Comment dit-on œcuménisme en latin ?
La signification des gestes dans l'Eglise est une question de longue portée et qui méritera d'autres développements. Prenons, pour
aujourd'hui, un simple point d'application en fonction de l'actualité et de ce qui paraîtrait possible.
Pour qui l'Œcuménisme est-il une priorité ?
La marche à l'Unité est difficile : il faudrait être bien naïf ou inconscient pour croire qu'il suffirait de bonne volonté, même
réciproque, pour y parvenir. Quoiqu'un peu de celle-ci ne ferait pas de mal. Mais il peut y avoir des gestes signifiants – ils le sont toujours, positivement ou négativement – sur ce
chemin.
Un exemple de chose possible à « forte valeur ajoutée pour un faible coût », donc « rentable ».
Catholiques et Réformés ont le même Credo. Mettrait-on gravement en péril l'orthodoxie romaine si, au lieu de dire : « je crois à la sainte Église catholique »,
on proclamait : « je crois à l'Église universelle » ? On me dira que « catholique », ça veut dire « universel » ; certes,
mais on ne peut nier que le mot est plus que légèrement connoté « romain ».
Un tel geste manifesterait une réelle délicatesse à l'égard des Réformés, ces « frères séparés », comme on disait naguère,
en risquant d’oublier que cette expression permettait aux Catholiques de ne pas se poser de questions indiscrètes sur leur responsabilité historique dans la « Séparation ». Ce geste
simple : un mot remplacé par un synonyme exact, marquerait un désir sincère de progresser en commun, et sans diminuer la richesse de notre patrimoine liturgique.
Il est vrai que la « restauration » de la messe en latin, même si – heureusement – elle n'est pas encore rendue obligatoire
et seule valide, dénote un état d'esprit plus tourné vers le passé que vers l'avenir d'un monde où la culture latine n'est plus dominante. Les partisans de la messe en latin oublient toujours
que, en Occident, l’abandon du grec (N.B. : les évangiles ont été écrits en grec et la première évangélisation s’est faite en cette langue) au profit du latin correspond à un passage à la
langue « vulgaire », celle qui était comprise par les populations. Ce passage a été progressif, il a commencé dès le IIe siècle, est devenu assez général au milieu du
IIIe, et, favorisé par l’intégration du christianisme dans l’Empire romain et la rupture de fait des deux parties, orientale et occidentale, de cet Empire, il a été consacré au
IVe.
La messe en latin comme signe d’ouverture ?
À ce propos, puisqu’on parle de la signification des gestes : est-il sans conséquence que le prêtre célèbre face au peuple,
symbolisant par ce cercle l’unité de la communauté, ou qu’il lui « tourne le dos » en parlant une langue, « sacralisée » plus que sacrée, incompréhensible par la majorité des
assistants et, compte tenu d’accents très typés, incompréhensibles aussi en pays étranger, ce qui met à mal sa réputation de « langue universelle » ?
Si l'argument du souci de « réconciliation » avec les catholiques traditionalistes est sincère, déterminant et seul en cause, le pontife devra se préoccuper bientôt de tous les chrétiens marginalisés par d'autres exigences de l'Église de Rome : les "progressistes" (scandalisés par les comportements de certains prélats compromis avec des régimes dictatoriaux, ou l'aveuglement de certaines prises de position sur des problèmes de santé collective, par exemple), et aussi les prêtres-ouvriers écœurés par la condamnation brutale de leur périlleuse expérience de contact avec le monde du travail très marqué, il est vrai, par le marxisme 1, ou encore les prêtres mariés – « réduits » à l'état laïc 2 ou non –, les divorcés remariés, voire les femmes ordonnées malgré les mises en garde de Rome, etc. N'ont-ils pas eux aussi des « âmes à sauver » ? Et l'Église peut-elle d'un cœur léger les laisser hors de la communauté des croyants sans rien faire pour prendre en charge leurs « sensibilités » ? Et les concessions faites, souvent sans contrepartie, aux « traditionalistes », triomphants parfois jusqu'à l'arrogance, ne pourraient-elles être offertes aussi aux réformés ?
Mais ne battons pas seuls notre coulpe : il est vrai aussi qu'en matière de morale – qui compte tant pour l’Église romaine – les
Églises protestantes ne tiennent pas très grand compte de la sensibilité catholique, crispée sans doute, mais qui constitue un donné qu’il faudrait bien tenir en considération si l'on veut
laisser au christianisme une certaine cohérence et ne pas aggraver les scissions. Mais ce n'est pas à un catholique, même « pas très romain », de faire la leçon aux frères : qu'ils
fassent leur autocritique eux-mêmes…
Alors ?
Et si les Églises reprenaient un des souhaits sympathiques (tous ne l'étaient pas) de mai 68 : mettre l'imagination au
pouvoir ?
1. Rappel : 1er mars 1954 : interdiction aux prêtres-ouvriers de travailler ; 1959 : aucun prêtre ne peut avoir un travail salarié. Si l’Église s’était plus concrètement préoccupée du monde ouvrier depuis la « Révolution industrielle », le recours au marxisme comme outil de contestation du « désordre établi » aurait été inutile.
Certes, depuis l’encyclique Rerum novarum (1891) et surtout Quadragesimo anno (1931), elle a dénoncé les méfaits du
libéralisme sauvage autant que le socialisme, mais n’a pas mis tout à fait la même ardeur dans les condamnations et les excommunications. Et les journalistes en ont moins parlé.
2. L’expression rappelle que le laïcat reste, dans les mentalités cléricales, un
état amoindri du chrétien. Elle a un petit côté « jivaro ».