De la fraîcheur d’un tombeau...
Pâques est passée ; mais son message reste, pour l'Éternité...
Voici donc un extrait du livre De la fraîcheur d’un tombeau de Erri de Luca.
Se détacher du corps a été toute une lutte. Elle ne voulait pas mourir cette chair de trente ans, pleine de santé et d'amour. Eux, de l'extérieur, ils tiraient ma vie à force de coups de fouet et de clous, moi je poussais à coups de pieds et rien, elle ne voulait pas, elle ne s'en allait pas ta création plantée si fort. [...]
Ces quelques jours de tombeau sont tous à moi, enfin. Je m'étais préparé à m'arrêter trois jours et trois nuits, comme Jonas dans le poisson, mais je sens déjà ma chair qui repart et me fera ressusciter non pas après trois plus trois, mais déjà au troisième jour. [...]
Maintenant je peux m'arrêter pour régler quelques comptes avec la prochaine violence de la nature, la résurrection. Cette fois aussi, je serai le premier à inaugurer l'expérience. Pendant le temps bien rempli de ma mission, j'ai voulu montrer une autre possibilité de rachat. La révolution ne porte aucun fruit quand elle n'est que politique. Les faibles, les pauvres, les offensés doivent s'armer d'autre chose. Seule une révolte d'âmes en flammes, d'êtres sans défense passionnés de sainteté peut déloger de leurs trônes les multiples Rome du monde. Les agitateurs de mon peuple, les courageux zélotes se trompent : ce n'est pas avec les armes de David, mais avec ses psaumes qu'il est possible de gagner. [...]
J'ai prêché et démontré ceci : se détourner de la puissance politique, déchaîner celle qui est intérieure, la violence d'une vie humble qui ne craint pas de se perdre, qui accepte le risque de témoigner. Seul le péril d'amour, dur seulement envers soi-même mais docile pour autrui, entraîne vers une vie nouvelle. [...]
Rome tombera, captivée plus que vaincue par la bonne nouvelle. Elle tombera par une contagion d'amour entre ses habitants, désarmée de l'intérieur. Son saccage sera une formalité de l'histoire, par rapport à sa conversion, à la révolution intérieure des âmes. [...]
En attendant, moi, je suis tombé, battu par les pouvoirs, comme n'importe lequel des révolutionnaires. Mais entre Barabbas, le chef de la révolte politique contre Rome, et moi, la différence est la même qu'entre la terre d'Israël et celle d'Égypte. Lui est l'Égypte, terre saturée d'eau, de canaux, qui compte sur la richesse de sa superficie.
Moi je suis Israël, je dépends des pluies, je reçois tout du ciel et m'en remets à lui. [...]
Aujourd'hui lui est libre et moi je suis dans cette excavation sèche offerte par Joseph d'Arimathie. Barabbas a été le préféré et c'est juste ainsi. Dans des temps de révolte, la vie courte des armes est plus populaire. La mienne est plus lente. [...] Moi je suis l'ennemi des empires et je les renverserai. [...]
Mon agonie forcée sur une obscène potence fera de cette machine de mort un symbole d'amour. Mes bras grands ouverts par les clous resteront jusqu'à la fin des étreintes. Pas maintenant : je vous annonce une autre Pessah/Pâque ; je vous attends au tournant des résurrections, après la mienne les vôtres. Nous nous rencontrerons ici, vous y viendrez.
Erri de Luca
Texte envoyé à G&S par Pierre Locher