Chapeau l’Artiste !
En cette période pascale où une prétendue création artistique (Piss Christ) d’un prétendu artiste déchaîne la violence verbale et physique d’un certain nombre de chrétiens souhaitant défendre la chrétienté attaquée, je me suis surprise à répondre avant l’heure à l’invitation de l’Église qui, chaque Vendredi saint convie ses fidèles à contempler le Christ en croix.
Dans le silence d’une chapelle j’ai osé poser mon regard sur cette croix en plastique immergée dans un verre d’urine et par une étrange remontée dans le temps, je me suis retrouvée aux côtés du disciple bien aimé et de Marie sa mère.
Fixant mes yeux sur le bas de la photographie, je contemplais tout d’abord ces pieds plongés dans ce verre pollué. Aux crachats anonymes d’un certain vendredi en Palestine se rajoutait l’urine d’un auteur contemporain en terre de Provence. Quel réalisme ! Quelle parabole !
Je me sentis en lien de communion immédiate avec ce Christ solidaire de tous les rejetés, bafoués, outragés du monde, depuis la création jusqu’à cette heure du Calvaire.
Jésus,
Toi l’Innocent, Tu t’es laissé condamner sans te défendre,
Je te prie pour tous ceux qui sont victimes de l’injustice et de la haine
Toi, qui t’es chargé de ta Croix sans un mot de révolte,
Je te prie pour tous ceux qui sont écrasés sous le poids de leurs souffrances.
Toi, qui as rencontré Marie Ta Mère
Sur le chemin de ton supplice,
Je te prie pour tous ceux qui ont besoin de la consolation d’une mère.
Toi, qui par trois fois es tombé sur le chemin du Calvaire,
Je te prie pour tous ceux qui sont découragés et sans espoir.
Toi, que l’on a vêtu de dérision et dépouillé de ses vêtements,
Je te prie pour tous ceux qui vivent sans dignité et sans amour.
Toi, que notre péché a cloué sur le bois de la Croix,
Je te prie pour tous ceux qui meurent par la faute des hommes.
Toi, qui dans ton dernier souffle veux pardonner à tous les hommes,
Je te prie pour tout homme qui s’agenouille devant la puissance de ton amour.
Toi, dont le corps est déposé au tombeau,
Je te prie dans l’espérance de recevoir ton Corps ressuscité. 1
Résonnaient en moi les paroles du curé de campagne de Bernanos : « vous pourriez lui montrer le poing, lui cracher au visage, le fouetter de verges et finalement le clouer sur une croix, qu’importe ? Cela est déjà fait. » Une image pourrait-elle faire plus scandale que la mort ignominieuse de l’Innocent au gibet de la croix ?!
Lui qui, étant de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Au contraire, il s'est dépouillé, devenant l'image même du serviteur et se faisant semblable aux hommes. On reconnaissait en lui un homme comme les autres. Il s'est abaissé, et dans son obéissance il est allé jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé plus haut que tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms, afin qu'au nom de Jésus, dans les cieux, sur la terre et dans l'abîme, tout être vivant tombe à genoux et que toute langue proclame : Jésus Christ est le Seigneur, pour la gloire de Dieu le Père 2
Je luttais contre le désir qui surgissait en moi de les laver, les essuyer, les sécher ces pieds outragés par les immondices, mais au plus profond de moi j’entendais Ta prière : « Mon Père s’il est possible que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, pas comme je veux, mais comme tu veux ». Tu me demandais de contempler tes pieds souillés pour tenter de comprendre. « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? »
Me sera-t-il donné un jour de comprendre ce que Tu as fait ?
Alors mon regard remonta doucement ; de Tes pieds vers Ton corps. Quel ne fut pas mon étonnement de Le découvrir peint d’un jaune éclatant et radieux. La Lumière immergée dans les eaux obscures et croupissantes de nos excréments humains resplendissait et illuminait l’ensemble.
En ce Mercredi saint, dans la contemplation de la croix je vivais Pâques avant l’Heure. Je vivais le passage du « Christ aux outrages » au « Christ de Gloire ».
Merci Monsieur Serrano, en l’espace d’une heure, en ce Mercredi saint, vous m’avez fait comprendre le lavement des pieds du Jeudi saint. Si Christ s’est agenouillé devant ses disciples ce n’est pas pour nettoyer leurs pieds, fussent-ils eux aussi dans l’urine de leurs péchés, mais pour me redire aujourd’hui que le chemin vers Dieu passe par le bas, par l’humilité et donc par les pieds, surtout s’ils sont sales.
Merci Monsieur Serrano, en l’espace d’une heure, en ce Mercredi saint, vous m’avez permis de contempler la croix du Vendredi saint plantée dans la boue de mon péché pour pouvoir en émerger, tirée par le bras puissant d’Amour. C’est devant elle que je m’inclinerai dans quelques heures.
Merci Monsieur Serrano, en l’espace d’une heure, en ce Mercredi saint, vous m’avez fait contempler la Gloire du Ressuscité. Il nimbe de sa Lumière le tombeau jonché de toutes les sécrétions peccamineuses. Dans quelques jours la pierre en sera roulée et le Feu allumé de la nuit pascale l’illuminera.
Merci Monsieur Serrano, vous ne fûtes pas un serviteur inutile. Le Seigneur, par vous, malgré vous, au-delà de vous, a su se frayer passage vers mon cœur.
Alors avec tous les chrétiens j’ai envie de vous souhaiter : belle montée vers Pâque, Monsieur Serrano.
Quant à Toi Seigneur : Chapeau l’Artiste !
Nathalie Gadéa
1 – Extrait de « Le livre de toutes les prières » - Éditions Mame/Edifa 2006
2 – Lettre de Paul aux Philippiens 2,6-11