Amérique latine : on risque sa peau pour un peu de terre
En février 2007, Garrigues et sentiers a publié un dossier sur l’Amérique latine.
Le frère dominicain Xavier Plassat, membre de la Commission Pastorale de la Terre (Tocantins, Brésil) nous avait fait l’amitié de nous confier, avec deux documents complémentaires, un article sur la situation des petits paysans du Brésil et le scandale de l’”esclavage moderne”. Celui-ci touche, d’après l’Organisation Internationale du Travail, 12 millions de travailleurs à travers le monde, et le Brésil, qui avait, aux siècles de la colonisation, “profité” largement de la traite, reste un pays où subsistent plusieurs dizaines de milliers d’”esclaves”, y compris des enfants, vivant et travaillant dans des conditions “infra-humaines”. Souvent au premier rang des victimes de cet esclavage, les paysans sans terre sont l’objet de menaces, et parfois victimes d’assassinats, pour briser leur résistance aux occupations de terre par les grands propriétaires. Ceux qui les défendent aussi encourent ces risques.
Cette situation indigne et préoccupante, est dénoncée par la “Commission Pastorale de la Terre”, créée en 1975 en pleine dictature militaire.
Le frère Xavier, qui coordonne la campagne nationale de lutte contre cet esclavage, revient sur le sujet, quatre ans après. On constate que si le pouvoir est lent à appliquer ses propres décisions en faveur de la Réforme agraire, l’épiscopat commence à bouger.
Marcel Bernos
L´Amazonie brésilienne est parcourue en ce moment par une onde de violence dirigée contre des militants paysans engagés dans la défense de la forêt contre l´intrusion d´usurpateurs et spéculateurs de terre : planteurs de soja, éleveurs ou forestiers1.
Symboliquement, le jour-même où les députés brésiliens approuvaient un texte qui revient scandaleusement sur le Code des Forêts pour en flexibiliser les principaux dispositifs de protection et amnistier ceux qui en ont violé les règles, un couple de militants écologistes a été froidement assassiné dans la réserve écologique où ils vivaient depuis 25 ans (à 300 km de chez moi, près de Marabá), préservant et valorisant la forêt 2. Dans les jours suivants, un autre paysan également militant de cette cause était abattu dans l´État de Rondônia, puis encore deux autres paysans, tandis qu´en divers autres endroits, nos équipes de la Commission Pastorale de la Terre (CPT) faisaient état de menaces contre des syndicalistes et des agents de pastorale.
La CPT a remis au Gouvernement une liste de personnes actuellement menacées, dont depuis des années, elle tient le triste registre des 1580 assassinats pour conflit de terre comptabilisés dans les campagnes depuis 1985, dont seulement 94 auteurs ont été jugés. Un seul commanditaire se trouve en prison : celui qui a ourdi l´exécution de la sœur Dorothy Stang en 2005. Comme il arrive en pareil cas, le gouvernement a aussitôt lancé son kit anti-crise, avec envoi sur place de renforts policiers et visite de ministres. Mais les vraies raisons sont plus bas : c´est cette politique persistante du « laissez-faire, laissez-passer » où l´agri-business a tous les droits et où la forêt, la réforme agraire et ceux qui les défendent ont tous les torts. Inutile de multiplier les exemples.
Vous avez probablement entendu parler du projet controversé de construction du Barrage de Belo Monte (rebaptisé Belo Monstre), sur le fleuve Xingu, conduit à toute vapeur et en dépit du bon sens et des lois du pays. J´ai déjà commenté la saga de la PEC 438 (projet d´amendement constitutionnel déterminant la confiscation de la propriété de celui qui y pratique l´esclavage « moderne ») : aujourd´hui même, pour la nième fois, la PEC 438 a été retirée de l´ordre du jour de la Chambre des Députés, par exigence du lobby ruraliste et consentement (résigné ?) de la Présidente Dilma Roussef, qui ne peut ou ne veut perdre l´adhésion de ses douteux alliés.
Dans notre état du Tocantins aussi, ces violences sont présentes. Après l´assassinat en novembre d´un leader paysan, Gabriel Vicente, survenu aux abords d´un campement de sans-terre accompagné par notre équipe CPT (Acampamento Bom Jesus, dans la commune de Palmeirante, à 60 km d´Araguaína où je réside), voici que, dans une autre ferme de la même commune, incorporée depuis 2003 au programme de réforme agraire (assentamento Santo Antônio-Bom Sossego, c.à.d: Saint Antoine-Vie Paisible), des pistoleiros sèment la terreur entre les familles qui attendent encore de pouvoir s´installer sur leur parcelle de terre. Ils sont au service d´un gang spécialisé dans le vol de terres, en vue d´y exploiter ce qui reste de forêt et pour ensuite planter du soja. Avec la complicité de fonctionnaires de l´agence nationale de réforme agraire (INCRA), ils ont pris le contrôle d´une partie de la ferme et menacent ceux qui s´en plaignent. Cinq paysans seraient dans la ligne de mire.
Saisi par la CPT, Amnesty International a proposé à ses adhérents une "Action Urgente" (copie en annexe). Nous avons – une première !!! – obtenu que les cinq évêques du Tocantins signent ensemble une note publique exigeant des autorités qu´elles interviennent pour éviter que le sang ne coule encore. Je cite :
« [...] Soutenus par la promesse du Dieu de Vie, conscients des omissions et complicités qui ont rendu possible cette situation dramatique, nous venons, comme évêques, manifester notre solidarité avec les familles injustement persécutées. Ce sont elles les légitimes destinataires du projet de réforme agraire. Nous appuyons leur détermination dans la défense des ressources naturelles contre l´appétit sans borne des spéculateurs. Nous rendons hommage aux membres de la CPT pour leur évangélique service pastoral auprès des familles, avec les risques que cela implique.
Confiants dans la primauté de la justice et du droit, nous dénonçons l´omission des autorités responsables : que soient promptement élucidées les activités criminelles et punis leurs instigateurs ; que soient immédiatement retirés les usurpateurs de terre présents sur place ; que soit tout de suite mise en œuvre la régularisation de l´assentamento Santo Antônio et que les familles puissent enfin y mener une « vie paisible ».
Nous prions le Dieu de la Vie, Dieu de Jésus-Christ et Père des pauvres, pour que la terre que de Lui nous avons reçue puisse réellement devenir une terre de frères et de sœurs. »
Avec vous j´ajoute : « Ainsi soit-il, avec notre concours à tous ! »
Frère Xavier Plassat
Commission Pastorale de la Terre (Tocantins, Brésil).
1 – Écouter sur ce sujet : http://www.franceculture.com/emission-culturesmonde-tout-l-or-vert-du-monde-44-l-amazonie-aujourd-hui-2011-06-16.html
2 – Cf. http://www.guardian.co.uk/world/2011/may/24/amazon-rainforest-activist-killed, http://www.u.tv/News/Amazon-rainforest-activist-shot-dead/4d63a1c7-4bba-4c36-aa21-e1fe68a42051