Ève et le serpent, Marie et les papes : c’est l’Apocalypse !
En ce jour où l’Église catholique fête la conception immaculée de la Vierge Marie, je ne voudrais pas jeter le trouble parmi ceux d’entre vous, amis lecteurs, qui ne se posent aucune question sur le bien-fondé du dogme qui la définit et/ou sur l’identité de la personne qui doit écraser la tête du serpent selon les paroles de Dieu dans la Genèse.
Mais, comme vous le savez, j’aime aller voir comment les choses dont parlent si brillamment les grands penseurs de la foi sont dites par les textes bibliques.
Commençons donc par…
L’annonce de Dieu au serpent (Genèse 3,15)
Cette annonce se situe immédiatement après que l’homme et la femme ont mangé le fruit défendu – le fruit de la connaissance du Bien-et-Mal – et, selon les traductions officielles, se sont revêtus d’une feuille de figuier pour cacher leur nudité avant de se cacher sous un arbre, par crainte de Dieu.
Ils ont avoué à Dieu qu’ils ont mangé le fruit à cause du serpent tentateur (cf. l’article Dieu, la femme et le serpent : qui ment ?). Dieu s’adresse alors au serpent : « J’établirai une haine entre toi et la femme, entre ton lignage et son lignage. Lui t'écrasera la tête et toi tu l'atteindras au talon » (traduction personnelle).
Le texte hébreu est : ouveyn zar’’ach ouveyn zar’’ah hou’, qu’on peut traduire par entre ta race et sa race ou entre ta semence et sa semence… mais j’aime mieux le mot lignage pour la raison suivante : le mot zara’’ est masculin en hébreu et, pour éviter toute ambiguïté il faudrait donc écrire soit : entre tes descendants et ses descendants, soit, comme la B.J. : entre ton lignage et le sien… Le pronom sujet qui suit (le lui qui écrase) est aussi du genre masculin, ce qui est logique : il s’agit du lignage de la femme !
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup, comme on va le voir !
La traduction proposée correspond au texte hébraïque : celui qui écrasera la tête du serpent est le lignage de la femme. Dans une « lecture chrétienne », un nom peut venir à l’esprit...
Mais étudions maintenant de près comment sont traités les mots lignages et lui dans les versions en grec et en latin.
La Septante (version grecque du Premier Testament vers le 2e siècle avant JC) écrit : kata ana méson tou spermatos sou kaï ana méson tou spermatos autês, où le mot sperma (équivalent du lignage) est du genre neutre, puis elle effectue une rupture de genre en écrivant : autos sou tereseï kaphalên, kaï su tereseïs autou pternan, où le sujet autos (lui ) est du genre masculin et ne peut donc s’appliquer NI à la femme NI à son lignage !
Doit-on en conclure que les auteurs de la Septante ont pris position pour l’attente d’un Messie personne physique unique ?
La Vulgate (version latine de la Bible, écrite par saint Jérôme ; né vers 347) écrit : inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen illius (illius est invariable aux 3 genres), où le mot semen (équivalent du lignage) est du genre neutre, puis effectue une rupture de genre en écrivant : ipsa conteret caput tuum et tu insidiaberis calcaneo eius où le sujet ipsa est du genre féminin (le lui est devenu elle !) et s’applique de toute évidence à la femme (la future Ève) et NON à son lignage…
L'annonce de Dieu à la femme…
… que nous appellerons Ève, pour simplifier ! Dieu dit : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils » (3,16).
Pour qu’elle comprenne bien, Dieu utilise la forme augmentative déjà utilisée pour mettre en garde l’être humain primordial en Genèse 2,17 : « mourir tu mourras » ; Dieu lui dit donc : « augmenter j’augmenterai », harvah ’arvêh !
On devrait donc lire : « augmenter j’augmenterai ta douleur et ta grossesse ; dans la douleur tu enfanteras des enfants ».
Remarquez la forme bizarre : ta douleur et ta grossesse, qui ne semble pas être, en hébreu, l’équivalent de : les douleurs de ta grossesse ; si quelqu’un parmi vous a une explication, je suis preneur !
Voilà donc les éléments mis en place ; nous pouvons passer à la suite…
La femme de l’Apocalypse
Je veux évidemment parler de cette femme qui apparaît en Apocalypse 12 et dont il est dit :
Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement. Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un diadème. Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né. Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer ; et son enfant fut enlevé jusqu'auprès de Dieu et de son trône, tandis que la Femme s'enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie mille deux cent soixante jours.
La tradition catholique a longtemps vu dans cette femme – et y voit encore, souvent – Marie, mère de Jésus et ajoute régulièrement :après son Assomption, certainement parce qu’elle est au ciel ! L'enfant mâle serait donc Jésus (Apocalypse 12,5), le Messie, celui à qui Dieu a dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande, et je te donne les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre ; tu les briseras avec un sceptre de fer, comme un vase de potier tu les casseras. » (Psaume 2,7-9)
Ce point de vue a été souvent repris par des papes et notamment par :
Saint Pie X dans sa Lettre encyclique Ad Diem Illum Laetissimum, 2 février 1904 : « Un grand signe – c'est en ces termes que l'apôtre saint Jean décrit une vision divine – un grand signe est apparu dans le ciel : une femme, revêtue du soleil, ayant sous ses pieds la lune, et, autour de sa tête, une couronne de douze étoiles" (Apocalypse 12,1). Or, nul n'ignore que cette femme signifie la Vierge Marie, qui, sans atteinte pour son intégrité (admirez l’expression ! NDR), engendra notre Chef. »
Paul VI : Exhortation apostolique Signum Magnum, 13 mai 1967 : « Le signe grandiose que saint Jean vit dans le ciel : une femme enveloppée de soleil, la liturgie l'interprète, non sans fondement, comme se rapportant à la très sainte Vierge Marie, Mère de tous les hommes par la grâce du Christ rédempteur. »
Jean-Paul II : Lettre encyclique Redemptoris Mater, 25 mars 1987 : « Ainsi celle qui, pleine de grâce, a été introduite dans le mystère du Christ pour être sa Mère, c'est-à-dire la Sainte Mère de Dieu, demeure dans ce mystère par l'Église comme la femme que désignent le livre de la Genèse (3,15) au commencement, et l'Apocalypse (12,1) à la fin de l'histoire du salut » 1.
Vous savez que dans l’iconographie Marie est souvent représentée comme la femme de l'Apocalypse : enveloppée par le soleil, couronnée d'étoiles, la lune et le serpent sous ses pieds. C’est le cas du tableau de Rubens (à gauche). Celui de Tiepolo, tout en montrant une femme qui rappelle de façon évidente la femme de l’Apocalypse, s’intitule L'Immaculée Conception .
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Comme vous le savez sûrement – l’Immaculée Conception de Marie est le fait que, bien qu’ayant été conçue par ses parents de façon normale, elle a été protégée in utero de ce qu’on appelle le péché originel d’Adam et Ève, transmis à tout enfant qui naît, pour les siècles des siècles...
Peut-être qu’ils ont raison, mais…
La femme d’Apocalypse 12 peut-elle être Marie ?
Ce qu’on peut dire, c’est qu’elle est visiblement une descendante d’Ève, la femme qui a désobéi à Dieu et à qui Dieu a dit : Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils, puisqu’en Apocalypse 12,2 il est écrit qu’elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement !
Mais il y a un problème…
… car le 8 décembre 1854 Sa Sainteté le Pape Pie IX, dans sa Bulle Ineffabilis Deus sur la Définition dogmatique de l’Immaculée Conception écrit : « Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine qui tient que la bienheureuse Vierge a été dans le premier instant de sa Conception, par une grâce singulière de Dieu et par privilège, en vue des mérites de Jésus-Christ sauveur du genre humain, préservée de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. »
La conséquence immédiate de cette décision, révélée par Dieu lui-même, selon Pie IX, est que Marie, protégée du péché originel dès sa conception ne peut pas être la femme de l’Apocalypse qui crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement à cause de la faute d’Ève !
Mais il y a pire ! Depuis le 8 septembre 1854 tous les catholiques qui ont continué ou qui continuent à assimiler Marie à cette femme en ne tenant aucun compte de l’impossibilité due à sa conception immaculée sont visés par la suite du texte de Sa Sainteté le Pape Pie IX : « Si donc quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la présomption d’avoir des sentiments contraires à ce que nous venons de définir, qu’il sache bien qu’il se condamne par son propre jugement, qu’il a fait naufrage dans la foi, qu’il s’est détaché de l’unité catholique, et, de plus, que par le fait même il encourt les peines portées par le droit s’il ose manifester par parole, par écrit ou par quelque autre signe extérieur ce qu’il pense intérieurement. »
Donc les Papes Saint Pie X, Paul VI et Jean-Paul II (et peut-être d’autres) se sont condamnés eux-mêmes, ont fait naufrage dans la foi et se sont détachés de l’unité catholique en assimilant la femme de l’Apocalypse à la Vierge Marie qui, protégée par son immaculée conception, ne pouvait pas crier dans les douleurs et le travail de l’enfantement.
Rassurez-vous, ils n’ont jamais été inquiétés…. Mais ne trouvez-vous pas que l’Église Catholique Romaine s’est mise dans une véritable impasse à force de vouloir faire de Marie tout et encore plus que tout, dans sa course folle aux dithyrambes de plus en plus osées ?
Rappelons-nous que Marie est la Goutte de la mer (cf. l’article Marie, étoile de la mer ?) jeune juive au milieu du peuple juif que Dieu a choisie pour être la mère du Sauveur.
Que rajouter à cela ?
Rien ; à mon humble avis tout le reste n’est que discours brillants, mais seulement discours.
J’aime infiniment mieux ce targum (traduction de la Bible commentée par des juifs) sur Genèse 3,15 (Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre les descendants de tes fils et les descendants de ses fils.) : Et il arrivera que lorsque les fils de la femme observeront les préceptes de la loi [de Moise], ils te prendront pour cible et ils t’écraseront la tête. Quand par contre ils oublieront les préceptes de la loi, toi tu leur tendras un piège et les mordras au talon. Cependant, pour eux il y aura un remède, alors que pour toi il y n’aura pas remède. Ils trouveront un remède pour leur talon le jour du roi messie.
Oui, j’aime !
Et vous ?
1 – Cela est d’autant plus incompréhensible que Jean-Paul II a signé le 25 avril 1979 la Constitution apostolique de promulgation de la Nova Vulgata (dite en
français Néo-Vulgate) mise en chantier par Paul VI.
Dans la Néo-Vulgate, le verset 3,15 est : Inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen
illius ; ipsum conteret caput tuum, et tu conteres calcaneum eius. On voit que celui qui écrase la tête du serpent est ipsum, du genre
neutre, comme semen, et qu’il s’agit donc du lignage d’Ève et non d’une femme.