Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Deux portes ouvrent sur ce quatorzième dossier de notre blog consacré à l’Étranger. L’une, baignée de la lumière de l’accueil ; l’autre qui laisse filtrer les teintes plus froides de l’ailleurs, avec sa part d’incertain, d’inconnu. L’ouverture à l’accueil ; l’appel vers l’ailleurs : tels sont bien les maîtres mots des contributions que nous avons réunies.
L’accueil, et d’abord – préalable indispensable – l’accueil de soi. Car « savons nous qui nous
sommes ? L’homme est étranger à son origine » comme le souligne d’emblée C. Kappler, chercheuse au CNRS, dont l’article, L'homme, étranger en ce monde selon le gnosticisme et le soufisme persans n’a
pas pour seul mérite d’introduire à une sagesse méconnue en Occident ; il est aussi un florilège de poèmes d’une rare qualité. L’ accent est autre en
Occident, mais non le questionnement, comme le marque la contribution de Marc Durand, De qui suis-je l’étranger ? qui traite également de l’”étrangeté” de l’homme, opaque à
lui-même et à ses sentiments comme à l’égard de ceux qui l’entourent.
Mais l’appel de l’ailleurs, aussi, dont traitent également en ouverture deux contributions. Celle d’I. Vissière, professeure émérite à l’Université de Provence, Le sauvage et le mandarin-L’étranger vu par les missionnaires jésuites aux XVIIe et XVIIIe siècles, ces pionniers à qui l’on doit cette découverte fondamentale : dans la rencontre de l’autre, l’étrangéité fonctionne dans les deux sens. Un constat que ne démentit pas J.-P. Zehnder, ancien journaliste à l’Est républicain, qui livre son expérience d’une vie de grand reporter dans un article, Dans la peau de l'étranger, en forme d’avertissement : « Notre monde se ferme ! »
L’accueil de l’autre (et d’abord de l’Autre, du « Je suis » du Sinaï), tout autant que l’appel vers l’ailleurs, sont également les ressorts des Écritures comme de la tradition judéo-chrétienne. Notre blog ne pouvait pas ne pas les convoquer dans une réflexion sur l’Étranger. Cela par le biais de quatre articles, également répartis entre Écritures et tradition. Pour les Écritures, dans sa contribution Dieu et l’étranger : une étrange relation, R. Guyon dit comment le peuple d’Israël, lui-même longtemps étranger en Égypte, a lu sa mission comme une constante tension entre attachement à une religion ethnique et ouverture à l’universalisme. Et dans l’article de J. Lefur, Jésus et les étrangers, c’est la même et progressive découverte de l’universalisme qui se vérifie, d’abord dans le cheminement du Seigneur lui-même, puis chez ses disciples après sa résurrection. De là un impératif d’ouverture et d’accueil qui se retrouve chez ceux pour qui les Écritures sont nourriture. En sont témoins ici le billet de N. Gadea Vous avez dit hospitalité ?, en forme de fioretto éclos en marge des écrits d’E. Bianchi, qui invite à la fois à accueillir l’hôte intérieur et à pratiquer le « sacrement du frère », et cet autre fioretto que constitue la « bonne feuille » que nous avons cueillie dans l’ouvrage de B. Chenu, La trace d’un visage, en lui donnant pour titre Le visage selon E. Lévinas : une expérience de l'autre.
Autant de textes qui introduisent à ce qui est au cœur du dossier comme au cœur de chacun : le sort que réserve aujourd’hui notre pays aux étrangers. Ils y sont entre deux portes ; l’image qui illustre notre dossier peut aussi le symboliser. À cette importante nuance près que la porte de l’accueil est en passe de se refermer pour eux, tandis que s’ouvre, béante (et sur le noir, non sur la lumière), celle de l’ailleurs. Le récent débat sur l’identité nationale l’a assez montré. Nous avons donc voulu y revenir, par la belle contribution de M. Delîle, Carte d'identité ou identité à la carte ? : l'identité nationale face à l'étranger, qui laisse percevoir ce que ce débat aurait pu (et dû) être s’il n’avait été pollué par autant de mesquines arrière-pensées électoralistes. Car comment la France – et singulièrement la Provence – pourraient-elles promouvoir l’« identité à la carte », elles dont l’identité est, plus que pour toute autre nation, le fruit d’immigrations multiples ? Le rappellent ici un billet de B. Lambert, Nos ancêtres les Wisigoths, les Ostrogoths, les Arabes… que nous avons emprunté au n° 5 de feue la revue Garrigues et, plus fondamentalement, un article de R. Schor, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Sophia-Antipolis, sur Les Italiens dans les Alpes-Maritimes. Même si le mot est un peu passé de mode, on y verra un bel exemple d’une « intégration » réussie. Prenons garde seulement que cette intégration n’a pas toujours suivi le cours d’« un long fleuve tranquille » ; à preuve le livre récent de Gérard Noiriel, Le massacre des Italiens, Aigues-Mortes, 17 août 1893, Fayard, 2010, sur lequel on pourra consulter, entre autres, le compte rendu qui en a été donné par Télérama (cliquez ICI). Mais le succès a finalement été au rendez-vous.
Ces leçons tirées d’un passé plus ou moins lointain constituent autant de raisons de participer au débat – donc d’y prendre parti – et, mieux encore, de prendre part, si modestement que cela soit, à l’accueil de l’étranger. C’est ce que veut signifier la dernière rubrique du dossier, consacrée comme d’ordinaire à des témoignages. Elle s’ouvre sur deux documents de nature très différente : un autre fioretto de N. Gadea, Sacrée histoire de sandales où l’on verra comment un geste tout simple de fraternité peut engager dans une… histoire sacrée - de sandales, aussi, bien entendu ; une présentation par J. Lefur, dont les lecteurs de ce blog connaissent la passion pour le cinéma, du film Welcome – une fiction, certes, mais grâce à laquelle beaucoup ont appris à connaître ce qu’est la réalité du sort fait aux immigrés. Et si ce n’était que dans la « jungle » de Sangatte ! Autant vaut, ou presque, à notre porte. L’Église catholique invite ses fidèles à en prendre conscience et à le manifester, comme en fait foi l’appel de P. Loubaresse, délégué diocésain à la pastorale des migrants du diocèse de Toulon, Bâtissons un chemin d’Espérance et de Vie, qui invitait en janvier dernier à participer à une Journée mondiale du migrant et du réfugié dont rend compte d’autre part un billet d’E. Grosette que nous avons repris de la revue Iota. Et « qu’ils croient au Ciel ou qu’ils n’y croient pas », des hommes et des femmes se lèvent, nombreux, pour exprimer leur protestation ou pour apporter aide et secours à des détresses que l’on mesurera mieux par la contribution de P. Chouard, Sa seule faute était d'être un Sans-papiers, qui est également l’occasion de mieux connaître les associations ASTI (Aix-Marseille) et AITE dont il est membre. Mais autant vaut, bien entendu, pour la CIMADE que présente son ancien président, B. Picinbono (Cimade et rétention des étrangers en situation irrégulière) ou, d’une autre façon, pour les « Cercles du Silence », ici représentés par un autre billet de P. Chouard, Le cercle de silence d’Aix-en-Provence …
Les points de suspension sont là pour marquer que la rubrique n’est pas close, car ces témoignages sont aussi des appels à témoins. À chacun, maintenant, de s’engager à son tour sur les voies de l’accueil et – pourquoi pas ? – d’en témoigner sur ce blog afin de susciter à son tour d’autres engagements.
G&S
P. S. : À cet éditorial qui en appelle à l’engagement de chacun et sollicite pour finir des témoignages, quelle meilleure réponse que celle qui nous a été adressée par Francine Bouichou-Orsini ? Il s’agit, dit-elle, de simples “remarques qui (...) reflètent des réactions personnelles résultant d’intérêts liés à (son) double engagement comme psychologue de l’enfant et comme chrétienne”. Sa modestie l’honore car ces remarques, nourries de son expérience personnelle et de sa “rumination des Écritures”, comme disait Césaire d’Arles, touchent à un point cardinal qui ne se discerne qu’en filigrane au travers des contributions au dossier. Grâce à ce qu’elle nous livre de La relation d’altérité et de sa valeur fondatrice, ce point apparaît désormais en pleine lumière. Qu’elle en soit remerciée.