Au risque de ma foi (3)
Retour de Lourdes
Épisode 3
Bernadette
Francis Deniau, jusqu’à récemment évêque de Nevers, a écrit une vie de Bernadette qui a changé ma perception de la sainte et même du « phénomène Lourdes » 1.
Voici une Bernadette sincère, qui, forte de « son » expérience, ne s’en laisse pas conter et nous donne de justes leçons pour construire notre relation à Dieu.
À Lourdes, si Marie est partout, Bernadette n’apparaît que dans un parcours historique, je dirais presque touristique ; si sa présence est parfois évoquée dans les prières collectives et les célébrations, c’est bien de Marie qu’il s’agit à Lourdes et c’est elle qu’on vient rencontrer. Bernadette quitte très vite la scène et si ce n’étaient quelques réminiscences dans les boutiques, sur des médailles ou dans quelques statues qui se veulent réalistes, on oublierait la petite bergère pour ne plus penser qu’à Marie, et au cœur à cœur que certains viennent chercher auprès d’Elle.
Bernadette, c’est d’abord la simplicité et la modestie. Elle est consciente de son ignorance et de sa pauvreté. Elle a compris que Marie l’a choisie précisément parce qu’elle était la plus ordinaire de tous et qu’ainsi il s’adresse à tous. Elle ne revendique jamais aucun privilège. Elle parle et vit « la religion » de son temps. Cette Bernadette-là, elle me plaît.
Bernadette, c’est la liberté et la résistance. D’abord, elle n’a pas cru tout de suite. Elle veut savoir et demande des explications. Et jamais de compromission : on ne lui fera pas dire autre chose que ce dont elle veut témoigner ; elle ne succombera pas à quelque tentation d’orgueil que ce soit, en refusant toutes les manifestations ostentatoires. Jamais elle n’a été dupe des petits stratagèmes des uns et des autres pour obtenir des signes de « la sainte » 2. Pour rester libre, elle choisira de quitter Lourdes et de s’installer loin, dans une communauté dévouée aux autres. Et elle refusera toujours de participer aux événements de Lourdes commémorant les apparitions ou installant le culte de Marie autour de sa grotte.
L’obéissance, pour elle, c’est une obéissance passée au filtre du discernement.
Surtout à la fin, elle craignait : « et si je m’étais trompée ? ». Comme ultime étape de sa vie théophanique, le doute la prend.
On peut dire qu’elle a gardé la tête froide tout au long de sa vie, demandant même instamment que son corps ne soit pas rapporté à Lourdes par crainte de dévotions intempestives.
Elle avait une excellente analyse de la situation… experte en marketing des situations, dirait-on aujourd’hui ! Cette Bernadette-là, elle me plaît.
Bernadette n’est pas une mariolâtre. Marie lui a parlé ; elle aime Marie mais elle ne confond pas Jésus et Marie… Même si elle demande à Marie de lui « apporter » Jésus, elle ne confond pas la prière à Marie et avec Marie et l’état de grâce qu’elle trouve lorsque par la prière, elle se met en présence de Jésus. Ce qui compte pour elle, c’est l’Évangile et l’Eucharistie. Cette Bernadette-là, décidément si proche du crucifié, elle me plaît.
Alors, Ma Bernadette, elle m’intéresse comme une sœur. Certes une sœur qui a « réussi ». Il est vrai qu’elle a une « sacrée bonne situation », car elle a été mise en avant de façon peu commune, par Marie elle-même.. Sans doute a-t-elle eu cette chance de se dire, même en s’interrogeant parfois, qu’elle était sur la voie de Dieu 3. Mais elle devait bien penser que ce n’était pas une gloire, mais bien une obligation d’être à la hauteur de sa chance.
Une sœur qui montre par sa vie ce qu’est la confiance et l’espérance : comment lâcher prise aux raisonnements savants ! Comment faire simplement déborder autour de soi l’Amour que Dieu donne. Une sœur qui désangoisse sur cette fameuse Pénitence ! que la Dame nous enjoint de faire : vivre, pauvre en esprit, ce qui nous est donné de vivre, sans le refuser, avec toutes les souffrances et les incomplétudes des désirs souvent inassouvis 4.
Mais, même à Lourdes, je ne l’implorerai pas comme un intercesseur. Orgueil de qui peut tout toute seule ? Respect de qui ne veut pas confondre Dieu et ses saints ? À vrai dire, comme le père du fils prodigue, Dieu n’a pas à être imploré, ni besoin d’intercesseur. Dieu, son fils Jésus, et l’esprit qui les meut, c’est eux que je suis venue rencontrer à Lourdes. Et elle m’accompagne sur mon chemin.
(à suivre)
Danielle Nizieux
1 – Bernadette et nous, entre Lourdes et Nevers Lethielleux/DDB 2008
2 – Ainsi l’évêque qui laisse tomber sa calotte pour que B. la lui rende et qu’il puisse en faire un objet « sacré » ! Sur l’insistance de sa supérieure qui en rit, elle obtempère non sans l’avoir préalablement éconduit ! FD p. 215
3 – À cette époque, il n’y avait pas d’athéisme dans les milieux très populaires, notamment ruraux. Elle n’eut donc pas à se dire : « c’est donc qu’Il existe », question que nous-mêmes sommes en droit de poser, en ces temps où l’existence de Dieu n’est plus une évidence. On lisait encore peu les textes saints et beaucoup n’avaient de connaissances que par les sermons du curé, lui-même suivant en matière de doctrine les instructions de Rome.
4 – F. D., p 223-224