Au risque de ma foi (1)
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de Lourdes
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Nous entreprenons avec cet article de publier un récit à épisodes
sur le pèlerinage à Lourdes d’une amie chère de notre blog.
Il se terminera le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception !
Nous pensons qu’il est bon que vous puissiez réagir,
amis Internautes,
et partager votre vision, votre expérience, votre sentiment sur ce lieu de pèlerinage.
Bonne lecture !
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Épisode 1
Comment concilier ma vérité de foi et un pèlerinage marial ?
J’ai 62 ans et si j’excepte une ou plusieurs visites touristiques avant mes 10 ans, c’est la première fois que je vais à Lourdes.
Ma foi se situe dans la théologie de Vatican II. Dieu est amour et miséricorde ; il veut que nous soyons des hommes et femmes debout, ouverts à autrui, dotés d’une foi réfléchie, attentifs aux pauvres et non idolâtres. Nous construisons le Royaume.
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Le « phénomène Lourdes », c’était ma hantise. Non que je réfute l’importance de Marie, ni même les apparitions, ni même les élans d’émotion qui peuvent se manifester en certaines circonstances : une forme d’enthousiasme amoureux, que je peux comprendre et même envier. Je redoutais cependant une religiosité à la limite du paganisme, voire de l’idolâtrie. Ce n’est pas le commerce qui me choque 1, car je crois à la nécessité des signes, ou des objets, ou des gestes comme signes. Ils peuvent être le lien « incarné » de la relation entretenue avec Dieu.
J’avais peur cependant d’excès, encouragés au siècle dernier par l’Église et dont le succès justifierait la permanence ; une sorte de simplification du phénomène qui conduise, ni plus ni moins, à l’infantilisation des fidèles, devenus ainsi des adeptes. Une simplification des événements, au point qu’ils en deviennent une « jolie histoire » dont le seul objectif serait une adhésion basée sur l’émotion, faisant fi de toute intelligence, comme si l’une et l’autre étaient incompatibles. Un oubli du contexte historique, la fameuse encyclique affirmant le dogme de l’Immaculée Conception, promulguée à peine quelques années avant et dont on parlait alors dans les églises ; surtout un oubli du contexte social et psychologique, qui peut même aller jusqu’à se servir de la condition plus que modeste de la famille Soubirous, comme du jeune âge de Bernadette, pour justifier la réalité du « phénomène Lourdes » : « ils n’ont pas pu l’inventer… ».
J’avais peur de la confrontation avec une Église qui m’effraie, la manifestation d’une foi qui m’inquiète, et la crainte de me dire que cette foi-là, cette Église-là ne sont pas celles en qui j’ai mis ma confiance depuis 50 ans.
Aussi, pour continuer à vivre ma foi dans sa vérité, devrais-je rompre avec l’Église, pour être fidèle à Jésus et son message ? Et dénoncer autour de moi ces manipulations et ce paganisme ?
Ou bien, si je consens à penser que l’Église a raison, parce que tous ces gens, pendant tout ce temps, ne peuvent se tromper, alors, je dois reconnaître que je n’ai pas cette foi-là et que, peut être, je n’ai pas La Foi ?… et qu’alors, je dois en partir, dans un simple souci de cohérence. 2
Et si le risque était tout autre ? En acceptant de partir pour Lourdes, j’accepte d’entrer dans le système ; dans le système ? ou dans le mystère… J’accepte de me mettre moi-même à l’épreuve de la confrontation avec « le phénomène ». Au bout, le risque d’un rejet, ou le risque (la chance ?) d’une séduction, voire d’une adhésion
En un mot, j’ai l’impression que ma foi se joue ici… Cette visite à Lourdes me bouleverse et me fait peur.
J’y suis allée quand même. Au risque de ma foi. Le froid au ventre.
Par honnêteté envers l’Église, qui promeut Lourdes, y compris à travers les figures les moins conservatrices et les plus attachées à défendre la place du discernement dans la Vérité de la Foi.
Par honnêteté envers beaucoup d’amis, peu soupçonnables de facilité envers les choses du Père.
Par honnêteté envers moi-même, qui ne peut décemment tenir une position de réserve sans avoir vu de mes yeux et constaté sur moi-même d’une éventuelle (supplémentaire) conversion.
Et j’ai choisi le pèlerinage diocésain, pour faire communauté autour de notre remarquable évêque et aussi profiter d’une dynamique qui ne manquerait pas de se créer dans le groupe paroissial. Pour partager notre foi, nos expériences, nos émotions, et s’appuyer les uns sur les autres pour faire grandir notre relation à Dieu, et construire ainsi le Royaume.
Je partais avec une amie « en recherche », bien disposée envers un phénomène qui lui inspirait certes des interrogations, mais ni crainte ni antipathie.
(à suivre)
Danielle Nizieux-Mauger
1 – Trop de commerce choque pourtant, mais par quelle autorité et au nom de quelle légitimité cultuelle peut-on dire stop ?
2 – Une précédente expérience de retraite avec les frères de Saint Jean m’avait laissé un fameux malaise : ceux-ci délivraient une théologie totalement étrangère à la mienne, de ferveur et de certitude, une théologie du sacrifice et de la soumission, du péché et de la pénitence, le tout en développant une culpabilité des fidèles. Manifestant notre réserve, et notre propre vision, mon mari et moi-même avons été priés de quitter la retraite « si cela était trop insupportable », ce que nous avons refusé de faire. Dans ce cadre, je m’étais vraiment dit que si c’était ça la foi chrétienne, je m’étais alors complètement fourvoyée, et que pour être vraie avec moi-même, je devais quitter l’Église. Quelques jours supplémentaires de méditation m’avait conduite à considérer que s’il y avait dans l’Église de la place pour tous, et eux aussi, il y en avait donc aussi pour moi (une lapalissade !). Il n’en restait pas moins que ma vision était celle qui me paraissait la plus conforme aux Évangiles. Ce qui ne me dispense pas néanmoins de toujours amender ma vision au contact des autres. Je n’avais pas de raison de partir. Au contraire.
En partant à Lourdes j’avais peur de faire resurgir ce dilemme.