Disponibilité à être prêtre
Il y a quelques années, j’ai donné une intervention lors d’un colloque organisé par Femmes et Hommes dans l’Église. Je le donne ici sur mon blog (cliquez ICI). Si je le fais c’est pour être fidèle à ma conscience. Dans la grande Tradition de l’Église, aucune instance n’est supérieure à elle. Joseph Ratzinger l'a magnifiquement dit : « Au-dessus du pape en tant qu’expression de l’autorité ecclésiale, il y a la conscience à laquelle il faut d’abord obéir, au besoin même à l’encontre des demandes de l’autorité de l’Église. » 1
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D’abord quelques mots de présentation et quelques précisions.
Je suis née il y a 55 ans dans une famille incroyante et par choix personnel, à l’âge adulte, j’ai demandé le baptême.
J’aime profondément l’Église catholique parce qu’elle m’a donné le Christ. Quand elle est accusée injustement, j’en souffre car je suis de cette Église. Dire mon désaccord sur certains points comme celui de l’exclusion des femmes des ministères ordonnés, c’est pour moi une manière de l’aimer et de la servir.
Cette question me rejoint personnellement puisque du jour même où j’ai découvert le Christ, j’ai entendu un appel à être prêtre. Et cet appel ne m’a pas quittée !
Une des grandes chances de ma vie a été de rentrer dans une Congrégation religieuse qui m’a permis de réaliser, pour une bonne part, ce que je portais en moi. Je suis donc d’abord religieuse, heureuse de l’être, heureuse de ce célibat pour Dieu, de cette vie fraternelle et de la mission de ma Congrégation qui me permet déjà, pour une part, de vivre une vie d’apôtre et de pasteur.
Cet appel ne se situe donc pas dans le cadre d’un ministère de prêtre diocésain mais dans celui qui peut associer vie religieuse et presbytérat. C’est le cas de la majeure partie des religieux apostoliques qui sont à la fois religieux et prêtres comme par exemple les Jésuites et les Dominicains. Prêtres, ils le sont pour le service de leur communauté et pour la mission confiée.
C’est dans ce cadre qu’il pourrait y avoir pour moi discernement et confirmation de mon appel. C’est pourquoi, le titre de mon témoignage comporte le mot disponible. J’ai tout à fait conscience que l’on ne peut que se proposer pour ce ministère et que la confirmation doit venir de l’Église, quelle qu’en soit l’instance : aux premiers siècles, elle pouvait venir de la communauté rassemblée qui élisait ses pasteurs ; actuellement pour les prêtres diocésains elle vient de l’équipe de discernement du séminaire ; pour les religieux, elle vient des Provinciaux qui appellent un certain nombre de leurs religieux.
Ce n’est donc en aucun cas un droit à revendiquer ; mais ce qui est légitime, et qui est requis, c’est l’offrande d’une disponibilité.
Un religieux dominicain, par exemple, au bout d’un certain temps de formation, se verra appelé à l’ordination par les responsables de l’Ordre. Ils auront au préalable discerné le bien-fondé de cette vocation : ce religieux est-il vraiment apte à ce service ? Son ordination sera-t-elle utile à la communauté, aux gens à qui il sera envoyé, en bref : à l’annonce de l’Évangile ?
Ce que je viens de décrire se fait dans les ordres apostoliques masculins. À ma connaissance peu de gens remettent en cause ce fonctionnement. Beaucoup sont heureux de bénéficier du ministère de ces religieux-prêtres qui annoncent l’Évangile avec beaucoup de liberté de mouvement, d’audace apostolique et diversité d’engagements.
Tout cela est possible si vous êtes religieux au masculin mais impossible si vous l’êtes au féminin !
Donnons un cas concret.
Un Centre spirituel, par exemple tenu par des religieux Carmes. Il y en a un en région parisienne bien connu. La plupart sont religieux-prêtres. Leur communauté célèbre l’Eucharistie avec tous ceux qui vivent des temps forts spirituels dans leur Centre. Les retraitants qui le souhaitent peuvent aussi bénéficier auprès d’eux du sacrement de réconciliation.
Comparons-le avec un autre, celui où je suis, animé par ma communauté (de femmes !)
Pour notre Communauté et pour l’expérience spirituelle que nous proposons à ceux qui viennent, nous tenons à cette Eucharistie quotidienne et à cette possibilité du sacrement de réconciliation. À la différence des Carmes, il nous faut chercher (avec beaucoup de difficultés souvent) des prêtres, évidemment extérieurs. C’est un handicap au cœur même de la mission qui nous est confiée.
Pour le reste, animation, accompagnement spirituel, prédication de retraite, formation spirituelle, c'est nous qui l'assumons et nous le faisons au titre de notre baptême. Nous avons à cœur de partager cette mission avec des laïcs hommes et femmes. De cette manière nous travaillons aussi à décléricaliser ces activités.
Évidemment ce n'est pas la mission de toutes les congrégations féminines d'animer des Centres spirituels mais toutes pourraient avoir des prêtres parmi leurs membres pour le bien spirituel de leur communauté.
Les Frères de Saint Jean de Dieu sont hospitaliers. Leur vocation n’implique pas d’être prêtre. Cependant quelques-uns le sont le sont pour le service de la Communauté et des malades auxquels ils sont envoyés.
Ceci est possible pour des religieux, impossible pour des religieuses.
Et nous en connaissons la raison : les femmes, du fait qu’elles sont femmes, seraient incapables de recevoir une ordination !
Je tenais d’abord à dire cela pour bien situer le contexte de ma disponibilité.
Je suis également favorable à des prêtres mariés, hommes ou femmes ; mais pour moi, mon appel se situe dans le cadre mon engagement au célibat dans un ordre religieux et de sa mission.
Ensuite, vous dire pourquoi je suis là.
Le mot qui me vient au cœur, c’est celui de protestation. Oui, je veux protester publiquement contre cette situation d’exclusion des femmes des ministères ordonnés dans l’Église catholique romaine.
Je me suis jusque là imposé le silence sur cette question et j’ai essayé loyalement de comprendre les raisons invoquées. Aucune n’est arrivée à me convaincre.
Parler aujourd’hui pour moi c’est une façon publique d’exprimer mon objection de conscience. Car la question de fond est celle de la vérité.
Est-ce vrai, comme le défend la position officielle, que cette exclusion est volonté explicite du Christ, ou n’est-ce pas vrai ? Est-ce une loi divine ou une discrimination sexuelle héritée de préjugés culturels ?
Dans le premier cas, une réflexion sur le sujet n’a pas lieu d’être.
Dans le second, la vérité nous pousse alors à refuser de toutes nos forces ce qui est tout à la fois :
- une injustice et une discrimination faites aux femmes,
- une infidélité au Christ et à son Évangile,
- une privation de forces vives et d’enrichissement dans la manière de vivre les ministères ordonnés,
- et un manque de crédibilité de l’Église dans le monde d’aujourd’hui.
Les raisons invoquées contre l’ordination des femmes ont été analysées et réfutées par beaucoup de théologiens et de théologiennes. Ils ont montré qu’aucun des arguments n’est fondamentalement crédible et déterminant 2.
Les réfuter ici n’est pas mon propos et je renvoie au dossier le plus complet sur la question qui se trouve maintenant dans le livre que vient d’écrire John Wijngaards : l’ordination des femmes dans l’Église catholique (Association Chrétiens autrement).
Par contre je voudrais pointer deux raisons pour l’ordination.
1 - Ordonner des femmes prêtres, c’est aller jusqu’au bout d’une subversion, et d’une heureuse subversion, des modèles figés du masculin et du féminin.
Il y a 20 siècles, au début de l’aventure évangélique, il y avait tout, grâce à la nouveauté du Christ, pour briser le concept inégalitaire et figé du rapport hommes/femmes, comme par ailleurs il y avait tout pour rendre illégitime la pratique de l’esclavage.
Saint Paul l’avait bien compris en déclarant qu’en Christ, il n’y a plus de distinctions entre Juifs et Grecs, entre esclaves et hommes libres, entre hommes et femmes car tous sont un dans le Christ (Galates 3,28).
Mais peu à peu les communautés chrétiennes, par désir d’intégration, besoin de se faire accepter par la société païenne, n’ont pas complètement tiré parti de cet aspect libérateur de l’Évangile. Je dis bien « pas complètement tiré parti » car ce ferment de libération contenu dans l’Évangile a toutefois, malgré tout, travaillé les consciences en profondeur.
En ce qui concerne l’esclavage, il y avait encore au 19e siècle un texte du Magistère romain pour le légitimer. (Instruction du Saint Office du 20 juin 1866, signée par Pie IX). Et il a fallu attendre le concile Vatican II pour lire une déclaration ferme et définitive de condamnation de l’esclavage.
Également, en ce qui concerne les femmes, la nouveauté de l’Évangile n’a pas réussi à vaincre les préjugés, les stéréotypes, les fonctions sociales différenciées selon les sexes pour les mêmes raisons : se conformer à la culture dominante pour s’y faire accepter, cela au plus grand désavantage des femmes. Cela rendait donc inconcevable leur accès à des postes de responsabilités dans la société et dans l’Église.
Il a fallu attendre les progrès réalisés par la société dans l’Occident contemporain pour que ces modèles figés commencent vraiment à éclater !
Je suis de celles qui se réjouissent de cette évolution qui peut permettre à chacun et à chacune de nous d’inventer sa féminité ou sa masculinité dans une unique nature humaine qui n’est pas enfermée dans le carcan d’une définition.
Cette manière ouverte et créative de concevoir la différence des sexes est en opposition avec l’anthropologie exposée, par exemple, dans la lettre apostolique Mulieris dignitatem (Jean-Paul II, 1988).
Dans ce texte, la féminité est réduite de toute éternité et de volonté divine par la vocation à la virginité ou au mariage et la maternité. C’est une conception figée du féminin réduite à ces trois dimensions. Il est intéressant de remarquer qu’elles sont en cohérence avec le schéma classique du féminin toujours référé au masculin : une femme c’est soit une vierge, c’est-à-dire une femme sans homme, soit l’épouse d’un homme et c’est la mère des enfants de l’homme. Cette vocation serait tellement sublime que rien d’autre ne devrait l’en détourner et surtout pas un ministère presbytéral qui est dit contraire à sa nature.
La femme que je suis, et bien d’autres avec moi, ne se retrouvent pas dans ce modèle étriqué et préfabriqué. Il s’agit pour nous d’habiter l’espace social et ecclésial, sans exclusive, en y donnant le meilleur de nous-mêmes et à tous les niveaux de services ; en inventant notre vie selon les appels de l’Esprit qui s’expriment au plus profond de l’être.
Ordonner des femmes prêtres serait une forte contribution de l’Église à cette libération d’images réductrices du féminin et du masculin.
2 - Ordonner des femmes prêtres, c’est aller jusqu’au bout d’une subversion, et d’une heureuse subversion d’une image de Dieu.
Avons-nous pris conscience que nous pensons toujours Dieu au masculin ? Ne serait-ce que par le langage. Nous disons : Il… Les opposants à l’ordination parlent de symbolique : le masculin symbolisant le divin et le féminin l’humanité. Il est vrai que beaucoup d’images bibliques vont dans ce sens : l’époux, le roi, le berger, etc…
Mais d’abord, il y a d’autres images que l’on n’a pas valorisées mais qui disent aussi Dieu par des images au féminin : la femme qui enfante (Isaïe 42,14) ; la mère qui n’oublie jamais ses enfants et qui les nourrit (Isaïe 49-15) ; celle qui en prend soin et leur apprend à marcher (Osée 11,1-4) ; la femme qui console (Isaïe 66,13-14) ; l’ourse qui défend ses petits (Osée 13,8) ; la femme qui cherche sa pièce d’argent perdue (Luc 15) ; la boulangère qui fait du pain (Matthieu 13,33) ; la mère-aigle qui apprend à voler (Deutéronome 32,10-11) ; la mère poule à laquelle Jésus s‘identifie (Luc 13,34).
Ensuite cette symbolique est dangereuse. La formule la plus percutante pour en dire le danger c’est celle bien connue de Mary Daly : « Si Dieu est mâle alors le mâle est Dieu ».
On parle aussi de vérité de représentation du Christ : masculinité du prêtre pour représenter le Christ qui était un homme masculin.
Dans ces deux arguments, il y a une conception du sacerdoce ministériel qui en fait le représentant du sacré.
Avoir des femmes prêtres ce serait aider à casser cet imaginaire car Dieu est au-delà du masculin ou du féminin. Et surtout la féminité d’une femme prêtre dirait avec encore plus de vérité que nul ne représente le Christ et qu’il est l’unique Prêtre que l’auteur de l’Épître aux Hébreux a si bien su montrer.
Ordonner des femmes prêtres serait une forte contribution de l’Église à cette libération d’images réductrices de Dieu.
Il se trouve que cette exclusion me concerne personnellement, mais là n’est pas la question essentielle. Qu’importe que je ne sois pas prêtre ! Mais par contre il importe que toutes les Églises chrétiennes aient des femmes exerçant des ministères au service des communautés et de l’Évangile. Certaines Églises ont fait le pas. Personnellement je serais également heureuse de bénéficier du ministère presbytéral de femmes ! Des hommes et des femmes le seraient ! Je le vois déjà dans ma pratique d’accompagnement spirituel, certaines et certains préfèrent être accompagnés par une femme. Dans le cas du ministère presbytéral, actuellement, il n’y a pas ce choix.
Je ne veux pas m'exclure de l'Église catholique romaine.
Mon choix est d'abord de refuser cet interdit de parole qui s'est abattu sur cette question depuis la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis (1994). Ce refus de me taire, c'est une manière pour moi de témoigner de la liberté de l'Évangile et d'œuvrer, pour ma petite part, à la liberté de penser dans l'Église.
J'aimerais que nous soyons nombreuses, religieuses ou laïques, à dire publiquement notre opposition à cette situation, à dire aussi, si c'est le cas, notre disponibilité au presbytérat, pour montrer que l'Esprit Saint appelle aussi des femmes, et qu’il ne s’agit pas de cas isolés.
Avant de terminer: une précision pour éviter toute ambiguïté.
J'appartiens donc à un ordre religieux. Les responsables pour la France (dans le jargon des religieux, cela s'appelle une Provinciale et son conseil !) m'ont donné le feu vert pour intervenir publiquement et pouvoir dire la position qui est la mienne.
Cela ne veut en aucun cas dire que ma Congrégation, en tant que telle, prend position sur cette question, ni que toutes les Sœurs sont pour l'ordination des femmes. Certaines le sont, d'autres pas. Cela doit être bien clair. Ma position n’engage pas ma Congrégation.
Mais cela veut dire qu'une Congrégation religieuse a accepté qu'une de ses membres puisse exprimer librement sa position. Je souhaite vraiment que cette liberté s'étende à d'autres Instituts religieux et sur d'autres sujets, car il me semble qu'un des manques majeurs de l'Église catholique romaine est son manque de débat interne en toute liberté. Le prophétisme de la vie religieuse rendrait un grand service à l'Église en la stimulant sur ce point.
Je me réjouis, par exemple, de la déclaration du Père Timothy Radcliffe (ancien maître général des Dominicains) qui déclare tranquillement qu’aucun argument contre l’ordination des femmes n’arrive à le convaincre (revue Pèlerin 20 octobre 2005) !
Cette même liberté, ce même courage sur ce sujet et sur d’autres, je l’espère pour beaucoup d’entre nous.
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Enfin, pour terminer et avec un brin de malice, j'aimerais vous citer deux confidences exprimant un désir d’être prêtre.
- Voici la première : « J’avais le sentiment clair que ce que j’entendais dans mon cœur, n’était pas une voix humaine, ni une idée venant de moi. Le Christ m’appelait à Le servir comme prêtre » 3
- Et la seconde : « Je sens en moi la vocation de prêtre… Avec quel amour, ô Jésus, je te donnerais aux âmes » 4.
Le Christ parlait au cœur de tous les deux et éveillait en eux le désir de Le servir de cette manière.
Le désir du premier s’est réalisé, le second non. La raison ? Vous la devinez !
Le premier était un homme ! Jean-Paul II.
La seconde était une femme ! Thérèse de Lisieux ; elle a été déclarée docteur de l’Église par ce même Jean-Paul II…
Michèle Jeunet
1 – Lexikon für Theologie und Kirche, vol III, Herder, Freiburg 1968, p. 328. Citation trouvée dans le blog http://royannais.blogspot.fr/
2 – Joseph Moingt, Sur un
débat clos, Revue de Sciences religieuses, 83/3, 1994
3 – Interview donné au Los
Angeles Time du 14 septembre 1987
4 – Manuscrit autobiographique
dans Œuvres complètes, Cerf-DDB 1996, p 244