Choisir son camp entre l’intelligence et la soumission ?
Le 27 mai dernier avait lieu, en présence du Président de la République, l’inauguration des locaux rénovés de la faculté protestante de théologie de Paris. Dans le cadre de cette rénovation, la création d’un « Fonds Ricœur » destiné à rassembler dans un même lieu, ouvert aux spécialistes et aux chercheurs, mais aussi à tous ceux qu’interpelle la pensée du philosophe Paul Ricœur, l’ensemble de ses archives, de son œuvre et de sa bibliothèque est un événement important dans la vie intellectuelle de notre pays. « Une création sans aucun précédent sur le territoire français. Rien se semblable n’a jamais été fait, ni pour Levinas, ni pour Derrida ou Deleuze commente, non sans fierté, Olivier Abel, président du Conseil scientifique. » 1
Plus que jamais, l’œuvre de Paul Ricœur se situe au cœur de nos débats les plus contemporains. Pour Olivier Abel : « L’un de ses apports les plus importants est sa volonté de penser le dialogue : la philosophie et les sciences humaines, la philosophie et la Bible, la philosophie et la littérature. Il disait la nécessité de faire dialoguer des traditions qui ne se comprennent pas, de confronter des cultures étrangères. (…) Lui-même ne se définissait jamais, en aucun cas, comme un philosophe chrétien ou protestant. Il était philosophe et protestant. Il se vivait en tension entre ces deux pôles. » 2
À l’heure où certains courants chrétiens sombrent dans l’anti-intellectualisme au nom d’une émotivité baptisée parfois rapidement de « motion de l’Esprit », le pasteur Laurent Schlumberger, président du Conseil National de l’Église Réformée, a particulièrement bien mis en lumière le rôle de l’analyse critique au cœur même de la démarche de la transmission de la foi chrétienne. Dans le discours prononcé lors de cette inauguration, il analyse ainsi les difficultés des Églises chrétiennes confrontées à ce qu’il appelle « la panne de transmission » : « On attribue souvent une large part de responsabilité dans cette panne précisément à la critique, la critique rationnelle moderne. (…) La critique ferait donc échouer la transmission ; ou encore, la transmission supposerait une attitude acritique. Au point qu’il faudrait choisir son camp, entre l’intelligence et la soumission, la science et l’obscurantisme, l’autonomie et l’hétéronomie, la démarche rationnelle et l’orthodoxie doctrinale. Il faut refuser cette alternative consternante. (…) La critique est au cœur de la transmission telle que nous la concevons ». Pour lui, « le moment Réformateur naît avec le geste et la parole critiques. Le refus qui se mue en attestation, la dissidence, sont constitutifs de l’être protestant » 3
Cette dimension critique se déploie dans la transmission des savoirs destinée à permettre à chacun de devenir « sujet d’une critique élaborée et assumée ». La pluralité des textes du Nouveau Testament, témoigne « d’une transmission non seulement nourrie, mais suscitée par des critiques en débat, des interprétations en conflit ». D’autre part, la transmission du message évangélique est elle-même une critique adressée au lecteur qui doit consentir à ne pas rester en repos, à l’existence croyante pour éviter qu’elle ne se sclérose, au monde contemporain enfin pour « contester la clôture de la raison sur elle-même. (…) Transmettre, c’est critiquer, parce que c’est poser et garder ouverte la question de la transcendance, qui n’est pas seulement une question individuelle mais aussi une question sociale et politique ».
Bernard Ginisty
Chronique hebdomadaire diffusée sur RCF Saône & Loire le 26.06.10
1 - « Ricœur en sa demeure, ouverte sur la vie et le monde. Un magnifique lieu de recherche accueille désormais les archives et les livres donnés par le philosophe Paul Ricœur. Il devait être inauguré le 27 mai par Nicolas Sarkozy ». Hebdomadaire Réforme du 27 mai 2010, pages 2 et 3
2 - Id. Page 3.
3 - Laurent Schlumberger : La critique et la transmission in Réforme du 3 juin 2010, page 14.
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