De l’indignation à la transition vers un nouveau monde
Un usager des transports en communs de la Région parisienne vient de mettre en ligne sur Internet la vidéo d’une scène fort instructive. Il raconte ainsi la scène : « J'attendais à la machine pour acheter un ticket, quand j'ai entendu un homme s'exprimer très fort au téléphone. Il criait contre la personne au bout du fil, manifestement mécontent. Une agente de la SNCF est sortie de son bureau pour lui demander de parler moins fort, arguant que cela résonnait dans toute la gare. L'homme s'est alors encore plus énervé et la tension est montée. "Je gagne soixante-dix mille euros, vous gagnez le SMIC alors vous fermez votre gueule"… "Si vous aviez pas de gens comme moi, vous n'auriez pas votre salaire"… "Moi je ne respecte pas les fonctionnaires français"... la vidéo parle d'elle-même ».
Par delà la goujaterie du propos, cette scène illustre l’attitude de certains financiers qui n’ont que mépris pour tous ceux qui ne « font pas de l’argent » et plus particulièrement les politiques qui voudraient se mêler de réguler leurs comportements aberrants et les fonctionnaires chargés de faire respecter les décisions politiques. Le 4 septembre dernier, la chaîne de télévision ARTE diffusait un document sur la banque américaine Goldmann Sachs intitulé :La banque qui dirige le monde. Compte-tenu du rôle majeur que cette grande banque a joué dans la crise financière actuelle, ses dirigeants ont été convoqués par une commission d’enquête du Sénat américain. Au cours de cette audition publique, la morgue à peine polie du Président de la banque face aux représentants élus de la nation américaine relevait, vocabulaire mis à part, du même état d’esprit.
Dans un récent article publié dans le Journal Le Monde intitulé Le suicide de la finance, l’économiste et anthropologue Paul Jorion montre que, malgré la crise, la plupart des grands établissements financiers n’ont rien oublié et rien appris et pensent que de toutes façons, compte tenu de leur taille, le contribuable devra, le cas échéant, régler l’addition 1.
Dans ce contexte, la parution de l’ouvrage de Nathalie Calmé : Économie fraternelle et finance éthique. L’expérience de La Nef 2 peut paraître quelque peu surréaliste ! Et pourtant, il nous montre à travers la pratique de presque 30 ans qu’une société financière peut contribuer à ce que l’argent soit au service d’une économie fraternelle en faisant appel à la responsabilité de tout épargnant, même modeste.
Dans un texte écrit en 1993 intitulé : L’argent est-il devenu fou ? Philippe Leconte, Président du Conseil de Surveillance de La Nef jusqu'en 2012 écrivait : « L’argent n’est-il pas devenu fou, simplement parce que nous l’avons abandonné ? Les opérateurs financiers qui ont pour rôle de le faire circuler n’ont pas reçu de notre part d’autre consigne que celle d’en tirer le maximum de profit ».
L’expérience de La Nef nous invite, par-delà les indignations vertueuses, à prendre très concrètement nos responsabilités vis-à-vis de l’argent comme le précise sa Charte : « L’action de nature bancaire de La Nef vise à ce que l’argent relie visiblement les personnes qui à un moment donné en disposent sous forme d’épargne ou de capital et celles qui à un moment donné en manquent pour réaliser leur projet. La Nef veut que ce lien, par la conscience de sa valeur et par la responsabilité qu'il entraîne, soit le facteur déterminant d’une architecture sociale saine et solidaire » 3.
Bernard Ginisty
1 – Paul Jorion : Le suicide de la finance in Le Monde éco&entreprise. Supplément au quotidien Le Monde du 9 octobre 2012, page 2.
2 – Nathalie CALME : Économie fraternelle et finance éthique. L’expérience La Nef. Préface de Claude Alphandéry et Jean-Marc de Boni. Postface de Bernard Ginisty. Édition Yves Michel 2012, 300 pages, 19 euros. Cet ouvrage centré sur l’histoire de la Nef est aussi très documenté sur les réflexions et les pratiques alternatives en matière de gestion de l’argent. Pour tout renseignement concernant La Nef, www.lanef.com.
3 – Idem, La Charte de La Nef, page 273