Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n° 22
Consacrer ce 22e dossier de notre blog à la Loi naturelle nous a paru… tout naturel, tant notre société « post-moderne », comme disent les sociologues, est sensible aux questions d’éthique, cette appellation « politiquement correcte » de la morale. Le débat actuel sur l’extension du mariage aux couples homosexuels le montre assez. Mais gageons qu’il en ira de même pour celui qui est annoncé pour bientôt sur la fin de vie.
De fait, la notion de loi naturelle, telle quelle ou sous des dénominations plus ou moins analogues, a été et reste utilisée pour fonder une morale. Historiquement, ce fut d’abord le cas pour la morale religieuse où la concordance entre l’ordre décidé par le Créateur et sa propre volonté convergent pour renforcer l’autorité des préceptes moraux. Puis pour la morale laïque où la notion de nature dispense de recourir à un garant surnaturel. Soit. Mais pour un chrétien, demeure sous-jacente à toute réflexion une interrogation que le fameux « Et Dieu dans tout ça ? » de Jacques Chancel n’exprime qu’imparfaitement. Car pour qui met sa foi en « Dieu connu en Jésus-Christ », la question est plutôt : « Et l’Évangile dans tout ça ? » Elle sera naturellement au cœur de ce dossier.
Auparavant, un retour sur les fondements philosophiques de la loi naturelle s’impose. Nous le devons à Françoise Monfrin qui nous a fait l’amitié de nous confier une contribution, Loi et droits naturels : les sources antiques, où cette fine connaisseuse de la littérature gréco-romaine a mis le meilleur de sa science. À cause de son étendue, nous avons pris le parti de publier à la fois in extenso et sous forme de résumé rédigé par l’auteure elle-même. Gageons que la lecture du résumé, tant elle est stimulante, donnera aux lecteurs pressés le goût de découvrir dans son intégralité cette véritable somme !
Mais il est non moins nécessaire de préciser les définitions des concepts qui sont en jeu, Nature, naturel, loi naturelle, droit naturel. Ce que fait Joëlle Palesi dans un article qui montre leur complexité qui n’a d’égale que celle de leur articulation. Et cette complexité s’accroît avec la contribution de Jean Palesi, Loi naturelle et évolution, en forme d’examen critique du rapport entre une loi naturelle dont la validité semble a priori aller de pair avec un caractère immuable et ce que la science nous enseigne sur la permanente transformation du monde. Comment s’étonner, sachant tout cela, que le sens commun et les institutions ecclésiales ne répondent pas exactement de la même manière à la question Qu’est-ce qu’un acte « contre-nature » ? comme le montre Marcel Bernos dans un article qui traite de théologie morale. La réponse que donnaient les moralistes classiques en étonnera plus d’un !
Dès lors, la tradition biblique peut-elle fournir un meilleur appui ? En ce cas aussi, on sera surpris par la réponse de René Guyon : La Nature dans la Bible : une sacrée nature ! Car le mot même de « nature » est absent du Premier Testament et dans le récit de la création où la nature est cependant omniprésente, de quelle singulière façon elle répond aux ordres du Créateur ! Quant à la parole évangélique, se réfère-t-elle davantage à la loi naturelle ? Le titre de la contribution d’Alain Barthélemy-Vigouroux Évangile et loi naturelle : un mariage contre-nature ? suggère assez dans quel sens va la réponse. Ce qui n’ôte en rien sa légitimité à cette autre question : Qu'est-ce qu’une morale spécifiquement chrétienne ? dont traite Jacques Lefur en prenant appui exclusivement sur l’enseignement du Christ, dont le caractère radical tient à ce qu’il est appel à l’amour et la liberté. Et si la contribution de Nathalie Gadea, Code religieux ou Humanisme Évangélique ? adopte un tour interrogatif, son apport ne dit pas autre chose. Elle aussi souligne la radicalité de l’Évangile, qui bouscule la loi dans tous les sens du terme. En quoi elle est humanisme.
Il reste que, pour paraphraser Bergson, il est « deux sources de la morale et de la religion. » Aussi la notion de loi naturelle est-elle « une référence constante et fondamentale dans l’enseignement moral de l’Église catholique » comme le souligne Olivier de Dinechin, s. j., dans l’article, solide et documenté comme d’ordinaire, qu’il nous a fait l’amitié de nous confier : Comment comprendre la « Loi naturelle » en pratique ?
Bien entendu, le problème se pose en termes différents pour une société séculière peu encline à accueillir une Parole qui annonce l’arrivée du Royaume. Comment peut-elle traiter de morale lorsque le postulat de la laïcité lui interdit de fonder les principes de conduite sur une quelconque révélation ? La loi naturelle peut-elle en prendre le relais et s’imposer par ses prétentions universelles, ou la puissance publique, émanation du corps civique dans nos démocraties, doit-elle se limiter à la loi, à ce qui la fonde, et au débat qui éclaire le corps civique en tant que source de la législation ?
Quant à la transmission de la morale par l’institution scolaire publique, elle suppose d’abord de répondre à cette question : Enseigner la morale laïque : de quel droit ? dont traite ici Alain Barthélemy-Vigouroux. Non sans regretter en terminant qu’« un simple coup d’œil sur les horaires démontre que la place de l’éducation du citoyen a toujours été marginale. » La pratique de cet exercice nous vaut cependant un témoignage édifiant d’une enseignante marseillaise, Clotilde Pophillat, en forme de bilan de Dix ans d’éducation civique et la réflexion d’un proviseur adjoint d’un lycée de Mayotte, Thierry Wallet, qui s’affronte aux rapports entre Éducation civique et morale laïque. Un siècle exactement après la parution de L’Argent où Charles Péguy saluait la haute valeur des « hussards noirs de la République » – ces instituteurs de son enfance – et celle de leur enseignement, la race de ces hussards n’est donc pas éteinte. Osons dire pour cela : Dieu merci.
G&S
Crédits image du titre : 1 / René Guyon ; 2/
Documentaire Être et avoir : l'instituteur Georges Lopez - crédits : Nicolas Philibert, Les Films du Losange ; 3/ Michelangelo Buonarotti...