Dieu seul est laïque

Publié le par G&S

Une fois encore le débat religieux s’invite dans le débat politique, voire politicien : réforme de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, débat sur l’identité nationale et sur la place de l’Islam dans la République. On ne peut que constater une utilisation de plus en plus risquée des appartenances religieuses. Le journal Le Monde titrait son éditorial du 5 mars ainsi : « Nicolas Sarkozy dévoie le débat religieux ». Lundi dernier, Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux et ancien Président du Conseil Constitutionnel s’est élevé avec force, sur France-Inter, contre l’expression « Français d’origine musulmane » qui lui rappelait la bien triste époque où l’on stigmatisait « les Français d’origine israélite ».

La phrase attribuée à André Malraux, « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas », a très (trop) souvent été citée. En guise de spiritualité, le XXIe siècle s’ouvre par des guerres qui se justifient par les religions aussi bien chez les extrémistes chrétiens américains qu’avec des terroristes prétendant s’inspirer du Coran. Des religions orientales, supposées être plus douces, ne sont pas en reste. L’actualité nous informe de massacres, au nom de l’identité religieuse, dans certains pays asiatiques de tradition bouddhiste ou hindouiste.

En France, le XXe siècle avait débuté par la lutte contre le cléricalisme catholique qui pesait sur la société française. Mais, comme le note Marcel Gauchet, nous assistons à « l'épuisement des ressources intellectuelles et spirituelles de la laïcité militante » 1. Par ailleurs, les idéologies qui ont mobilisé les foules du XXe siècle sont elles aussi épuisées. Libérales ou marxistes, elles apparaissent comme la variante d'un dogme unique : « Cherchez premièrement le royaume de l'économique et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Il y a donc un vide où peuvent s’engouffrer sectes, fondamentalismes et dogmatismes générateurs de violence.

D’où l’importance de créer des lieux qui échappent à la fois aux fondamentalismes religieux et au fondamentalisme laïc pour qui toute démarche spirituelle serait suspecte a priori. Chacun peut y faire l’épreuve personnelle de ce à quoi il croit. On peut déplorer que nous ne parlions pas les mêmes langues pour dire la vie et la mort, le sens et l’absurde, le mal et la grâce. Mais il est difficile de penser sans la médiation concrète d’une langue. « Dieu seul est laïque » 2 car, tous les mystiques l’attestent, il se situe au-delà des langues qui l’expriment et des sentiments des croyants qui le vénèrent.

La quête spirituelle rejoint le travail psychique pour devenir sujet et le combat politique pour la citoyenneté : pouvoir commencer à chaque instant. C'est un thème majeur dans la pensée du grand mystique médiéval Maître Eckhart : la seule façon, dit-il, d'aller vers Dieu « c'est de le saisir dans l'accomplissement de la naissance » 3. La voie spirituelle se vit à travers un engendrement permanent. En cela, elle désespérera toujours les nostalgiques de la sécurité des systèmes clos. La spiritualité, ne vit que de la responsabilité de chacun par delà ses enracinements nationaux, raciaux, culturels ou religieux.

Aucune institution, aucun parti politique, aucune Église, aucun personnage emblématique ne saurait dispenser chacun d'entre nous de risquer de nouvelles naissances. Croire que de simples appartenances pourraient nous en dispenser conduit aux pires aberrations. L'avenir ne sera fait ni de la répétition du passé ni de l'installation satisfaite dans la critique de nos idolâtries. Il est ce que nous allons commencer ensemble. Nous vivrons alors ce que le poète et résistant René Char appelle « l'aventure personnelle, l'aventure prodiguée, communautés de nos aurores » 4.

Bernard Ginisty
06.03.2.11

1 – Marcel Gauchet : La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité. Éditions Gallimard 1998, page 29.

2 – Tommy Fallot, fondateur du mouvement protestant Christianisme social écrivait ceci : « Dieu seul est laïque ; hélas, l’homme souffre de maladies religieuses, cléricalement transmissibles ».Cité par Pierre Pierrard in Anthologie de l’humanisme laïque. Éditions Albin Michel, 2000, page 12.

3 – Maître Eckhart : Sermons, Tome II, Éditions du Seuil, 1978, page 113.

4 – René Char : Les Matinaux in Œuvres complètes.Éditions Gallimard, La Pléiade Paris 1988, p. 250.

Publié dans Réflexions en chemin

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B
<br /> <br /> L’expression “installation satisfaite dans la  critique de nos idolâtries” vise l’inflation d’une<br /> certaine littérature plus ou moins universitaire qui vise à dénoncer les errements que l’on a subi et/ou partagé. Parce que l’on a été pris en flagrant délit de “niaiserie” idolâtre, on<br /> s’installe dans une position critique qui se satisfait d’elle-même. Et l’on jette un regard amusé ou apitoyé sur tous ceux qui se risquent à de nouvelles militances.  Ainsi, nous avons des<br /> auteurs qui après avoir “adoré” le marxisme, n’en finissent pas de le dénoncer  et en arrivent à suspecter tout engagement politique. Ou bien d’autres pour qui l’éducation religieuse<br /> constitue une source infinie de production critique. S’il est  vrai que nous avançons dans la vie à partir de ceux que l’on a appelé “les maîtres du soupçon”, le soupçon lui-même peut être<br /> érigé en “idolâtrie”, et l’on peut faire des carrières intellectuelles dans ce sens. L’acuité du regard critique n’a de sens que s’il ouvre à une plus grande limpidité de l’action.<br /> J’ai abordé cette question dans un article publié dans un dossier dirigé par Guy Coq dans la Revue Panoramiques intitulé A la fin, qu’appelez-vous spiritualité<br /> ? (décembre 2003, n°64). Je vous cite un extrait de ma  contribution qui s’intitulait “la crise des sociétés dépressives” :<br />     “Avoir été  délogé une fois de ses idoles ne dispense pas de rester à<br /> l'écoute de “ce qui sort du dedans mystérieux de nous-mêmes et qui ne doit pas revenir perpétuellement sur nous-mêmes dans un souci grossièrement digestif ”, ainsi que l'exprime<br /> avec force Antonin Artaud. Nous touchons là peut-être à l’essentiel de la crise moderne du sens : croire qu’on s’est libéré une fois pour toutes des idoles. Serions-nous définitivement<br /> vaccinés de toute quête spirituelle au vu des fondamentalismes et des cléricalismes religieux ? Parce qu'on a été pris en flagrant délit de niaiserie idolâtre faudrait-il idolâtrer la<br /> niaiserie libérale ?  Ce serait, paraît-il, « se ranger les baskets » illustré par le pharisaïsme branché de la génération soixante huitarde passée sans scrupule excessif de la<br /> lutte des classes à la lutte pour les places. Or, la spiritualité suppose un combat permanent contre les idoles.<br />     L’espace laïc, à ne pas confondre avec l’espace anonyme du Neutre, constitue un des lieux majeurs de lutte contre ces idoles. Réagissant contre les tentations de pouvoir,<br /> de richesse, d'intolérance des religions, il contribue à les ancrer dans leur vocation fondamentale d'éveil des hommes à la spiritualité et à l'engagement dans l'universel concret de la<br /> fraternité universelle. L'homme naît le plus souvent dans des religions, langues maternelles du sens, qui touchent en l'homme le plus sensible : l'angoisse, la culpabilité, le lien<br /> interhumain, l'explication du monde, la vie, la mort. En ce lieu, on peut aussi bien basculer dans un fanatisme débridé que se risquer à l'exode hors des sécurités premières.<br />     La laïcité ne saurait se réduire à la mauvaise conscience, parfois agressive, d’anciens dévots n’en finissant pas de régler un passé à variante religieuse, politique ou<br /> idéologique. Elle est le lieu où se vit ce que Habermas appelle « l’éthique de la discussion » où chacun peut faire l’épreuve personnelle de ce à quoi il croit . A l’être humain tenté<br /> par le court circuit entre son désir, son Eros et les représentations qu’il a reçu de sa tradition, le Mythos, elle  rappelle la fonction médiatrice et critique de la raison, le Logos. C’est<br /> en cela que la laïcité est un garde fou contre les dérives sectaires et fondamentalistes. Les premiers à ouvrir cet espace furent  les théologiens qui, en utilisant des concepts empruntés<br /> aux philosophies de leur temps, n’ont cessé de lutter contre  cette instrumentalisation du désir  par  les pouvoirs cléricaux et idéologiques.<br />     Mais  croire que la laïcité occuperait une place qui surplomberait et toiserait toutes les langues maternelles historiques du sens et de la spiritualité, serait<br /> vouloir s’affranchir de l’histoire et s’égaler à l’universel.  Et finalement substituer un cléricalisme à un autre”.<br /> Bien cordialement<br /> Bernard Ginisty<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br />  <br /> <br /> <br />  Entièrement (presque) d'accord avec l'article de Bernard Ginisty, et encore plus avec son dernier<br /> paragraphe que je cite  à nouveau :<br /> <br /> <br /> "Aucune institution, aucun parti politique, aucune Église, aucun personnage emblématique ne saurait dispenser<br /> chacun d'entre nous de risquer de nouvelles naissances. Croire que de simples appartenances pourraient nous en dispenser conduit aux pires aberrations. L'avenir ne sera fait ni de la répétition<br /> du passé ni de l'installation satisfaite dans la critique de nos idolâtries. »<br /> <br /> <br /> Mais qu'entend-il par « l'installation satisfaite dans la critique de nos idolâtries ». Je relis en ce<br /> moment les prophètes d'Israël, féroces critiques de l'idolâtrie, et j'aimerais comprendre ce qu'il veut dire par cette expression.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br /> Pierre Locher<br /> <br /> <br /> <br />
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