Devoir de vacances (1) : Savoir d’abord qui nous sommes

Publié le par G&S

Pour vivre l’œcuménisme il est bon d’être d’abord au clair avec sa propre tradition religieuse et de connaître autant que cela se peut les autres traditions et ne pas se contenter de coller sur le dos des personnes des étiquettes qui donnent souvent des a priori même parfois faux sur ceux qui ne font pas partie de mon Église.

Il y a aussi des conceptions assez différentes de l’œcuménisme. Sans parler des intégristes pour lesquels l'œcuménisme est le diable en personne, vous avez ceux qui pensent que faire de l'œcuménisme consiste à ramener les autres dans l'Église catholique. Et ma petite cervelle arrive difficilement à concevoir que quelqu'un qui est convaincu que l'Église catholique est la seule Église voulue par le Christ, puisse avoir une autre vision de l'œcuménisme.

Vous avez ceux qui pensent que l'œcuménisme se résume à une relation de bon voisinage. Enterrons la hache de guerre, gommons nos différences et disons que tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil. Je pense que c'est la plus mauvaise manière de défendre la cause de l'œcuménisme.

Mais vous avez aussi ceux qui se laissent interpeller dans leur foi par la foi des autres. Ce n'est pas la position la plus facile mais je pense que c'est la plus féconde. Mais l'œcuménisme se vit souvent à la base, sans l'initiative des Églises institutionnelles. Il s'agit d'un œcuménisme « séculier » ou parfois même « sauvage » qui, contestant les lenteurs et pesanteurs des christianismes officiels, vit et confesse la foi évangélique en étroite solidarité avec les luttes pour l'avenir de l'humanité.

L’œcuménisme se vit à plusieurs niveaux.

Au niveau institutionnel. Il s’agit là de dialogues à deux ou plusieurs Églises d’une façon officielle. Comme une institution par essence est plutôt conservatrice, ce n’est pas à ce niveau qu’on constate les changements les plus spectaculaires. Il peut néanmoins y avoir des exceptions ; pensons à ce qui s’est passé à Vatican II pour l’Église catholique. Mais il peut aussi y avoir des reculades. Pensons à Dominus Jesus. Mais globalement, en regardant tout le chemin parcouru, on a néanmoins l’impression qu’on est arrivé à un point de non retour.

Au niveau des théologiens. C’est là qu’en général il y a le plus d’accords. Pensons par exemple à tout le travail qu’a fait le Groupe des Dombes. Mais ces avancées ne sont pas souvent prises en compte par les Églises. Pensons aussi à la réception que l’on peut au minimum dire mitigée du BEM (baptême, eucharistie, ministères) élaboré par Foi et Constitution en 1982.

Au niveau de la base. Et là cela est tout à fait variable. Mais si la base n’avance pas, le travail des théologiens ne sert pas à grand chose et cela ne fera pas infléchir les institutions. Il est vrai que le chemin est étroit entre deux écueils antagonistes, le syncrétisme d’une part et l’affirmation de son identité au détriment de l’identité de l’autre, d’autre part. Ce travail à la base est important. Il s’agit de faire des actions communes, apprendre à se connaître et dialoguer. Et là on peut évoquer des généralités sur le dialogue, qui en particulier s’appliquent à la démarche œcuménique. Certes, nous constatons à l'usage que le dialogue est plus difficile à pratiquer qu'à préconiser. Il suppose d'abord que les interlocuteurs acceptent de se situer sur un pied d'égalité. Entrer en dialogue, c'est s'exposer à la parole de l'autre; c'est laisser venir à soi des questions qui risquent d'ébranler des certitudes acquises. Le dialogue me conduit à entendre une vérité différente de la mienne, et cette confrontation peut constituer pour ma cohérence spirituelle une épreuve redoutable. Les deux partenaires ne tardent pas à s'apercevoir que le dialogue est faussé aussi longtemps que chacun cherche à convertir l'autre à ses propres vues.

Quiconque s'engage à fond dans l'expérience du dialogue découvre au surplus que celui-ci ne se réduit pas à un échange de discours. Entendre en vérité la «parole» de l'autre, c'est se laisser questionner par son existence tout entière, sa manière de vivre, ses solidarités naturelles, ses références éthiques, la lumière et la force qu'il tire de ses croyances. Or ceux parmi les chrétiens qui sont allés le plus loin dans cette voie finissent par tenir des propos étonnamment modestes.

Dans notre dialogue à l'intérieur de l'Église il en va de même. Il est important que chaque partenaire ait préalablement pris la mesure de sa position et de la tradition qu'il assume. Faute d'un enracinement reconnu comme tel de part et d'autre, le dialogue se réduirait à un échange verbal et se solderait par une connivence dans la médiocrité. Est-ce que je suis bien conscient de ce qui sous-tend ma position et est-ce que je connais aussi le pourquoi de la position de mon interlocuteur ?

Cela ne signifie pas que les démarcations de chacun doivent être maintenues telles quelles et à tout prix. Un vrai dialogue pourra conduire au démantèlement de certaines positions en tant que citadelles. On ne surmonte pas les obstacles en les ignorant. C'est au contraire la non-appropriation des sensibilités confessionnelles qui transforme celles-ci en machines de guerre. Vidées de leur substance évangélique, elles se dégradent en complexes idéologiques, exclusifs les uns des autres. Il s'agit, non d'opter pour ou contre telle sensibilité, mais de les inscrire dans la logique d'une existence centrée sur l'Évangile.

Mais l’œcuménisme est confronté aujourd’hui à de multiples défis nouveaux. Après cent ans d’œcuménisme, le monde chrétien apparaît aujourd’hui plus divisé que jamais. Si on comptait 1900 dénominations chrétiennes en 1900, on les évalue à 38.000 aujourd’hui. Il faut aussi dire que le centre de gravité s’est déplacé vers l’hémisphère sud. Ainsi, alors que le nombre de chrétiens continuera de progresser dans les autres continents, il régressera en Europe, tandis que l’Amérique latine et l’Afrique rassembleront davantage de fidèles qu’elle. Même l’Asie, encore si peu christianisée, devrait bientôt la dépasser. On en devine les conséquences pour le mouvement œcuménique. Les débats doctrinaux portés par l’Europe où sont nées les divisions ne seront plus les questions de la majorité des chrétiens. Il y a aussi la transformation des mentalités. D’abord, le discrédit général des institutions et de leurs discours, jugés idéologiques : il touche directement les grandes Églises et leurs affirmations doctrinales. Mais aussi une montée de l’individualisme et une recherche de plus en plus pressante de l’épanouissement personnel sur fond émotionnel. Il y a aussi le développement considérable des églises évangéliques et pentecôtistes. Qui souvent ne sont pas particulièrement motivées par l’œcuménisme. Il y a aussi beaucoup de personnes qui sont touchées par la figure de Jésus mais peu enclines à s’engager dans une communauté. C’est en particulier le cas des jeunes qu’on ne voit plus guère dans nos Églises, si ce n’est certains qui, recherchant des repères stables, ont plutôt un comportement traditionnaliste.

Ainsi, le mouvement œcuménique apparaît confronté au défi de devoir faire face à une situation bien plus complexe que lorsqu’il naquit, il y a environ un siècle. Cette complexité pourrait nous décourager. Elle doit être au contraire un stimulant sur un chemin où l’Esprit n’a pas fini de nous surprendre.

Certaines personnes ont déjà des difficultés à sortir du cercle de leur Église par aller dans le cercle plus large de l’œcuménisme. Mais ce cercle est englobé dans le cercle plus large du dialogue interreligieux, qui lui-même se trouve dans le cercle encore plus élargi de l’interconvictionnel. Là non plus, pour qu’il puisse y avoir un dialogue de qualité, il ne s’agit pas de confondre tous ces niveaux. Mais pour pouvoir entrer en relation avec l’homme moderne, il est nécessaire d’avoir des idées les plus claires possibles et d’élargir notre réflexion à des domaines qui parfois nous sont moins familiers.

Et cela, tout en affirmant notre identité mais pas au détriment de l’identité de l’autre.

Georges Heichelbech
57200 Sarreguemines

Georges-Heichelbech.jpg65 ans, originaire d’Alsace, habitant à Sarreguemines (Moselle), catholique.
Ne suis pas un théologien professionnel. J’étais un ancien professeur de mathématiques.
De par ma situation géographique, j’ai été confronté d’une façon concrète à l’œcuménisme et suis un œcuméniste convaincu.
En tant que catholique, j’ai suivi pendant une vingtaine d’années les cours du CEPP (Centre d’étude et de pratique pédagogique), qui est un département de l’Université protestante de Strasbourg.
Je suis membre du Comité Directeur de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) et membre de sa Commission de théologie. (commission œcuménique comportant des catholiques, des protestants et des orthodoxes). En 2012, j’étais le coordinateur de la Nuit des Veilleurs, qui est une initiative de l’ACAT.

Publié dans Signes des temps

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