Bienheureuse laïcité
Depuis plus de 500 ans, les Français ont appris, d'expérience, combien il pouvait leur en coûter de jouer avec le feu des religions. La grande sagesse de deux hommes, à quelque 300 ans de distance, leur a permis de trouver ou retrouver la paix qu'engendre le respect de la religion (ou non-religion) de l'autre.
En 1598, Henri IV signait l'Édit de Nantes, révoqué à peine un siècle plus tard par son petit-fils Louis XIV, avec les conséquences que l'on sait. En Décembre 1905, non moins sage, Aristide Briand permit le vote d'une loi de grande modération, même si, à l'époque, des chrétiens trop conservateurs ne l'ont pas compris.
Depuis 1905, contrairement à de longues périodes de son Histoire, la France a vécu dans la paix religieuse, allant même jusqu'à inscrire, en 1958, en tête de sa Constitution : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (art. 1).
Au moment où certains, tant au sommet de l'État qu'au Gouvernement, recommencent à être saisis par la fièvre obsidionale de toucher à cette valeur fondamentale de la laïcité, il m'a semblé bon de rappeler un fait de notre Histoire encore récente et bien peu connu.
Le drapeau Européen ou du bon usage de la laïcité
Bien peu, en effet, connaissent l'histoire du Drapeau Européen, douze étoiles d'or sur fond bleu, drapeau pourtant de plus en plus reconnu et représentatif, jusqu'à figurer, à la place du drapeau national, sur les plaques minéralogiques de nos véhicules.
Dès la signature du traité de Londres (5 mai 1949) créant le Conseil de l'Europe (10 États : Royaume-Uni, France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Suède, Norvège, Danemark, Irlande, Italie, puis très vite la Turquie, le 9 Août 1949), Robert Schuman songeait à un drapeau commun pour cette nouvelle Europe. Il chargea le directeur du Service de Presse du Conseil de l'Europe, Paul Lévy, de lui faire des propositions. De 1949 à 1955 il y eut plus de 100 projets, tous récusés par l'un ou l'autre pays : l'un portait une croix, l'autre un croissant… Finalement Paul Lévy chargea un de ses amis, Arsène Heitz, responsable du Service du Courrier du Conseil de l'Europe, bon dessinateur par ailleurs, de lui faire une proposition. Arsène Heitz le racontera plus tard : « J'ai eu l'idée d'y mettre les douze étoiles d'or de la Médaille Miraculeuse de la rue du Bac, sur fond bleu, couleur de la Sainte Vierge ».
Douze étoiles faisant, bien sûr, référence au verset de l'Apocalypse (12,1) : Un grand signe parut dans le ciel, une femme enveloppée de soleil, la lune sous les pieds, et une couronne de douze étoiles sur la tête.
Robert Schuman, enchanté par ce projet, le proposa à Konrad Adenauer qui l'approuva chaleureusement. Profondément laïcs, ils se sont bien gardés de confondre pouvoir et religion. D'un commun accord, pour respecter la sacro-sainte laïcité (et probablement aussi pour éviter le risque de déchaînement d'une controverse), ils décidèrent de ne pas en évoquer le sens. Ils ont su laisser vivre, sans l'expliquer, l'extrême beauté et la force du symbole : des États libres, égaux, unis dans l'harmonie d'une forme parfaite.
Ils le soumirent pour avis à l'Assemblée parlementaire puis au Comité des Ministres qui l'approuva le 8 Décembre 1955 (fête de l'Immaculée Conception).
Pour ceux qui aiment les coïncidences "miraculeuses", le traité de Rome qui institua peu après la Communauté Européenne (avec 6 États), fut signé, lui, le 25 Mars 1957 (fête de l'Annonciation) ! Les deux entités, Conseil de l'Europe et Communauté prirent les mêmes symboles, drapeau et hymne (l'Ode à la joie).
"Coïncidences miraculeuses" ? Pas tout à fait, car d'après ce que l'on sait de R. Schuman et de K. Adenauer, tous deux chrétiens convaincus, leurs convictions religieuses ne durent pas être étrangères à tout cela mais tous deux, profondément respectueux de la laïcité, se gardèrent bien d'ébruiter cette histoire, connue grâce à Arsène Heitz.
Deux grands hommes politiques européens, l'un français Robert Schuman, M.R.P., l'autre allemand Konrad Adenauer, C.D.U., c'est-à-dire tous deux chrétiens- démocrates, ont su taire leurs convictions derrière la raison d'État et la paix civile. Peut-être le fait qu'ils étaient tous deux issus du peuple rhénan, héritier de la grande Lotharingie carolingienne, terre du milieu, a-t-il joué un rôle primordial ?
Plus de 50 ans après, l'Europe se cherche encore avec peine. Elle vient de se donner un Président que tout le monde s'accorde à trouver peu brillant, voire même peu "charismatique", Herman van Rumpuy. Il est, lui aussi, chrétien-démocrate, lui aussi issu de cette fameuse Lotharingie. Il a déjà fait preuve de sagesse, de diplomatie.
Ne serait-ce pas là un signe de grande espérance ?
Pierre RASTOIN
8 Décembre 2009