Devoir de mémoire
« Ainsi se justifie et s’impose le devoir de mémoire que nous accomplissions ici chaque année pour que ne se referme jamais l’ultime tranchée creusée dans nos mémoires par tous ces jeunes soldats, afin que l’instinctive horreur de la guerre soit transmise aux générations futures. Leur sacrifice n’a pas été vain car il a contribué à réconcilier les peuples de notre vieille Europe et à construire l’Europe de la paix…. »
Ce 11 novembre 2009, sur la place de la Victoire rénovée l’année précédente , devant le monument aux morts de Solliès-Pont, le « devoir de mémoire » prend corps devant mes yeux.
Les phrases prononcés par le maire contribuent certes à donner vie à ces trois mots restés très abstraits pour moi jusqu’alors, mais l’attitude des jeunes du conseil municipal me confirment que , 63 noms creusés dans la pierre sont en train de se graver , 91 années après, dans la mémoire d’autres jeunes solliès-pontois de 12 à 16 ans.
À cet instant précis, je prends la décision de rencontrer ce même homme qui, l’année précédente dans les mêmes circonstances, avait clos son discours par ces mots « que vive Solliès-Pont, un Solliès-Pont inspiré par ses valeurs traditionnelles et rurales, mais aussi un Solliès-Pont moderne ouvert et dynamique. »
Lors de l'interview qu'il a bien voulu m'accorder, les premières paroles concernèrent le rapport au temps.
- Cette détermination à enraciner le présent dans le passé pour mieux l’ouvrir à l’avenir me semble caractéristique de votre pensée politique.
« Effectivement, les valeurs de la ruralité m’ont vraiment structuré ; j’ai quitté mon village à l’âge de 10 ans et 50 ans après je souhaite vivifier et remettre à l’honneur ce socle culturel vécu dans une rusticité de moyens, caractérisé par la simplicité, la convivialité et la solidarité. Je retourne où j’ai commencé non dans une nostalgie du passé mais pour faire revivre ces valeurs que je crois citoyennes et républicaines ».
- La mémoire tient donc une place de choix dans votre engagement politique . C’est elle que vous ravivez lors des cérémonies autour du mémorial du village ?
« Il est important que les jeunes générations honorent la mémoire de ces 63 jeunes paysans, ils doivent savoir ce qu’ils ont vécu ; ils ne peuvent imaginer cette violence et cette barbarie mais il est de notre responsabilité que leur sacrifice, qui dépasse l’entendement, suscite en eux le respect et réveille en eux ces valeurs qui poussent au dépassement de soi. La disparition de Lazare Ponticelli, le dernier poilu français, nous pousse plus que jamais à raviver cette mémoire. Tout rassemblement autour de notre mémorial du Poilu expirant, œuvre du sculpteur Alphonse Pieri édifiée en 1920, contribue à raviver la conscience collective. Il est alors de notre devoir qu’à travers le rite de la commémoration, le sacrifice de 63 enfants de la commune morts pour la France ne sombre pas dans l’oubli. »
- Le rite possède-t-il selon vous cette fonction ?
« Il est selon moi essentiel pour la génération actuelle de savoir ce qu’ont vécu celles qui l’ont précédée. Comment savoir qui je suis, si je ne sais d’où je viens ? La vie des plus jeunes se nourrit de l’expérience des anciens, dont il faut faire mémoire. Ce qui est en jeu c’est la solidarité intergénérationnelle et, dans l’engagement politique qui est le mien, je me sens responsable, avec ceux de ma génération, du passage du relais. Avoir rénové la place de la Victoire comme nous l’avons fait contribue en acte à en faire un trait d’union entre le bourg agricole d’hier et la ville de demain. C’est en puisant dans la mémoire collective que se construit aujourd’hui l’histoire de demain. La commémoration est un acte formateur ; elle donne à penser ; les jeunes sont remués tout autant qu’ils sont interloqués. Stimuler la conscience et l’intelligence des événements à travers une expérience historique pas si lointaine justifie amplement pour moi ce devoir de mémoire. »
- Pendant 40 ans vous avez exercé comme chirurgien des hôpitaux militaires et vous avez beaucoup voyagé.
« Le Cambodge, le Rwanda, Sarajevo ne sont pas de simples mots entendus au journal de 20 heures. De par ma formation, je fus au cœur de l’actualité et fus témoin de la barbarie sur les lieux mêmes des conflits. Ma mémoire garde l’arrivée de ces enfants aux camps, bras tranchés par les machettes.
« De tels comportements sortent de l’entendement et là aussi il est de notre devoir de témoigner pour dire que cela existe et que cela se produit pas si loin de chez nous, en Europe, en Afrique. Je n’étais pas encore maire j’étais un simple citoyen et je prenais de mon temps pour témoigner par des conférences dans des salles des fêtes, des associations, des hôpitaux. »
- Quels points communs souligneriez-vous à travers vos différents engagements ?
« Ma fonction de maire, le rite de la commémoration ou le témoignage relèvent de la même démarche : se souvenir, se rappeler un certain nombre de valeurs et tout faire pour les transmettre. La visée reste toujours identique.
« Une des responsabilités du monde des adultes c’est d’éveiller la conscience des plus jeunes. Il s’agit de collaborer avec eux à la venue d’une vie plus humaine. Il est essentiel pour cela de ne jamais oublier d’où l’on vient, au niveau familial et collectif.
« Transmettre des valeurs familiales, faire mémoire avec des jeunes par un rite de commémoration, être témoins de ce que nous avons vu et le rendre public relève de la même dynamique : se rappeler l’horreur pour ne pas la reproduire et se souvenir de la grandeur de l’homme pour en vivre. C'est cela pour moi le devoir de mémoire. »
À l’issue de cette rencontre résonnent en moi d’autres mots, venus du fond des âges : « Garde-toi d’oublier » (Deutéronome 2,7 et 6,12)