Devoir de vacances (1) : Construction, déconstruction, affliction
Je vais vous retracer la vie de ma paroisse depuis le premier jour où je l’ai rejointe, à la faveur d’un déménagement. Cela embrassera 35 années, autant dire un chemin de fidélité.
Lorsque toute jeunette, j’arrivai dans ma nouvelle paroisse en 1975, le curé qui en avait la charge pastorale, m’avait plus qu’impressionnée par la force de ses homélies : elles étaient limpides, bien structurées et elles délivraient un message évangélique qui descendait dans le cœur et l’habitait. Adossées à la Parole de Dieu elles illuminaient ma route. Bref, j’avais trouvé dans ce curé un guide spirituel hors pair. Peu à peu, ma vie chrétienne cantonnée jusque-là à la pratique religieuse se transforma car je découvris, grâce à lui, un Christ relationnel éblouissant d’amour et de vérité. La paroisse devint pour moi la « montagne de Sion », ma fontaine d’Eau vive. Lorsque je fus sollicitée, je devins catéchiste auprès des enfants des écoles publiques, et avec eux, je redécouvris l’Évangile, pas à pas, comme lorsqu’on débroussaille un chemin. Le dialogue de la prière dialogue me devint familier. Tout allait bien !
Mais en 1996, après 22 années de service, ce curé demanda à se mettre en retrait. Chose bien normale !
Il fut remplacé par un prêtre en tous points différents. Pendant 22 ans, nous nous étions tenus chaque dimanche comme dans la Chambre-haute du cénacle et avions été conduits à renaître d’en-haut, de l’Esprit-Saint. Et patatras, ce nouveau curé nous faisait descendre au ras du sol car la mission Ad Gentes du Concile Vatican II, c’est-à-dire la prédication de l'Évangile à tous les hommes était sa préoccupation majeure « Allez dans vos quartiers, sortez de vos cénacles ! » nous disait-il, la mission c’est d’aller vers les autres.
Très vite les paroissiens comprirent que leur tranquillité allait en prendre un coup et que la béatitude du Thabor était finie.
Certains ne le supportèrent pas et quittèrent la paroisse ; d’autres restèrent et je fus de ceux-là. On retroussa nos manches pour faire des réunions de quartier, des visites à domicile, créer un journal paroissial gratuit (distribué bénévolement dans toutes les boîtes aux lettres), mettre sur pied des relais de quartiers etc. Bref, on sentit les courants d’air traverser la paroisse, tant l’ouverture était grande et exaltante.
Mais au bout de 8 années, à la surprise de beaucoup, ce curé fut déplacé, suite à une pétition d’un groupe de paroissiens en désaccord avec le management.
Par manque de successeur adéquat, la paroisse fut alors fusionnée avec celle qui lui était la plus proche puisque les deux clochers n’étaient distants que de 300 mètres. De rivales qu’elles avaient toujours été, elles se virent contraintes de travailler ensemble. Le curé « commun » relativement jeune (44 ans), homme fin et intelligent, sut mener la barque sans la faire couler. Du grand art pastoral !
Il nous persuada de la nécessité d’élargir les piquets de la tente, de briser le rempart des habitudes communautaires, de s’apprivoiser mutuellement. Pour moi cette expérience fut un enrichissement salutaire. J’y découvris de nouveaux visages et je nouai de nouvelles relations. Tout allait bien. J’avais rebondi sans rien perdre de la vitalité de mon ancienne paroisse.
Mais, hélas !, cela n’allait pas durer puisqu’à peine l’équilibre retrouvé les autorités diocésaines crurent bon de revenir à la situation précédente : chacun chez soi ! Après 3 années de mutualisation des équipes pastorales les deux paroisses se voyaient à nouveau dotées d’un curé titulaire.
Retour donc à la case départ et obligation aux paroissiens de retourner chez eux. Ce que nous fîmes, paroissiens si obéissants que nous sommes.
Mais il y avait un bug que je ne tardais pas à découvrir. Le nouveau curé n’était en fait qu’un administrateur placé par l’évêque comme tête de file d’une paroisse devant faire un large accueil aux fidèles pratiquant la messe du rite tridentin. Ce qu’il fit admirablement puisqu’il était issu de leurs rangs. Aussi, après 5 années comme prêtre administrateur, il fut, l’année dernière, nommé curé titulaire de paroisse et installé comme tel. Et puis, simultanément on vit arriver un deuxième vicaire de la même mouvance. Donc deux bras supplémentaires. Normal penserez-vous puisque la paroisse abritait maintenant deux communautés distinctes. Et surtout pas de mélange ! Chaque dimanche et lors des grandes fêtes liturgiques, tout est fait en double : de deux veillées de Noël, deux Cènes, deux veillées pascales, etc. Et c’est la course aux horaires pour tout faire tenir dans une soirée.
Certains pourraient penser : c’est merveilleux ! Quelle performance ! Quel dynamisme ! Quelle efficacité !
Hélas, sous l’activisme permanent auquel nos deux prêtres sont confrontés et auquel ils ne peuvent se soustraire, puisque c’est la mission qui leur a été assignée, on voit poindre les « bonnes vieilles traditions ». Avec le retour des cordons et des dentelles, le vocabulaire des homélies s’est modifié : les enfants doivent faire des petits sacrifices pendant le carême pour faire plaisir au bon Dieu. Les adultes ne sont que des pauvres pécheurs qui blessent le cœur du bon Dieu. Le péché d’impureté est revenu à la mode, le saint sacrifice de la messe est le sacrifice propitiatoire réitéré chaque dimanche en rémission des péchés, les âmes du Purgatoire hantent nos prières et l’enfer nous guette.
Et que dire de la pastorale mise en œuvre ?
C’est le retour aux dévotions pieuses telle que la récitation du Rosaire, le Salut du saint-Sacrement, la confession hebdomadaire nécessaire pour accueillir avec un cœur pur la Sainte Eucharistie, les adorations du Saint-Sacrement deux fois par semaine et les processions autour de l’église deux à trois fois l’an avec la tenue lourde des chapes d’antan…
Je dois avouer que ma docilité habituelle ne fonctionne plus et que je ne peux enclencher la marche arrière. J’ai quitté l’église paroissiale et je suis allée m’abriter dans une petite chapelle rurale où il n’y a pas d’encens, mais de belles fleurs chaque dimanche parce qu’une bonne dame les cueille dans son jardin. Tous ceux et celles qui y viennent aiment y trouver la Présence rassurante du Christ qui se donne. Et ils repartent comblés parce qu’ils ont la certitude que l’amour qu’ils ont reçu est plénitude. L’homélie qu’ils entendent, malheureusement, est toujours dérangeante puisque c’est l’un des deux prêtres qui la donne avec les mots d’un autre siècle.
Aussi une fois par mois je m’évade vers la paroisse sœur, celle qui m’abrita au temps de la fusion et qui a été épargnée de la déconstruction. Lorsque ma coupe sera trop pleine d’entendre des prêches accablants, je partirai et ce sera définitif. Pour l’instant je patiente car un an c’est trop tôt pour déserter et mes racines sont encore profondes.
Voilà donc une histoire de paroisse, la mienne, celle que j’ai aimée parce qu’elle m’a façonnée, structurée. Et voici que je ne reconnais plus son langage et qu’elle prend le visage poussiéreux du passé.
Il me vient à l’esprit le chant du Bien-aimé à sa Vigne :
Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais… (Isaïe 5,1-3)
Jeannine Antoine (Bretagne)
18.07.11