Au risque de ma foi (2)
Retour de Lourdes
Épisode 2
Les malades à Lourdes ou l’image de la Croix
« Venez à la source, boire et vous y laver. »
Ainsi parla Marie à Bernadette lors de la neuvième apparition.
Depuis ce moment, des milliers de pèlerins malades viennent à Lourdes.
Pour y chercher la guérison.
Sans doute, quelques miracles peuvent faire espérer qu’ils se relèvent, délivrés de leurs tourments physiques. Chacun y pense au fond de soi, en allant boire de l’eau ou se tremper dans la piscine.
Mais les pèlerins sont prévenus.
Dans le dépliant distribué à la piscine, on lit : Avec foi, humilité, charité, dans le calme et la confiance, sans donner à cette eau un autre pouvoir. Sa signification est tellement plus belle : Dieu donne sa grâce librement, par Amour. Ne croyons pas qu’un grand nombre de gestes religieux donne des droits sur Dieu. Il nous offre gratuitement la paix du cœur, et s’il le juge bon pour nous le soulagement de nos souffrances.
N’attendons rien, nous dit-on. D’ailleurs, le cadeau de Dieu, c’est le pardon des péchés, la réparation physique n’est qu’un plus d’apparence… Car la souffrance des malades, ce n’est pas un gage que Dieu demande, un sacrifice à offrir pour acheter une réconciliation. Jésus-Dieu, par sa Croix, a montré son amour infini en prenant jusqu’au bout la figure de l’Homme. La souffrance est un chemin d’homme, ce n’est pas une punition de Dieu.
« Pénitence, pénitence », dit la Dame à Bernadette. Chacun certes est souvent en état de rompre l’alliance avec Dieu, de s’éloigner de Lui. Mais ce péché ne doit pas être un alibi, ni pour soumettre ni pour se soumettre. Le péché, reconnu et confessé, doit être une rampe de lancement pour un nouveau départ. Le meilleur pécheur, si je puis dire, n’est pas celui qui s’épuise à se battre la coulpe, c’est celui qui se relève et réinscrit sa vie dans un nouveau schéma, ancré sur l’amour et la miséricorde. Il y a en chaque baptisé des signes de sainteté ; prenons appui sur eux, quand nous faiblissons, pour reprendre élan.
Les malades sont là en tous cas : qu’ils soient dans leur petite voiture, tirée par un hospitalier, ou malade mental perdu dans la foule, ils sont là, pour les offices, les processions, les conférences, le chemin de Croix, l’adoration. Ils ne perdent pas une occasion de s’inscrire dans le chemin du pèlerin. Même si la guérison n’est pas affaire de nombre de gestes et si Dieu n’est pas un comptable.
Ils sont les aveugles, les infirmes, les estropiés pour lesquels Jésus est venu 1.
Nous les bien portants nous sommes là aussi. C’est que la souffrance est aussi dans les âmes. Et ce sont les faiblesses de l’âme que nous venons guérir. Mais nous avons besoin que les malades nous montrent le chemin de la confiance.
Malheureusement 2, hormis les célébrations communes, où nous avons un contact lointain et formel avec les malades, ceux-ci, par ailleurs pris en compte par les hospitaliers, forment en quelque sorte, un pèlerinage dans le pèlerinage. Sans doute cet éloignement est-il dommageable pour ressentir pleinement dans ce lieu où des malades viennent pour guérir corps ou âme, ce que j’appelle les « relevailles de la souffrance » ; l’espérance renaît, d’un mieux être et peut-être d’une guérison, d’un nouveau baptême : « va, tes péchés sont pardonnés ». Ceux qui souffrent dans leur chair montrent dans ces « relevailles » le chemin à tous les autres, porteurs de souffrances invisibles mais pour autant bien réelles. Des rencontres au plus près des malades auraient sans doute apporté un grand bénéfice.
Venez boire à la source
La source de la grotte, c’est l’eau jaillissante. Signe de vie, eau du baptême, qui fait entrer dans la communion des saints, eau qui pardonne et manifeste la miséricorde de Dieu.
On boit l’eau de la grotte avec recueillement, mais presque naturellement. Comme on boit une eau qui désaltère, après une profonde soif.
Venez à la source vous y laver
La piscine est le moment fort du pèlerinage ; le lieu de ceux qui veulent vivre Lourdes « jusqu’au bout ». D’ailleurs les pèlerins s’interpellent sur ce thème : irez-vous ? Êtes-vous allé à la piscine ? Car c’est là qu’on attend Le signe ; le signe de l’eau vive, celui qui accomplit Le miracle, même si celui-ci n’est pas toujours visible à l’œil… Même, nous sommes au-delà du signe de l’eau vive. Nous ne sommes plus dans le signe-symbole, mais dans la croyance du signe-acteur au nom de Dieu. L’eau dotée d’un pouvoir. L’eau magique ? Idolâtrie ?
Malgré les réticences qui m’assaillent depuis que j’ai décidé ce pèlerinage, je sais que je m’y présenterai.
Pourquoi ? Pour faire comme il se doit ? Mais personne ne me force. Peur de montrer trop d’orgueil ? Celui de l’insoumise, de l’intellectuelle récalcitrante ?
J’ai une volonté d’abandon que je n’arrive pas à concrétiser. Alors, la piscine ?
Aller à la piscine, c’est pour moi l’aboutissement du don de soi, car c’est ce qui est le plus difficile: l’eau est très froide – 12° – et la plongée est douloureuse. L’affluence est grande et l’attente est longue 3. Attente pendant laquelle la prière de chacun est accompagnée de lectures et de chants. Et pendant laquelle l’émotion monte, et la rencontre avec Dieu s’effectue, déjà.
Mais au moment du déshabillage, un peu complexe au nom sans doute d’une pudeur dépassée, tout est chamboulé. Au moment d’entrer dans la piscine, et en sortant, on est rappelé à ses dévotions : « pensez à vos demandes à la Vierge », puis « remerciez la Vierge ». Comme je ne pense pas à Marie en termes de demandes et que la notion même d’intercession me gêne, je transformai ces invocations par « mon Dieu, aide-moi » puis « merci mon Dieu » qui ont un peu surpris… et ont été sans doute compris comme un signe d’insoumission (?).
Le bain dans l’eau glaciale est pour moi une épreuve physique : face à la douleur, toutes mes « belles dispositions » d’âme s’envolent. Je me retrouve doublement nue, et finalement inexistante devant Dieu. C’est peut être la vraie leçon de cette baignade : on ne vient pas rencontrer Dieu, comme on fait une visite de courtoisie ; c’est bien lui qui nous accueille, dépouillé de notre savoir, de notre volonté même de rencontre. Il n’y a plus que moi et ma souffrance, dont Dieu s’empare, non comme un sacrifice mais pour m’en délivrer. On se sent dépouillé de tout et de soi-même. Au point que l’idée peut effleurer de savoir à quoi sert l’effort de toute une vie pour annoncer le Royaume. Il suffit d’être. Dieu se charge du reste. Ce questionnement ne tient guère, mais il induit une grande humilité. Et un grand apaisement.
Ce point culminant de la piscine, peut-être devrait-on le faire revivre à chacun, en offrant le sacrement des malades non seulement aux malades du corps mais aux malades de l’âme, c'est-à-dire à tous les présents ; Lourdes est le lieu où remontent les égratignures du passé, celles qu’on nous a infligées ou celles qu’on a nous-mêmes données.
Cette distribution du sacrement est un des moments les plus forts, pour toute la communauté assemblée ; c’est aussi la dernière célébration du pèlerinage. Je ne sais pas si les malades sont sollicités ou encouragés à parler ensemble de la maladie, de la mort, de leurs angoisses, de leurs aspirations… Je regrette beaucoup que cela ne soit pas proposé aussi aux biens portants, car ils ont les mêmes angoisses et les mêmes questions ; pour tenter de trouver à Lourdes, en pèlerin, des occasions de trouver la voie du lâcher prise et de la paix ; c’est alors que chacun pourra vivre en paix dés aujourd’hui, sa résurrection 4.
(à suivre)
Danielle Nizieux-Mauger
1 – Quand Jésus vient pour la deuxième fois à Jérusalem (Jean 5,3), il va à la piscine de Bethesda rencontrer les malades, car là est son Église, et non au Temple, avec ses religieux, ses cérémonies et ses sacrifices.
2 – Pour des raisons sans doute techniques que je peux comprendre
3 – Au moins pour les femmes non malades ; les malades, les hommes et les femmes avec enfants sont moins nombreux et attendent moins longtemps
4 – Mgr Brouwet, évêque auxiliaire, montre dans son homélie à l’occasion de l’administration du sacrement des malades, comment le pardon demandé, donné et reçu est re-créateur et en ce sens est œuvre de résurrection. Acte d’amour et d’espérance, de confiance aussi, il réconcilie avec soi-même d’abord et avec l’autre aussi s’il le veut bien ; il est libérateur.
(homélie intégrale sur le site du diocèse : http://catholique-nanterre.cef.fr/-L-eveque-et-ses-collaborateurs)