Des hommes et des dieux

Publié le par G&S

L'esprit de Tibhirine emporte le Festival de Cannes

On le vit d’abord en soi, puis on sent que la salle est gagnée du même sentiment, sans en évaluer encore l’intensité exacte. Pour constater, lorsque les lumières se rallument, que le festival vient de vivre l’un de ses grands moments. Applaudissements nourris, échanges unanimes. Quelque chose est passé. Pas seulement un film, éblouissant, transcendant, mais une grâce, un souffle. Une profonde fraternité.

Mardi 18 mai, Xavier Beauvois, l’auteur de Nord, N’oublie pas que tu vas mourir, Selon Matthieu et Le Petit lieutenant, présentait en compétition officielle Des hommes et des dieux.

Une évocation magnifique de la vie des moines de Tibhirine, en Algérie, dans les trois années qui précédèrent l’enlèvement et la mort de sept d’entre eux, en 1996. Une œuvre tragique et lumineuse, sobre et lente, baignée de tonalités douces et des couleurs pâles de l’hiver dans l’Atlas, superbement photographié par la chef opératrice Caroline Champetier.

Pas de théoriTibhirine.jpge sur les circonstances de leur mort, pas de thèse sur les responsabilités. À mille lieues des polémiques et des procédures judiciaires ayant trait à ce drame, Xavier Beauvois, à partir d’un scénario d’Étienne Comar, s’interroge sur le choix que firent ces moines de rester là, parmi leurs frères algériens, sans prendre partie entre ceux de la montagne (les terroristes) et ceux de la plaine (dont tous ces villageois avec lesquels ils vivaient en parfaite harmonie). Attachés à réaffirmer humblement leur message de paix alors que le pays, au nom d’un dieu caricaturé par l’extrémisme, s’enfonçait dans le terrorisme et la guerre civile.

Voilà donc l’existence paisible de huit moines, peu à peu confrontés à la violence, démunis et horrifiés, mais résolus, à la suite du prieur Christian de Chergé, à ne pas renoncer à l’appel qui avait dessiné leurs vies, celles de religieux catholiques vivant leur engagement en terre d’islam.

Au rythme de la vie monastique, restituée avec précision grâce aux conseils d’Henry Quinson, entre travaux manuels et repas, célébrations, prière et recueillement, le film révèle l’esprit de la communauté de Tibhirine et livre peu à peu l’objet de sa quête. Cherche à s’approcher du mystère de ces hommes de foi, prévenus des dangers et incités au départ, jetés dans le doute (Faut-il s’éloigner ? Faut-il rester ?), intérieurement ébranlés et amenés à entrevoir la possibilité d’un martyre qu’ils n’ont pas recherché.

Lectures de psaumes, méditations, poèmes accompagnent avec profondeur ce cheminement douloureux, dans des scènes d’une extraordinaire simplicité et d’une intense justesse, jusqu’à la lecture bouleversante du testament du père de Chergé.

Croyant ou non, chaque spectateur semblait touché mardi par la force universelle de ce message d’amour, porté par huit comédiens véritablement habités par leur rôle, autour de Lambert Wilson dans celui du prieur et du formidable Michael Lonsdale en Frère Luc, médecin aux 150 consultations par jour.

Lors de la conférence de presse qui suivit – au cours de laquelle Étienne Comar et Lambert Wilson recommandèrent La-Croix.com à qui désirerait disposer de tous les éléments sur le drame et ses prolongements – Xavier Beauvois a précisé que le film, tourné au Maroc, s’était fait « en état de grâce ». Les comédiens, eux, évoquaient le lien qui les unit encore. On imagine mal que le jury ne soit pas, comme le petit peuple du festival, emmené par cette œuvre singulière et puissante.

Arnaud SCHWARTZ
pour La Croix.fr
Film français, 2 heures
Sortie prévue le 8 septembre 2010.

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