse est un formidable miroir pour une société qui a érigé le culte de la jeunesse, de la performance et de la consommation en absolu. D’où l’effort de celui qui se sent vieillir de tenter de coller le plus possible à ces images afin de se sentir encore intégré. Le docteur Jean Maisondieu, un des meilleurs spécialistes de la maladie d’Alzheimer, voit dans cette pathologie, qui va atteindre de plus en plus de personnes âgées dans les pays développés, non seulement un processus biologique de dégradation, mais le résultat de cette injonction contradictoire : il faut vivre le plus longtemps possible mais rester jeune le plus longtemps possible. 2
Face à la vieillesse, une société ne peut éviter de s’interroger sur son système de valeur. La naissance de l’humain, et donc du politique, passe par la prise en compte de la dignité radicale de chaque être humain. La vieillesse incarne à la fois une figure d’expérience, d’autorité et de faiblesse. Dans une société impitoyable aux faibles, la tentation est de se focaliser sur les manques par rapport à l’étalon-or du jeune-dynamique-gagnant. La vieillesse est alors vécue comme une succession de pertes. Cela peut l’entraîner dans des écueils bien connus : soit la crispation sur une gérontocratie où l’affirmation du pouvoir devient de plus en plus ubuesque pour compenser les atteintes de l’âge. Ou bien la capitulation devant l’impossibilité croissante de s’identifier aux belles images sociétales dans un abandon progressif des échanges sociaux pouvant aller jusqu’à la démence sénile.
Dans une conférence donnée en 2007 au Temple de l’Etoile à Paris intitulée Vivre en étant vieux, Maurice Bellet déclarait : « à l’approche de la mort, vanité des vanités tout est vanité – sauf la chose qui demeure : l’amour, le grand amour, celui qui veut tout, espère tout, pardonne tout, celui que les premiers disciples nommaient d’un nom à peu près intraduisible, agapè, la très haute et très humble tendresse » 3. La retraite permet de prendre la distance avec le « struggle for life » devenu l’alpha et l’oméga du libéralisme triomphant. La sagesse de la vieillesse passe par la capacité d’assumer enfin la finitude de l’homme niée chaque jour dans la fuite en avant d’une société évacuant la mort au profit d’un fantasme perpétuel de dynamisme et de jeunesse. Ne plus pouvoir s’identifier au Prométhée conquérant ou au Sisyphe d’un travail dont le sens se perd dans une mondialisation financière sans foi ni loi peut permettre d’apprivoiser le sourire de la grâce.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 16.05.10)
1 - Claude OLIVENSTEIN : Naissance de la
vieillesse. Éditions Odile Jacob Paris 1999, p.40.
2 - Cf. Jean MAISONDIEU : Le crépuscule de la raison nouvelle édition Bayard 1996
3 - Maurice BELLET : Vivre en étant vieux. Conférence donnée le 14.11.07 au Temple de l’Etoile à Paris.