Encore le voile ? Ne nous voilons pas la face !
En réponse à l'article de Laurence Desjoyaux
Dans cette difficile, périlleuse et récurrente affaire du voile on mélange plusieurs questions, dont chacune est complexe et peu claire. Je ne parle ici que de la burqa ou du niqab, non pas d'un voile discret qui couvre la chevelure de la croyante (si sa religion l'y oblige, ce qui reste controversé parmi les musulmans eux-mêmes) ; je parle de cet habit qui donne à des femmes, des êtres humains, une allure fantomatique et les sépare des autres, les coupe de leurs prochains. Au fond, ne pourrait-on pas trouver contre ceux qui en prônent le port matière à poursuite pour "discrimination" ? On dénonce tant d'autres formes de ségrégation !
L'article de Laurence Desjoyaux, qui semble vouloir s'en tenir à un point de vue juridique, risque de renforcer le camp de ceux qui mettent de l'huile sur le feu vis-à-vis de nos concitoyens musulmans ou, au contraire, de ceux qui défendent un laïcisme étroit.
Sans être un "fanatique" de la laïcité, on peut constater que, depuis plus d'un siècle, la France a pu vivre en paix civile grâce à un certain nombre de principes posés par la IIIe République : séparation de l'Église et de l'État sur le plan politique, école laïque où l'on ne doit enseigner rien en faveur ou contre une religion, discrétion des manifestations religieuses publiques, etc. Grâce à elle, "nos" intégristes chrétiens – qui feraient également peur s'ils disposaient du pouvoir de nuire – restent marginaux et ne peuvent peser sur la vie politique ou spirituelle du pays.
Indépendamment de la foi intime de nos compatriotes musulmans, qui doit être respectée, on peut souhaiter (exiger ?) que les Français ou étrangers membres de cette religion, présents en France, respectent les modes de vie du pays d'accueil. La nation française s'est bâtie peu à peu depuis mille ans sur un certain nombre de valeurs (par exemple Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité…). Même si ces beaux et justes principes ne sont toujours pleinement vécus, ils ont jusqu'à présent été reconnus et admis par les Français. La présence massive de musulmans remonte à moins d'un siècle ; il faudrait que les nouveaux français (naturalisés ou nés en France de parents immigrés), et a fortiori ceux qui restent des étrangers, ne détruisent pas – volontairement ou non – ce qui s'est construit à travers beaucoup de sueur, de sang et de larmes, mais avec aussi un grand désir de vivre ensemble, de constituer une communauté et non une série de collectivités autonomes et éventuellement antagonistes.
On entend répéter par les partisans de la liberté de port du voile un argument qui paraît superbement paradoxal : l'interdiction "stigmatiserait" les musulmanes. Or, si les mots ont gardé un sens, la stigmatisation était l'imposition d'une marque visible signalant des "hors-la-loi" ou bannis de la société : crécelle maniée par les lépreux, fleur de lys au fer rouge pour les bagnards, étoile jaune ou rose pendant l'occupation nazie sur les Juifs ou les homosexuels etc. Il est évident qu'on remarquera davantage une femme portant la burqa, qu'une femme habillée décemment mais discrètement. Si les musulmanes veulent être considérées citoyennes comme les autres, est-ce bien en se singularisant de cette manière provocante qu'elles réussiront ?
Autre problème : certains s'étonnent qu'on puisse avoir peur de l'Islam, "religion de paix". Indépendamment de l'inquiétude provoquée par les exactions des djihadistes, qui ne relève pas de cette réflexion, il faut pointer les petits heurts de la vie quotidienne. Avec le port du voile, on dispose d'un exemple symptomatique. C'est un constat historico-sociologique élémentaire que l'autre, l'étranger, le différent fait peur quand il présente un aspect inattendu ou choquant. Les hippies barbus et bariolés ont naguère inquiété bourgeois et paysans. Dans l'entre-deux-guerres, tout enfant, je me souviens des sentiments contradictoires que provoquait la rencontre des malheureux "gueules cassées" de la guerre 14/18 : compassion devant leur souffrance, mais aussi dégoût parfois, peur souvent. Ça n'a rien d'une "phobie", c'est une réaction épidermique irraisonnée comme celle des enfants devant l'inquiétante silhouette de Belphégor dans les années 60.
Question plus grave : si l'on acceptait cette revendication, qui émane davantage des "islamistes" que des simples croyants, ne mettrions-nous pas le doigt dans l'engrenage d'autres exigences, de plus en plus proches de la charia, qui elle aussi fait peur ?
On connaît la tactique qui consiste à grignoter des droits hors du droit commun pour imposer progressivement une autre société que celle dans laquelle nous vivons. Je suis de ceux qui ne considèrent pas notre mode de vie comme l'idéal humaniste, mais enfin c'est le nôtre.
On souhaiterait que des personnes venus d'ailleurs, avec des mœurs respectables mais différentes, s'accommodent du pays d'accueil. Je rejette la brutalité des nationalistes extrémistes de droite disant « si ça ne vous plaît pas repartez ailleurs », mais tout ce qui heurte la sensibilité des Français "de souche" (souvent d'origine espagnole, italienne, polonaise, etc., mais parfaitement intégrés) ne fait qu'alimenter ce qu'on appelle sommairement l'islamophobie.
En outre, n'y aurait-il pas une certaine politesse à attendre de la part de ceux qui se sentent ou se veulent différents, à ne pas nous contraindre à supporter des pratiques qui nous choquent ? Je serais tout aussi sévère avec des touristes européennes, qui sortiraient affublées de minijupes en pays musulmans.
Marc Delîle
P.S. : Il faudra bien un jour que l'on réfléchisse sérieusement à cette question de l'intégration, égalitaire mais qui évite les particularismes et l'émiettement de la Nation, à ne pas confondre avec une assimilation qui pourrait garder des relents néo-colonialistes en ne respectant pas les cultures propres des nouveaux citoyens. On dit bien ici culture et non projet politique divergent, voire hostile.