Éditorial
Dossier n° 13
Pour mémoire : n'oubliez pas de passer la souris sur l'image,
Présenter ce treizième dossier de notre blog sur La Mémoire sera l’affaire d’un clin d’œil : clin d’œil au rétro de l’image-titre, elle-même conçue comme un clin d’œil adressé au lecteur. Façon de lui faire mesurer, le temps d’un passage de « souris » sur son écran, qu’appréhender la mémoire est affaire de réflexion — et pas seulement, bien entendu, au sens où les lois de l’optique entendent ce terme ! Car la chose requiert une double approche : philosophique et scientifique.
C’est ce que veut marquer l’introduction à ce dossier, où place est d’abord donnée à la science avec l’article de S. Monjanel-Mouterde, La mémoire humaine : aspects physiopathologiques : cette chercheuse au Laboratoire de pharmacodynamie de la Faculté de Pharmacie de Marseille y résume les acquis récents de la biologie, la discipline qui a le plus révolutionné en l’espace d’une génération notre connaissance des processus mémoriels. Quant à la philosophie, elle y est représentée par la contribution de M. Bernos sur Les mécanismes de la mémoire selon saint Augustin, qui nous vaut de revisiter une nouvelle fois sur notre blog cet auteur majeur, le premier en Occident à avoir véritablement frayé les voies de l’introspection.
Cela valait invitation à consacrer au travail sur soi un premier volet de notre dossier, qui compte lui aussi deux articles. Le premier, Une résurrection de la mémoire : la réminiscence est dû à A. Bernos, dont le talent et l’expérience d’une vie de psychanalyste sont mis au service d’une relecture de l’œuvre de Proust qui demeure sans doute la plus emblématique d’un tel travail. Dans le second, Évoquer son passé pour le reconstruire, C. Florès ne revient pas seulement sur Proust comme sur Augustin ; sa contribution convie tout un chacun – vous, moi – à évoquer et penser son passé et donc, nous dit-il, à se poser la question du sens de la vie et, partant, de sa vie. Rien de moins.
Pour autant, la mémoire n’est pas seulement une affaire individuelle ; elle prend aussi une dimension collective, « civique » si l’on veut, à laquelle répond le deuxième volet du dossier, qui compte également deux articles. Le premier, de M. Delîle, Histoire et mémoire(s), invite à bien distinguer ces deux notions également chères à nos contemporains – la seconde surtout il est vrai – afin d’éviter le grave danger qu’il y aurait à les confondre. Mais occulter la mémoire n’est pas moins périlleux que de l’exalter à l’excès, comme le marque bien R. Kaës dans l’autre contribution, Dénis collectifs et mémoire ou se retrouve très heureusement sa double qualité de maître reconnu de la psychanalyse et de cinéphile averti.
Or ce qui vaut pour les peuples en général vaut aussi pour le peuple de Dieu ; aussi le troisième volet du dossier est-il dévolu au rôle cardinal que la mémoire tient dans l’Écriture. Trois articles en traitent, dont deux sont des contributions en miroir dues à R. Guyon, que les habitués de notre blog connaissent bien par la rubrique D’une Alliance à l’autre qu’il y tient régulièrement. L’un, Mal de mémoire, recense à travers les deux Testaments les appels à la mémoire lancés par l’Éternel et les réponses, souvent décevantes, qu’il a reçues des hommes en retour ; l’autre Mémoire de mâle, revient sur le récit de la création dans la Genèse : mémoire archaïque s’il en est, qui est ici ravivée de façon radicale. Quant au troisième article, "Souviens-toi de Jésus-Christ", nous le devons à l’amitié de D. Cerbelaud, dont les talents d’exégète et de pédagogue ne sont plus à vanter : on y trouvera l’analyse la plus claire et la plus à jour qui soit d’une autre genèse – celle des Évangiles – qui procède d’un autre travail de mémoire d’autant plus cher à notre cœur que, sans lui, le peuple chrétien ne serait pas.
Un dernier volet du dossier rassemble des témoignages : comment faire à moins dans un dossier sur la mémoire ? L’un, Devoir de mémoire, est en forme d’interview du maire de Solliès-Pont, dans le Var, qui dit toute l’importance civique que revêt à son sens, aujourd’hui encore, la rituelle commémoration des « poilus » tombés en 14-18. Un autre, Mémoire ouvrière, mémoire d’homme, est en deux volets qui témoignent l’un et l’autre de la profonde sensibilité de leur auteur, M. Arrigoni, qui a su illustrer le texte poignant et poétique à la fois qu’il nous livre par un superbe album photo d’une usine abandonnée où éclate la somptuosité des noirs et des blancs de ses photographies originales. À quoi l’on joindra deux autres témoignages qui donnent chair et vie à ces paysages industriels définitivement abolis : l’un, Mimi Coulange, dresse un beau portrait de militante pour qui une retraite forcée n’a signifié ni la fin des combats, ni celle de ses engagements pour la justice ; l’autre, Ida et Marius, est un témoignage de piété filiale en forme de « roman familial » qui n’est pas sans évoquer l’atmosphère des films de R. Guédigian : cette Ida et ce Marius ne sont pas si loin de Marius et Jeannette…
Est-il besoin de dire que, dans notre esprit, la liste de ces témoignages n’est pas close ? Car ce dossier, on l’aura compris, vaut invitation pour chacun à entrer dans un travail de mémoire et, plus encore, dans un partage de mémoire. Dès lors, amis lecteurs, pourquoi ne pas entrer vous aussi dans ce partage ? Ce blog est fait aussi pour cela ; n’hésitez pas à en user sans modération !
N'oubliez pas de lire également les deux Fioretti mis en ligne en avant-première de ce dossier :
Je ne m'ennuie pas. J'ai des souvenirs et La mémoire : un réservoir vivant.