Dans le jardin politique volent les pavés de l’ours !
G&S s’interdit toute incursion dans le domaine strictement politique. Ce n’est pas son domaine. L’affaire Jean Sarkozy s’est heureusement terminée par la décision de l’intéressé lui-même. On peut donc en parler maintenant sans risque d’être accusé de sacrifier à la “politique politicienne”, et en voir seulement les aspects éthiques, ou, ici, tout simplement rhétoriques.
Nous ne dirons rien des discours de l’opposition : elle était “contre” sa candidature à la présidence de l’EPAD ; c’est apparemment sa préoccupation principale d’être contre, même lorsqu’elle exploite, un peu lâchement, des fautes techniques de ses adversaires. En revanche, nous voudrions attirer l’attention sur les paroles de “soutien” dont a profité le fils du président de la République. Certains de ses partisans ont avancé des arguments sur l’opportunité, voire l’intelligence desquelles on pourrait avoir quelques doutes.
Par manque d’honnêteté intellectuelle ou par bête inattention, certaines argumentations d’hommes et femmes politiques peuvent, parfois, laisser pantois. Pour justifier qu’un jeune homme de 23 ans, en deuxième année de droit (ce qui n’est pas très brillant) puisse occuper un poste dit à la fois (contradictoirement) “honorifique” et de haute responsabilité, on a entendu tel ancien ministre dire : « La valeur n’attend pas le nombre des années » (Pierre Corneille, Le Cid, acte II, scène 2) ou, tel autre, dans le même genre et en plus érudit, citer l’exemple de Marceau, général à 24 ans, certes, mais mort à 27 ! ou de Hoche, général à 25 ans (mais mort à 29 ! ) : c’est oublier que les généraux de la Révolution n’étaient pas tous des stratèges affirmés, sortant de l’École de Guerre, mais essentiellement des hommes volontaires et courageux, capables de foncer à la tête de leurs troupes. Est-ce cette seule qualité qui est nécessaire pour assumer le poste en débat, chargé de l’aménagement et de la gestion du premier centre d’affaires d’Europe (à ce qu’on dit) ? Et s’il s’agit d’un poste purement honorifique, doit-on y placer un tout jeune homme ou un serviteur reconnu de l’État ?
Autre argument : « on peut réussir sans diplôme » ! Il y en a, certes, d’heureux exemples, mais pourquoi alors entretenir des grandes écoles, chargées de former des cadres compétents, et, probablement, coûteuses (ENA, Sciences Po, HEC…) ? Et l’absence de diplôme est-elle compensée par une grande expérience professionnelle (ce qui est habituellement le cas pour les grands responsables industriels ou commerciaux) ?
Encore entendu, un argument quelque peu naïf (?) : « et même si son père l’avait un peu aidé, n’est-il pas naturel qu’un père aide son fils ? » Disons que c’est humain, mais n’y a-t-il pas dans notre devise nationale, qui est un résumé idéal d’une République modèle : le mot Égalité ? Y a-t-il égalité d’influence possible – et donc d’aide efficace au cher bambin – entre celle d’un président de la République en exercice et celle du cordonnier ou de l’arabe du coin ? Des méchants ont parlé de népotisme ? Une définition du dictionnaire traduit : « abus d'une personne qui profite de sa situation pour avantager ses proches ». Cela nous pousse à approfondir le raisonnement : à partir de quand commence l’”abus” ?
N.B. Un partisan du prétendant a même essayé de réfuter l’accusation de népotisme parce affirmait-il : « en grec (sic), nepos signifie neveu et non pas fils…». Non, nous ne rêvons pas.
Au fond, le seul argument sérieux de sa légitimité, c’est l’intéressé lui-même qui l’a donné lors d’une interview : il est élu ! Bien sûr, si l’on voulait chipoter, on pourrait se demander de nouveau si, fils de cordonnier ou de l’arabe du coin, et quelle que soit sa valeur, il aurait pu être élu à 22 ans dans une circonscription huppée de notre belle démocratie, qui ignore bien sûr tout favoritisme ou petits services entre amis. Mais il a fait taire, en refusant de se porter candidat, adversaires et partisans : et cela est bien.
Pour finir, en élargissant un peu le propos au delà d’une personne, un mot qui est insupportable dans le vocabulaire journalistique : le terme fief pour désigner une circonscription électorale qui semble réservée, pour revenir comme de droit à un cacique : ça sent trop l’Ancien Régime (Cf. l’article Bonne année 1788 ! paru dans G&S). Pourtant, on assiste bien parfois à des accessions aux responsabilités qui prennent une allure héréditaire… Or n’est-ce pas Blaise Pascal qui écrivait – ce qui était courageux dans une monarchie absolutiste – que le fils d’un bon pilote n’est pas forcément un bon pilote ?
Marc DELÎLE