Apprendre à penser, à agir et à devenir citoyen

Publié le par G&S

Au lendemain d’élections régionales caractérisées par un taux record d’abstention et la déroute des partis composant la majorité actuelle, nous avons eu droit, sur les différents plateaux de télévision, aux habituelles passes d’armes postélectorales. Chacun tentait d’expliquer qu’il avait gagné ou que, s’il avait perdu, c’est parce que l’adversaire avait gagné pour de mauvaises raisons !

Une fois de plus, ces élections manifestent la crise profonde de la politique dans nos sociétés. Comme l’analyse Daniel Cohn-Bendit dans son « appel du 22 mars », publié par le Journal Libération. « Cette élection le prouve encore : depuis des décennies, le fossé n’a cessé de se creuser entre la société et le politique. (…) Les partis politiques d’hier étaient de véritables lieux de socialisation et d’apprentissage de la cité. Mais aujourd’hui ils se réduisent le plus souvent à des structures isolées de la société, stérilisées par de strictes logiques de conquête du Gauchet-religion-democratie.jpgpouvoir, incapables de penser et d’accompagner le changement social, encore moins d’y contribuer. (…). Comme des écuries de Formule 1, ces belles mécaniques politiques peuvent être très sophistiquées et faire de belles courses entre elles, mais elles tournent en rond toujours sur le même circuit, avec de moins en moins de spectateurs » 1. Il y a déjà quelques années, Marcel Gauchet notait que la notion même de « projet politique » était en cause. « Quant au projet, écrivait-il, il ne fait plus guère figure que d’accessoire démagogique pour campagnes électorales ; encore consiste-t-il, le plus souvent, en un catalogue de promesses, dictées les unes par les clientèles, les autres par les sondages, et dont la compatibilité entre elles ne paraît la préoccupation dominante de personne » 2.

Dans cette situation, s’en tenir à la dérision ou au désenchantement ne peut être qu’un luxe réservé à ceux pour qui la crise est un spectacle et non une source de difficultés dans la vie Debray - le moment fraternitéquotidienne. Il faut se libérer du matraquage médiatique réduisant le citoyen au rôle de spectateur de débats dont les textes sont de plus en plus usés. Pour échapper à la fois au découragement et à la comédie politicienne, l’engagement politique requiert une invention permanente.

Nous avons à expérimenter d’autres modes de pensée, de citoyenneté et de solidarités. Dans le passé, des mouvements militants (syndicats, associations, mouvements de jeunesse et d’éducation populaire) ont été le terreau de nouvelles générations politiques. Ils étaient à la fois porteurs de sens et formateurs à des pratiques sociétales. Il devient urgent de créer à nouveau des lieux et des temps pour apprendre à penser, à agir et à devenir citoyen responsable de ses actes, et par là, capable de résistance. C’est par ce travail quotidien de conscientisation et de fraternité citoyenne que l’on pourra échapper au dilemme qui nous réduirait, selon Régis Debray, « au choix entre les sécessions tribales reniant l’unité de l’espèce humaine et l’abstraction-Humanité couvrant les cruautés de l’argent-maître » 3.

Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 28.03.10

1 - Daniel COHN-BENDIT : Inventons ensemble une Coopérative politique. Journal Libération du 22 mars 2010, page 6.

2 - Marcel GAUCHET : La religion dans la démocratie. Éditions Gallimard, collection Folio-essais 2001, page 171.

3 - Régis DEBRAY : Le moment fraternité. Éditions Gallimard, 2009, page 364.

Publié dans Signes des temps

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