Chacun de nous sait qu’il est vraiment « né »
La période de l’Avent préparatoire à Noël, que nous sommes en train de vivre, invite à méditer sur le mystère de la naissance. La liturgie de ces jours rappelle les généalogies qui ouvrent les Évangiles de Matthieu et de Luc. Elles veulent montrer que le Christ est bien l’héritier de la promesse et le Messie tant attendu.
Défilent alors devant nous les grands noms de l’épopée biblique, aussi bien les rois et les humbles, les saints et les pécheurs. Cette généalogie part d’Adam et arrive à Joseph, père dit « nourricier » de Jésus dans la tradition chrétienne. C’est comme si toute l’histoire humaine s’accomplissait dans cette naissance.
Cependant, le même Évangile, rapportant l’Annonce faite à Marie, nous apprend que Jésus est le fruit non d’une union charnelle, mais de l’Esprit qui envahit Marie. Ainsi, au moment même où la longue histoire de l’attente de l’humanité et du peuple Juif nous est rappelée, la révélation de l’authentique filiation nous est annoncée. Le Christ inaugure la nouvelle création que définit ainsi le Prologue de l’Évangile de Jean : « À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu ».
Noël célèbre ces deux temps de notre naissance.
Nous sommes enracinés dans une terre, une généalogie, une société vis-à-vis desquelles nous avons des solidarités charnelles. Faire mémoire de la généalogie de Jésus nous invite à en assumer tous les aspects, y compris les plus contestables. Mais, sans jamais renier ces enracinements, le mystère de Noël rappelle aussi que chacun d’entre nous est appelé à devenir « enfant de Dieu ».Tel est le sens profond du mystère de l’Incarnation : affirmer conjointement nos solidarités les plus fortes avec l’ensemble de l’humanité qui nous a portés jusqu’à l’existence, mais aussi notre destinée totalement unique en réponse à la Bonne Nouvelle annoncée aux hommes.
L’histoire de l’humanité nous a trop souvent montré que le rappel des généalogies contribuait à définir des privilèges de la caste ou de la race. Dans la langue française traditionnelle, on disait de quelqu’un qui avait, comme on dit, « de la branche », qu’il était « né », signifiant ainsi que l’origine de cet être humain ne dépendait pas des hasards d’une union charnelle, mais s’inscrivait dans une histoire prestigieuse.
La Vierge en qui s’accomplit la promesse est celle du Magnificat qui chante la geste de Dieu renversant les puissants de leur trône et exaltant les humbles.
Noël figure la subversion de tout ce que Blaise Pascal appelait « les grandeurs d’établissement ».
Désormais, chacun d’entre nous sait qu’il est vraiment « né », c’est-à-dire non plus déterminé et confiné dans le destin de ses racines, mais appelé à la liberté des enfants de Dieu.
Bernard Ginisty