Dieu paradoxal et péché originel
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S'il y a bien une trame historique repérable de l'extérieur par l'exégèse scientifique, et une temporalité intérieure notifiée par les textes, de fait ce " montage " qu'est la Bible, surtout dans ses premiers livres, mélange les époques et les rythmes temporels si bien que l'on peut découvrir des éléments "archaïques" en des passages réputés tardifs, et inversement, ce qui facilite une lecture qui " ignore le temps ", comme l'inconscient peut-être, et met en œuvre une dialectique complexe fondée sur l'après coup. Cette lecture peut éclairer des zones obscures de la psyché humaine en permettant des figurations proches des fantasmes originaires, c'est à dire des premières représentations intérieures dans la vie psychique du très jeune enfant mais aussi toujours présentes et agissantes chez tout adulte sous des formes très variables et donc aider à penser des processus difficiles à conceptualiser : « Le texte fonctionne comme une sorte d'objet transitionnel à partir duquel l'homme va faire l'expérience de la réappropriation de sa propre subjectivité. La psychanalyse procède de la même façon » (M.A. Ouaknin, Le divin et le divan, in Passages n°46 Avril 1992, p.17).
Le rituel de fondation d'une Alliance rattaché au mythe de l'origine du monde et du couple humain constitue le seuil de ce Livre.
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Ouvrons le premier chapitre de la Bible. La naissance du monde et la formation de l'homme s'ouvrent sous les auspices du paradoxe. L'univers physique se composait, dans la vision de l'époque, de plusieurs strates : les eaux d'en haut, qui donnaient la pluie à travers les trous d'une couche solide, ferme d'où le nom de firmament des cieux, la terre qui flottait sur les eaux d'en bas lesquelles se manifestaient par les diverses émergences : mers, rivières, etc. " Au commencement " l'énergie primitive bouillonnait en un seul Chaos indifférencié. Le conflit fondamental que va décrire à sa façon le livre de la Genèse se situe entre la poussée vers la Vie par le départ : " Va, Va vers toi " précise le texte et la poussée vers le retour au Chaos, à l'Unité première. Aller vers la vie c'est s'engager dans l'expérience aussi bien de ce qui est bon que de ce qui est mauvais et finir par mourir. Si l'on renonce à procréer, on restera à l'instant de la création, l'Un, l'indifférencié, telle est l'illusion originaire contre laquelle s'efforce tout être humain.
DIEU, en hébreu = El, singulier, Force dont un homme dispose (Gn 31,29 ; Mi 2,1) mais qui peut le quitter (Dt 28,31 ; Ne 5,5), qui réside en particulier dans le *roi” (Ps 45,7) mais aussi dans une montagne impressionnante (Ps 36,7 ; 68,16s), un arbre vigoureux (Ps 80,11).
La Bible utilise le mot EL surtout au pluriel : Elôhim = les forces, les puissances présentes dans la foudre (2R 1,12), dans une grande ville (Gn 35,5, Jon 3,3), dans un grand homme (Dt 4,45 ; 1S I 1,6) qui accomplit des prodiges (Ex I, I ).
Le paradoxe, dans la relation humaine, consiste à se croire obligé, pour être aimé ou pour simplement survivre, de donner quelque chose à quelqu'un, chose qui ne peut en aucun cas le satisfaire ; ou encore à se trouver devant une injonction telle que celui qui vous la fait (personne qui est vitale pour vous) vous indique, par sa conduite, qu'il vous faut surtout ne pas y obéir, c'est la réduction à l'impuissance.
Nous verrons s'instaurer ce paradoxe à mesure du dégagement du Surmoi (qu'on peut appeler conscience morale pour sa partie manifeste, mais qui agit souvent avec un automatisme qui fait penser au réflexe conditionné) à partir du Ça (le Chaos bouillonnant) avec lequel il est, au départ, confondu et vers lequel il est toujours prêt à régresser écrasant le Moi au passage.
Confronté à la terreur du Chaos, (le Tohu-Bohu) l'homme peut exciter ses passions pour vivre le plus intensément possible, la plus foncière étant, paradoxalement, la nostalgie de l'Un. Celle-ci peut alors l'entraîner à mettre en œuvre des conduites si dangereuses qu'il cherche à se protéger de ses propres excès, notamment par la soumission à un "ordre moral" sous la férule d'un Seigneur et, s'il parvient à une suffisante autonomie, la formation d'un seigneur interne, Au début, cette obéissance a pour fonction de contenir les "flots du Ça". Pour se garder en vie, le Moi n'a plus que la solution de glorifier cet écrasement dans un retournement par lequel il se donne l'illusion d'être actif : la poussée au sacrifice du meilleur de soi-même. Cette identification à l'agresseur, le seigneur, constitue une résistance opiniâtre à la réussite d'une vie, et une des sources majeures et paradoxale de la culpabilité.
Le texte biblique permet de suivre et de se représenter ce cheminement. Du rituel de purification préparatoire à la rencontre avec Dieu au mont Sinaï, nous remonterons à la création du couple humain à travers la "ligature d'Isaac", à son sacrifice par le père.
Le rituel de l'approche
Au soir de la première Pâques, Dieu passa en boitant sur les villes égyptiennes car il évitait les maisons des Hébreux et tuait les premiers-nés des égyptiens ; ceux-ci consentirent alors à laisser partir ce "peuple des frontières" réduit en esclavage. Moïse entraîna les Hébreux à travers la Mer Rouge jusque sur les pentes du Mont Sinaï où devait se conclure l'Alliance par laquelle Yahvé, jusque là dieu de la tribu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, distinct de Élohim, adoptera le groupe comme Son Peuple élu parmi les autres qui lui appartiennent aussi :
Exode 19,4 et suivants : 4 - « Vous avez vu, vous, ce que j'ai fait à l'Égypte (les dix plaies), et pour vous porter sur les ailes des aigles et vous faire venir vers moi. Maintenant, si entendant vous entendez ma voix et gardez mon alliance vous me serez une propriété privée parmi tous les peuples ; car à moi toute la terre; 6 - Et vous serez vous une royauté de prêtres et une nation sainte.
« 7 - Et Moïse appela les Anciens du peuple et il leur dit toutes ces paroles 8 - ils répondirent comme Un : tout ce qu'a parlé Yahvé nous le ferons … Et dit Yahvé à Moïse : va vers le peuple et fais les moi saints aujourd'hui et demain : qu'ils lavent leurs vêtements ; ils seront prêts pour le troisième jour parce que ce troisième jour descendra Yahvé aux yeux de tout le peuple sur le mont Sinaï.»
Comme Un : est une formule qui reviendra régulièrement, comme l'indice de la cohésion d'un organisme vu comme une totalité indissociable, totalité que pourtant le texte biblique lui même dénoncera comme illusoire et contraire à la vie !
Ce genre de paradoxe se retrouvera dans le commandement primordial écrit sur les tables de la Loi : Dieu veut se faire Voir, se révéler mais à condition que l'on ne se fasse aucune image de Lui et que l'on ne cherche pas à le Voir sinon de dos, par derrière, lorsqu'IL sera passé. Être séparé des autres, être "propre", afin de ne faire qu'un entre soi, tel est l'objectif du rite pour un groupe. Être comme les autres et débarrassé de ses désirs personnels sources de douleur, telle est la demande initiale de beaucoup d’activistes de mouvements, très divers par ailleurs. Les Israélites, peuple élu, demanderont bien vite à redevenir un peuple comme les autres. Ce retournement constant des envies et des positions amènera la constitution de barrières et d'enclos dont la transgression devra être ressentie comme mortelle afin que la protection interne soit efficace.
L'interdit du toucher comme origine du sacré, du péché originel et du péché mortel
« 12 et tu feras une frontière pour le peuple tout autour, pour dire : gardez vous de monter sur la montagne et de toucher à son bord, tout ce qui touchera à la montagne de mort il mourra
« 13 Point n'y touchera une main car de lapidation il sera lapidé ou d'un tir de flèche il sera tué : que ce soit bétail ou homme. 14 Moïse sanctifia le peuple, ils lavèrent leurs vêtements
« 15 et il ajouta : soyez préparés dans trois jours et n'approchez pas de femmes. »
À l'intérieur du peuple doit s'établir une séparation pour qu'il ne reste pas un magma indifférencié (un Chaos !). Séparation spatiale : une frontière entre le Haut et le Bas : l'instance qui commande et ses servants restent sur la montagne qui devient Sacrée, les gens ordinaires demeurent dans la plaine. L'interdit du toucher qui s'exaspère dans la névrose obsessionnelle, n'en marque pas moins le départ de l'évolution psychique de tout un chacun. Ici il s'agit de ne pas toucher la Montagne, symbole fréquent du corps de la Mère mais aussi symbole phallique : le corps de la mère dont le contact est si important pour le nourrisson, peut apparaître comme engloutissant, étouffant, mortel, si cette mère s'empare de son bébé et ne veut faire qu'Un avec lui : elle devient alors la Mère Phallique.
L'interdit est, en réalité, sécrété par le bébé lui-même pour se protéger. Il fait alors de plus en plus appel à cette menace lorsqu'il se croit en danger de perte de soi : il projette cet interdit sur l'extérieur pour garder quelque chose qui " tienne le coup ", à quoi s'agripper lorsqu'il est trop enclin à s'abandonner à sa pulsion de pénétration de la mère et "d'oubli de soi" : il est nécessaire que cet interdit-protection garde pendant longtemps sinon toujours un caractère sacré (" tout ce qui touchera la Montagne, de mort, il mourra ") pour fonctionner de façon quasi automatique en face de la force pulsionnelle qui risque de submerger le Moi encore mal assuré. Le Moi a donc besoin de cet embryon de Surmoi pour se constituer, se différencier et reconnaître peu à peu un objet "devant lui".
Cette limite, cette frontière s'inscrit sans doute comme un pictogramme au début de la vie, pictogramme qui se figure comme une corde au pied du Mont Sinaï. Pour être sûr d'être obéi Moïse, l'intermédiaire, en rajoute en prescrivant de ne pas "approcher" de femme. Approcher une femme peut entraîner le fantasme de transgresser l'interdit, de passer au delà de cette frontière comme si déjà l'auteur s'était posé la question : avec qui jouit-on ? Pas toujours avec la personne physiquement présente ni avec celle que l'on croit ! De toute manière, ici, retrouver la vision promise de Yahvé ("qui descendra aux yeux de tout le peuple") c'est revenir un instant à L'Éden originaire où l'homme et la femme ne faisaient qu'Un et ne connaissaient pas le désir sexuel (Genèse ch. 3). Ce rituel sous-tendu par un sentiment d'unité, nous allons le retrouver dans l'accomplissement interrompu du sacrifice qu'Abraham croit devoir faire de son fils Unique sur la Montagne sainte où sera bâtie Jérusalem.
Sarah avait fait exposer au désert, par son mari, le premier fils de celui-ci, cependant voulu par elle, Ismaël, comme Œdipe, le fils, le fut aussi. Les femmes égyptiennes offrirent leurs boucles d'oreilles aux femmes israélites pour tenter de sauver leurs enfants, boucles d'oreilles fondues dans le corps du Veau d'Or, soi-disant image de Yahvé acceptant les libations !
La ligature d'Isaac
Nous remontons de 400 ans en arrière selon la chronologie biblique, c'est-à-dire vers 1800 avant J.C. Dans sa forme actuelle ce texte est contemporain du précédent (environ VIIe-VIe siècles avant J.C. ).
Au livre de la Genèse, Le Elohim va exiger sous la forme d'un test, d'une mise à l'épreuve, d'une tentation, le sacrifice du Fils Unique, porteur de la Promesse de Yahvé à Abraham : faire de sa descendance un peuple nombreux en qui les Nations trouveraient la bénédiction. Le Élohim, cette force intérieure, certes, mais ressentie comme inspiration étrangère, pousse à accomplir le rituel du sacrifice par le feu ; la poussée infanticide est inhérente à l'être humain et se cache sous un rituel sensé accomplir un commandement. En clinique nous retrouvons sans cesse ce processus complexe : le patient, si bien nommé ici : celui qui souffre d'être poussé du plus profond de lui-même mais sans le vouloir à ressentir des émotions puis à construire un scénario pour leur donner un sens (une direction et une signification), le patient donc, pour se libérer de la tension est "tenté" d'obéir : "Je dois vivre ce que j'ai à vivre" disent certains sans se rendre compte de l'aspect paradoxal de cette obligation ! Plus paradoxale encore apparaît la poussée au sacrifice de soi, de l'autre, du plus précieux de la vie, de ce qui porte l'avenir, Freud parlait de pulsion de mort.
Le récit de la Montée : Genèse ch 22-1- «Après toutes ces choses, le Élohim éprouva Abraham et lui dit : Abraham ! et lui : me voici. Et Il dit : prends donc ton fils, ton unique, que tu aimes, Isaac, et va vers toi (hébreu = Ler Lera, formule utilisée dans le livre de la Genèse lors de l'appel à quitter sa famille !), vers la terre de Moria et fais le monter là en offrande sur une des montagnes que je dirai.
« 3-Abraham se leva de bonne heure (l'appel avait-t-il eu lieu pendant la nuit et le sommeil ?), sangla son âne, pris ses deux serviteurs avec lui et son fils Isaac, il fendit les bois de l'offrande, se leva et s'en alla vers le lieu que lui avait indiqué le Élohim. Au troisième jour, Abraham leva les yeux et il vit le lieu de loin. Abraham dit aux serviteurs : restez ici avec l'âne, moi et l'adolescent nous irons là-haut, nous nous prosternerons, et nous reviendrons vers vous.
« 6-Abraham pris les bois pour l'offrande et les mis sur Isaac son fils, et il prit dans sa main le feu et le couteau et ils allèrent, tous les deux comme Un. Isaac dit alors à son père : mon père et il répondit : me voici mon fils, et il dit voici le feu et les bois, mais où est l'agneau pour la montée d'offrande ? Abraham dit : Élohim pourvoira à l'agneau de la montée, mon fils, et ils allèrent tous les deux comme un ».
Abraham ne dévoile pas à son fils la finalité de cette démarche, il ne peut dialoguer avec lui : ils ne sont qu'Un ! et leur Unité est scellée par un secret ! Sans doute trouve-t-on ici un écho du "Il vaut mieux ne pas chercher à comprendre", que bien des parents disent à leurs enfants, clairement ou de façon voilée, quand ceux-ci leur posent des questions embarrassantes sur leur origine ou leur désir sur eux. Dans certains milieux : religieux, militaires ou militants, ce "on verra" ou "Dieu y pourvoira" peut aller jusqu'au sacrifice de la compréhension, de la pensée : «il est plus parfait de réciter les psaumes ou les sourates sans savoir ce que les mots veulent dire, il est plus parfait d'obéir d'abord, le savoir est sensé appartenir à "celui d'en haut"», m'a-t-on dit parfois.
« 9-Et ils arrivèrent au lieu que l'Élohim lui avait dit ; et bâtit là Abraham un autel (immoloir) ; il arrangea les bois et il lia Isaac son fils et il le mit sur l'autel par dessus les bois ; Abraham envoya sa main et prit le couteau pour égorger son fils.
« 11-Alors cria vers lui un envoyé de Yahvé depuis les Cieux, il dit : Abraham ! Abraham ! n'envoie pas ta main sur l'adolescent et ne lui fais rien car maintenant je sais que tu crains Élohim toi et que tu n'as pas retenu ton fils, ton unique de Moi. »
Le Élohim avait prescrit de monter, d'offrir, d'immoler, Yahvé interdit d'égorger, il interdit le sacrifice du fils. La crainte est vis-à-vis de Élohim, le don et l'alliance vont à Yahvé. Ici, plus que dans bien d'autres textes ces deux vocables sont distingués. Élohim représente une sorte de névrose de destinée, une compulsion à détruire ce à quoi on tient le plus, ce qui fait partie de soi au plus vif. Le chaos bouillonnant parvient souvent à se faire passer pour un dieu, ses poussées ont l'art de se camoufler en obligations absolues, en ordres sans réplique. Yahvé apparaît comme celui qui Voit et qui demande la séparation, Il permet le détachement du père et du fils pour un meilleur accomplissement de la promesse de vie. { Comme beaucoup de parents Abraham a du avoir le sentiment viscéral que laisser partir un enfant c'est le laisser mourir, de même que contrairement à toute raison chaque analysant pense que son analyste ne survivra pas à son départ ! }
« Abraham leva les yeux et vit un bélier saisi par les cornes dans le fourré. Il alla le prendre et le fit monter en offrande à la même place que son fils : Abraham appela ce lieu Yahvé Voit ! »
Ni culpabilité ni expiation
Contrairement aux sacrifices d'animaux, aux offrandes des prémisses, que Moïse organisera avec Aaron, son frère (Exode ch. 29 et sq.), il n'y a aucune dimension expiatoire dans le sacrifice demandé à Abraham, c'est peut-être la particularité de ce texte. Sa mise par écrit date pourtant de la même période que la codification des péchés et de leur mode d'expiation (Deutéronome). Ici, on ne trouve ni culpabilité, ni besoin de punition, sentiments bien connus des rédacteurs de la Bible et souvent chantés dans les psaumes ou renforcés par la prédication des prophètes. Bien sûr on peut dire qu'ils sont inconscients, mais devant un texte minutieusement ciselé par des générations, ce qualificatif n'est pas pertinent : le fait est que, en opposition avec le reste des récits, Abraham apparaît comme obéissant et acceptant le défi paradoxal. Il s'agit peut-être d'un désir de renoncer à tout sur le modèle de Celui qui est en deçà et au delà de tout, nous dirions que le Moi-Idéal, l'image grandiose de soi même que l'on se forge dès la toute petite enfance, tend à se confondre avec les pressions et fantasmes du chaudron des passions qui ne sait fonctionner qu'en tout ou rien : le Rien, le Tout, l'Un, le Chaos, le plein, le vide… au delà du sentiment de culpabilité.
La faute Originelle et la nécessaire transgression
Au Paradis, Adam et Ève n'avaient pas de désir l'un pour l'autre car ils étaient Une seule Chair ! Par contre, ils vont être soumis à la Tentation du fait de l'intime complicité entre Elohim, le Créateur qui interdit de toucher à l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal et le Serpent qui séduit en faisant étinceler le fruit défendu de la transgression et du savoir.
En Genèse 1, 27 « Et créa Élohim l'homme comme son ombre. Selon sa ressemblance Elohim le créa, mâle et femelle Il les créa.» En hébreu ancien le même mot Tzelem désigne l'ombre et la ressemblance alors qu'en hébreu moderne il y en a deux : Tzel pour l'ombre, Tzélem pour la photographie, comme si les modernes tenaient à bien discerner les rapports entre l'objet et sa représentation alors que les anciens les assimilaient. Dans ce texte l'homme est présenté comme un couple mâle et femelle comme tous les autres animaux. Il conclut l'œuvre créatrice en se rapprochant du Créateur dont il est une ressemblance, certes, mais sur le mode de l'ombre …
Très différent du premier, le second récit de la création, plus ancien (8e-7e siècles), est une vaste histoire, un conte sur les origines. Yahvé-Élohim, dieu complet comme le manifeste l'accolement des deux noms, est un potier et un jardinier qui veut se faire aider.
En Genèse 2, La femme vient de l’homme, elle possède la même chair. Cependant, s'ils sont destinés à se faire face, mais au début ils "adhèrent" l'un à l'autre. L'effet de cette adhérence est qu'ils ne s'aperçoivent pas qu'ils sont nus, ils ne connaissent pas la honte. La honte, en effet, jaillit de la blessure narcissique que produit la découverte de la différence des sexes face à l'Idéal de l'Unique : à chacun il manque quelque chose que l'autre a. Il faudra que la femme soit tentée par l'illusion de la toute puissance que donnerait le fruit défendu pour être capable de renoncer à cet Idéal ce qui, une fois de plus, est paradoxal !
De plus "Voir le Nu" est source de malheur dans les premiers livres de la Bible : Noé, ivre, dort sous sa tente, Cam, son fils, le plus jeune le voit : il sera banni ; au mont Sinaï, la dernière prescription faite au prêtre sera de dissimuler son nu, son sexe, de façon à ce que les fidèles ne puissent l'apercevoir lorsqu'il montera à l'autel ! À la fin du récit de la faute originelle, Yahvé habillera l'homme et la femme; la dialectique du visible et de l'invisible fait son apparition dans la Bible, elle y reviendra souvent. C'est justement en jouant sur le double sens du mot Arum qui vient du verbe Aram : mettre à nu, connaître avec finesse et astuce, que le narrateur va montrer comment la transgression du commandement, apparemment dictée par le désir de toute-puissance, va permettre à l'homme et à la femme de voir leur différence, la différence des sexes et ensuite d'assumer leur condition humaine même si celle-ci est vécue et considérée comme douloureuse et donc comme une punition du péché.
C'est seulement lorsqu'ils furent "rejetés" que l’homme et la femme se connurent et purent transmettre la vie. Le besoin de se sentir rejeté peut aller chez certaines personnes jusqu'à manœuvrer pour se faire rejeter, tellement la séparation est ressentie par elles comme un péché mortel tout comme le désir de contact. L'angoisse de séparation habite tout un chacun, et il parait plus économique de penser que l'autre ne veut plus de vous, est méchant ou jaloux comme Élohim, plutôt que de se détacher et de partir. Confesser sans cesse son péché rassure, paradoxalement ! Se sentir coupable apparaît parfois comme préférable à la vision de son impuissance.