Adam, Judas… deux frères ?
Genèse 2,8 : « YHWH Dieu planta un jardin en Éden, à l’Orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé »… 2,15 : « YHWH prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder ».
« Le garder » ! L’homme devient prisonnier d’un bonheur imposé : le jardin d’Éden.
Et l’homme va répondre à Dieu que même une forme de bonheur ne doit pas lui être imposée car sa liberté va jusque là. Et le premier interdit qui se trouve dans le jardin, l’arbre de la connaissance du bien et du mal qu’il ne faut pas manger, Adam va le transgresser. C’est l’inévitable. Si l’on crée un être libre, tôt ou tard celui-ci va aller jusqu’au bout de sa liberté.
C’est aussi ce que Jésus dira à Judas (Jean 13,27) : « Ce que tu fais, fais-le vite » c’est-à-dire : Va jusqu’au bout de ton projet, va jusqu’au plein accomplissement de ce que tu crois, même si cela me condamne. Ainsi Jésus le responsabilise.
Adam rejette ce bonheur imposé du jardin d’Éden comme Judas rejettera la joie d’agir avec ses frères dans leur fidélité à Jésus. Il refuse cet enfermement dans ce bonheur imposé par l’amour et lui préfère l’ombre de la trahison, comme Adam a préféré l’ombre de la séparation d’avec le jardin d’Éden. L’acte de Judas présente une certaine similitude avec celui d’Adam.
On a prêté à Dieu des paroles de malédiction envers le serpent et de châtiment envers l’homme Adam (Genèse 3,17.19) : « … maudit soit le sol à cause de toi […] car tu es glaise et tu retourneras à la glaise ». Comment n’aurait-on pas pu prêter des paroles de malédiction de la part de Jésus envers celui qui le livre ? Matthieu 26,24a : « Malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré » même si ce verset contredit le « Ce que tu fais, fais-le ».
L’existence d’Adam dans le jardin d’Éden devient contestable. Le sol qui va le porter et lui donner des moyens de subsistance est maudit. Il est condamné à la mort biologique : « Tu retourneras à la glaise ». L’existence de Judas est de même contestée (Matthieu 26,24b) : « Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ».
De plus, Adam se cache de YHWH après sa transgression. La confiance de Dieu est trahie et Dieu le bannit. Adam part vers son destin : la terre.
Judas, après avoir jeté dans le sanctuaire les pièces d’argent de sa trahison, se retire. C’est comme s’il se cachait lui aussi. Il a trahi la confiance de Jésus en lui. Il a livré le sang innocent. Il accepte sa condamnation qu’il s’inflige lui-même. Matthieu dit qu’il alla se pendre.
Pourtant Dieu n’abandonnera jamais Adam (l’homme). Peut-on penser que Jésus puisse abandonner Judas ? Lui dire en quelque sorte : « Fais comme Adam, utilise ta liberté puisqu’elle t’a été donnée, utilise-la même si elle se retourne contre moi et contre Dieu lui-même », est-ce pour condamner définitivement Judas ?
Il est curieux de constater que l’évolution de l’homme conduisant à la venue du Fils de Dieu, à sa mort et à sa Résurrection, surgit d’une transgression.
Satan (le mal, le serpent) accomplirait-il à son insu l’œuvre de Dieu ?
Cette liberté qui sépare, qui divise, qui est l’ultime chaînon qui relie au mal et à la mort, est-elle la coupure définitive d’avec la vie, d’avec la vraie vie ?
Tout s’est mal terminé pour Judas comme pour Adam. Mais tous deux revendiquent ce titre d’homme qui les sépare du bon et du bien mais qui les rend libres, libres de se perdre même dans la souffrance et dans la mort, libres du choix du néant.
Et paradoxalement c’est cette même liberté qui les sauve car elle leur conserve ce germe de vraie vie qui fait d’eux des êtres responsables sous le regard éternel de Dieu.
Christiane Guès