Benoît XVI confirme le dialogue judéo-chrétien
Article du journal La Croix
Sur les pas de Jean-Paul II, Benoît XVI s’est rendu dimanche 17 janvier à la synagogue de Rome. Lors de cette visite historique, il a insisté sur les convergences essentielles entre juifs et chrétiens
Ce jour est le 2 shevat 5770. Autrement dit le 17 janvier 2010. Mais ici, au cœur de l’ancien ghetto de Rome, marqué par vingt-deux siècles de présence juive continue, le temps se déroule différemment. Il s’est arrêté un certain samedi 16 octobre 1943, au petit matin. 300 SS ont raflé plus de 1 000 juifs romains, dont 200 enfants, presque étonnés de cette catastrophe, tant Rome leur paraissait, depuis toujours, sûre. C’est là, qu’à 16 h 25, ce dimanche, Benoît XVI est descendu de sa voiture, en provenance du Vatican, de l’autre côté du Tibre : dix minutes pour parcourir 2,7 km. En fait une éternité. Celle qui séparait les fenêtres de Pie XII de la rafle romaine.
Lello Di Segni et Sabatino Finizzi étaient enfants ce petit matin de 1943. Ils sont revenus des camps. Ils s’avancent vers Benoît XVI. Marcello Pezzetti, directeur du futur musée de la Shoah, qui sera hébergé Villa Torlonia, à Rome, ancienne résidence de Mussolini, rappelle au pape les circonstances de la rafle.
Benoît XVI écoute en silence. Puis le pape emprunte à pied la via Catalana, vers l’entrée de la grande synagogue. Autre halte de douleur : le 9 octobre 1982, à la sortie de la prière, une bombe a éclaté sur ce trottoir, tuant Stéfano Taché, âgé de 2 ans. Ses parents saluent le pape. À leurs côtés, le vice-premier ministre d’Israël Silvan Shalom. Sur les marches de la synagogue, le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni accueille Benoît XVI. Mais son confrère le rabbin Laras, président de l’association des rabbins italiens et coorganisateur de la journée du dialogue judéo-catholique, qui a lieu ce dimanche en Italie, s’est désisté. En dépit de ces tensions internes, le rabbin Di Segni persiste et signe. Jusqu’à dimanche matin, il a médité son discours. Au sein de sa communauté, il a dû batailler ferme pour maintenir la visite du pape. A Rome, on dit du rabbin Di Segni, qui est né, après la guerre, en 1949, qu’il est un « Ratzinger juif ». S’entendront-ils, au sens propre ?
" Historique "
Le rabbin qualifie d’emblée d’« historique » cette rencontre. Pour lui, « c’est l’ouverture du concile Vatican II qui a rendu possible cette rencontre. S’il devait être mis en cause, il n’y aurait plus de possibilité de dialogue, » explique-t-il. Après avoir longuement évoqué l’existence de l’État d’Israël, résultat d’un « dessein providentiel », il rappelle la Shoah et le fait que, sauvés par des familles catholiques « nous sommes restés ce que nous avons toujours été » : tous n’ont pas été convertis… Rappelant Jean-Paul II, il précise : « Si nous sommes frères, nous devons nous demander sincèrement ce qui nous sépare encore d’un rapport authentique de fraternité et de compréhension, et ce que nous devons faire pour y arriver. »
Pour lui, un terrain essentiel de réalisation commune sera « l’environnement, la dignité de l’homme, sa liberté, son exigence de justice et d’éthique. » Il conclut : « Juifs, chrétiens et musulmans sont appelés sans exclusive à cette responsabilité de paix. » Riccardo Pacifici, président de la communauté juive de Rome, sera le seul à mentionner le nom de Pie XII, que Benoît XVI ne prononcera pas, et à demander l’ouverture des archives : « Le silence de Pie XII devant la Shoah fait encore mal, comme un acte manqué. Peut-être n’aurait-il pas arrêté les trains de la mort, mais il aurait transmis un signal, une parole de réconfort, de solidarité humaine, envers nos frères transportés vers Auschwitz. » Peu avant, il avait salué les religieuses qui ont sauvé tant de juifs.
Attentifs, les auditeurs dépassent largement le cadre romain. Outre les 600 journalistes du monde entier, sont présents, côté catholique, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, Sa Béatitude Fouad Twal, patriarche de Jérusalem, le nonce apostolique en Israël Mgr Antonio Franco, Mgr Elias Chacour, archevêque de Saint-Jean-d’Acre, le P. Pizzaballa, custode de Terre sainte à Jérusalem. Et côté juif, Shear Yashuv Cohen, grand rabbin d’Haïfa, David Rosen, directeur des relations internationales à l’American Jewish Committee, Oded Wiener, secrétaire général du grand rabbinat d’Israël.
Mot pour mot le message de repentance inséré par Jean-Paul II dans le Mur de Jérusalem
Parmi les participants, Andrea Riccardi, président de la communauté Sant’Egidio, qui a joué un rôle important dans la clarification apportée par le Vatican sur Pie XII. Mais aussi l’imam Pallavicini, de la grande mosquée de Rome, et Abdellah Redouane, secrétaire général du Centre culturel islamique d’Italie.
Benoît XVI prend la parole. D’emblée, il se situe dans la lignée de son prédécesseur, dont il reprend mot pour mot le message de repentance inséré par Jean-Paul II dans le Mur de Jérusalem, le 26 mars 2000. Les mots « amitié », « fraternité », « rencontre » jalonnent son discours. Vatican II reste pour lui un « point ferme » et irrévocable. Il insiste longuement sur les racines communes des juifs et des chrétiens, pour que cet héritage ouvre à un avenir meilleur pour l’humanité. Le Décalogue est égrené par le pape comme source essentielle d’une humanité à maintenir et à construire. Enfin, il appelle juifs et chrétiens à unir leurs cœurs et leurs mains.
Sous les hautes voûtes du temple, conçu en 1904 pour rivaliser avec les sanctuaires baroques romains, les applaudissements éclatent. Avant l’intervention du pape, ils ont ponctué les évocations de Jean-Paul II, de la communauté Sant’Egidio et du soldat Gilad Shalit, toujours otage du Hamas et citoyen d’honneur de Rome, sans oublier les responsables musulmans présents.
Que ce silence de tous ne soit pas un silence pour l’avenir.
Vient le chant « Ani Maamin » (« Je crois ») affirmant l’essentielle convergence entre les « frères aînés » et leurs benjamins : la foi en un Dieu unique créateur. Le pape conclut son intervention en hébreu, avec le psaume 117 :
« Louez le Seigneur, vous toutes les nations ! Célébrez-le, vous tous les peuples ! »
Peu après, des descendants de déportés remettront à Benoît XVI une lettre signée de plusieurs survivants : « À l’époque, nous avons été abandonnés de tous. Que ce silence de tous ne soit pas un silence pour l’avenir. »
Frédéric MOUNIER
à Rome, 17 janvier 2010
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