Code religieux ou Humanisme Évangélique ?
Code civil et code religieux
« Nul n'est censé ignorer la loi ». Voilà l'énoncé qui règle le vivre ensemble des concitoyens d'un même État, les dispensant d’un quelconque état d'âme. Lorsqu'une loi avec ses articles et ses décrets est promulguée, il ne reste qu'à l’appliquer. Lorsque nous sommes dans un État de droit, le code civil s'applique de manière identique à tous et ne tolère aucune exception. Tout écart dans sa compréhension et son application est alors sanctionné. Pour la loi civile, il s'agit d'obéir à la règle sans besoin de discernement sur le bien-fondé de cette dernière. Ce rapport au code fonctionne de manière identique pour le Code de la route. Nul automobiliste conscient ne transgressera l'injonction de s'arrêter au feu rouge, quelle que soit l'heure de la journée ou le niveau de circulation ambiant.
Une certaine conception de la loi morale peut se calquer sur ce modèle. S'instaure alors une morale d'application, au détriment d'une morale de jugement. Pascal, dans Les Provinciales, écrites en 1656-1657, fournit un modèle du genre. La casuistique étant discréditée, est moral ce qui se conforme au légalement déterminé. Nul besoin de discuter, le cas particulier n'existe pas. Il ne s'agit pas d'aider un homme en prise à la réalité d'une existence particulière à acquérir une conscience droite et éclairée, puisque l'accent est mis sur la conformité à la règle. Est totalement court-circuité le débat intérieur qui conduit à la prise de décision. Lorsque cette loi morale s'inscrit dans un corpus religieux, le code religieux engendre une morale imposée par l'application ojbective de la règle, sans questionnement généré par la mise en mouvement d'une conscience éclairée. Est moral ce qui est légal ; s'en écarter est immoral et sera légalement sanctionné. Le voleur verra sa main tranchée, la femme adultère sera lapidée.
Lorsque la casuistique est supprimée ne subsistent que des exigences claires, appelant cependant des clarifications de plus en plus nombreuses pour que l'action morale dictée par l'obéissance ne suscite aucun questionnement… en théorie du moins.
En effet le jeune homme riche de l'évangile a obéi à tous les commandements et n’a nul besoin de s'interroger. Et cependant il vient voir Jésus. « Que faire pour obtenir la vie éternelle ? » (Marc 10,17-27). L'application des commandements semble donc insuffisante pour rester vivant éternellement. Même s’il ne réussira pas à prendre la décision de suivre Jésus, il sera venu le consulter. Difficile de passer en une fraction de seconde d'un certain mode de fonctionnement à un autre. De plus, comment ne pas céder au trouble en entendant que « les publicains et les prostituées arriveront avant lui au Royaume de Dieu » (d'après Matthieu 21,31) ? Quel étrange enseignement moral ! Comment suivre un tel Rabbi ?
À l’opposé du jeune homme riche, si la foi chrétienne est réduite à un simple code religieux à appliquer dans un rapport d'obéissance légaliste on peut tout à fait comprendre que l'homme occidental du XXIe siècle éprouve des réticences à son égard et passe à côté de la Joie de la Bonne Nouvelle.
Je ne suis pas loin de penser que nous touchons là une des causes de l'athéisme contemporain.
Désobéir ?
L'issue possible serait-elle d'exhorter à la désobéissance à la loi ? Je ne le crois pas, d'autant moins que " l'appel à la désobéissance " des prêtres autrichiens m'apparaît peu fécond et bien risqué. Mgr Noyer, évêque émérite d'Amiens qui affirme : « L'Église ne peut s'endormir dans ses certitudes et ses habitudes. (...) Les prêtres n'ont pas le droit de faire taire les appels de leur âme de pasteur par une obéissance formelle à la loi » appelle cependant à l'obéissance non à un Code mais aux audaces de l'évangile (Témoignage Chrétien, 6 septembre 2012). C'est l'Évangile qui est Bonne Nouvelle ; c'est l'Évangile qu'il est urgent d'annoncer au monde. Là est notre vocation, là est notre mission.
Combien de divorcés remariés voient-ils la porte d'un presbytère se refermer par pure obéissance à la loi en vigueur ? Comme le souligne le cardinal Martini dans son Testament (dans le Corriere della Sera, 1er septembre 2012), « l'attitude hostile que l'Église porte à l'égard des familles recomposées déterminera les rapports de la génération des fils avec l'Église (...). Si les parents se sentent en dehors de l'Église et n'en sentent pas le soutien, l'Église perdra la génération suivante. »
Une vérité morale totalitaire ne court-elle pas le risque de ne plus être morale et d’engendrer le rejet pour les générations à venir ?
Être fidèle au Christ tel que l'Évangile nous l'enseigne n'ouvre cependant la voie ni au laxisme ni à l'immoralité, mais à des exigences d'un tout autre ordre. Une des premières exigences c'est de partir « en toute hâte » à la rencontre de l'autre et de faire route au devant de lui et avec lui. Comment poser une quelconque exigence à celui dont la porte a été fermée à clef par la règle à appliquer sans rien connaître de son histoire, de sa vie, de son désir ?
« Que veux tu que je fasse pour toi ? » (Marc 10,46-52) ne serait-elle pas une règle d'or ? L'anonymat des règles fige et enferme. Entrer dans le concret de l'existence humaine fait certes courir le risque de voir s'effondrer le monde des bonnes convenances. Et c'est pourtant un Zachée sans doute interloqué qui entendit : « Ce soir, je viens demeurer chez toi ! »(Luc 19,1-10). Saurons-nous entendre à frais nouveau ce message de libération : « C'est pour la liberté que Christ nous a affranchis, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude » (Galates 5,1) ?
Dans l'évangile, l'opposition ne réside pas entre bien et mal mais entre ouverture et fermeture. Dieu ne peut rester à la porte de celui dont le coeur est prêt à s'ouvrir à la lumière bienfaisante d'une confiance redonnée. « Va et ne pêche plus » (Jean 8,11) a bien été prononcé à la femme dont les détracteurs partirent l'un après l'autre, abandonnant sur place les pierres de la sentence. « Nous posons trop d'exigences sans aller à ce qui est fondamental, sans montrer comment l'exigence est bonne nouvelle parce qu'elle est pardon, parce qu'elle dit " il est bien que tu existes, il est bien que tu vives " (...). Le " tu dois " moral n'est pas le " tu dois " évangélique, car ce dernier est entouré en amont de " quoi que tu aies fait, je te pardonne et je t'accueille " et en aval " va et fais ton chemin " » (J'aimerais vous dire, Albert Rouet, page 240).
L'évangile ouvre à de véritables exigences, mais le risque est réel de les réduire à l'application anonyme des règles d'un code religieux.
Saura-t-on jamais combien de gens immoraux suivirent le Christ et combien de gens à la conduite irréprochable repartirent bien tristement ? Gardons-nous d'oublier que pour le Fils l'obéissance à son Père exclut toute soumission aveugle au Droit canon de l'époque :« Le shabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le shabbat » (Luc 6,1-5).
L'évangile éduque et éclaire la conscience ; il ne conduit nullement à s'acheter une bonne conscience dans un suivi scrupuleux d'un code religieux réduit aux notices de montage des meubles Ikea !
Être précédé par l'amour et vouloir y répondre ne signifie nullement que tout est permis, que tout se vaut. Désirer correspondre à la miséricorde dont on a été premier bénéficiare est une sacrée exigence. Elle nous invite à poser des actes motivés par l'amour, un amour le plus proche possible de celui dont le Père nous aime.
« L'Évangile ne nous demande pas simplement d'avoir la foi, il nous demande de faire attention à la manière dont nous vivons cette foi. Car subtilement nous pouvons transformer la foi en imposition, la foi en technique, la foi en intégrisme » (Mgr Rouet,page 326)
L'Évangile est une école de vie, source de relations humanisantes et non un code religieux. Dieu lui-même, en Jésus, a connu l'opprobre et la croix à l'issue d'un procès religieux pour avoir osé énoncer en acte une telle vérité. Jésus ne laisse aux siens aucun code rituel, ni législatif, ni dogmatique, rien d'autre qu'un humanisme nouveau, une façon de vivre en relation les uns avec les autres qui découle directement de la Paternité universelle de Dieu.
Pour tout le reste, il remet au monde son Esprit qui le guidera " vers la vérité tout entière " (Jean 16,13).
Nathalie Gadea