Achille et la tortue
de Takeshi Kitano (Japon)
Takeshi Kitano, sans doute le plus grand cinéaste japonais vivant, s’est exercé dans des domaines très variés : films policiers (« Sonatine », 1993), comédies burlesques, mais il a surtout signé quelques chefs-d’œuvre, où se conjuguent qualité esthétique, émotion et humour pour évoquer avec une attention aiguë la destinée humaine : « A scene at the see » (1992), bouleversant, « Hana-bi » (1997) considéré comme son meilleur film, « L’été de Kikujiro » (1999) ou « Dolls » (2003).
Dans ce nouveau film, Kitano se souvient qu’il est aussi peintre : une exposition de ses tableaux, « Gosse de peintre », est d’ailleurs en ce moment présentée à Paris.
Il évoque la vie d’un peintre, d’abord enfant prodige, puis se heurtant de plus en plus aux difficultés que rencontre un artiste : le titre évoque le paradoxe de Zénon, l’incapacité d’Achille à rattraper la tortue, ici l’impossibilité pour l’artiste sincère d’être reconnu, dans un monde dominé par l’argent et la vaine gloire.
Mais il le fait d’une manière très déroutante, en jouant constamment de l’humour et de la dérision. On a parfois comparé Kitano à Buster Keaton et à son humour décalé, on a vu en lui « un véritable Coluche japonais ». C’est parfois très émouvant, parfois très violent, parfois absurde.
Si l’on accepte d’entrer dans ce genre d’œuvre, on appréciera le talent de l’auteur, son regard critique sur le milieu entourant la création artistique, un regard mélancolique, parfois désespéré, l’art pouvant conduire jusqu’à la mise en cause de sa vie, jusqu’à la folie.
Mais non : finalement, dans un dernier clin d’œil, le peintre, joué par Takeshi Kitano lui-même, jette la canette de Coca susceptible de devenir un ready-made 1, et retrouve le bonheur : Achille a rattrapé la tortue.
Jacques Lefur
1 – Ready-made : dans les arts plastiques, objet pris au hasard et présenté comme œuvre d'art (NDLR).