Des diverses formes de gouvernement
Et certes,
c’est une vaine occupation aux hommes privés, qui n’ont nulle autorité d’ordonner les choses publiques, de disputer quel est le meilleur état de police (gouvernement). En outre, c’est une
témérité d’en déterminer simplement, vu que le principal gît dans les circonstances. Et encore, quand même on comparerait les polices ensemble sans leurs circonstances, il ne serait pas facile de
discerner laquelle serait la plus utile, tellement elles sont quasi égales chacune en son prix.
On compte trois espèces du régime civil : à savoir la monarchie, qui est la domination d’un seul, qu’on le nomme roi, ou duc, ou autrement ;
l’aristocratie, qui est une domination gouvernée par les principaux et gens d’apparence ; et la démocratie, qui est une domination populaire, en laquelle chacun du peuple a
puissance.
Il est bien vrai qu’un roi ou autre à qui appartient la domination, aisément décline (se laisse entraîner) à être tyran. Mais cela est aussi facile, quand les
gens d’apparence ont la supériorité, qu’ils conspirent à élever une domination inique ; et c’est encore beaucoup plus facile, là où le populaire a l’autorité, qu’il émeuve sédition. Il est
vrai que si on fait comparaison des trois espèces de gouvernements que j’ai récitées, que la prééminence de ceux qui gouverneront en tenant le peuple en liberté, sera plus à priser, non point de
soi, mais parce qu’il n’advient pas souvent et est quasi miracle que les rois se modèrent (se conduisent) si bien que leur volonté ne se fourvoie (s’écarte) jamais d’équité et droiture. D’autre
part, c’est chose fort rare qu’ils soient munis de telle prudence (sagesse) et vivacité d’esprit, que chacun voie ce qui est bon et utile. C’est pourquoi le vice, ou le défaut des hommes, est
cause que l’espèce de supériorité la plus passable et la plus sûre, est que plusieurs gouvernent, s’aidant les uns aux autres, et s’avertissant de leur office ; et si quelqu’un s’élève trop
haut, que les autres lui soient comme censeurs et maîtres 1.
Car cela a toujours été approuvé par l’expérience, et Dieu aussi l’a confirmé par son autorité, quand il a ordonné qu’elle eût lieu dans le peuple d’Israël, au
temps qu’il l’a voulu tenir en la meilleure condition qu’il était possible, jusqu’à ce qu’il produisit l’image de notre Seigneur Jésus en David. Et de fait, comme le meilleur état de gouvernement
est celui-là où il y a une liberté bien tempérée (réglée) et pour durer longuement : aussi je confesse que ceux qui peuvent être en telle condition sont bienheureux, et je dis qu’ils ne font
que leur devoir, s’ils s’emploient constamment à s’y maintenir. Même les gouverneurs d’un peuple libre doivent appliquer toute leur étude à cela, que la franchise (liberté) du peuple, de laquelle
ils sont protecteurs, ne s’amoindrisse aucunement en leurs mains. S’ils sont nonchalants à la conserver, ou souffrent qu’elle s’en aille en décadence, ils sont traîtres et déloyaux. Mais ceux
qui, par la volonté de Dieu, vivent sous des princes, et sont leurs sujets naturels, transfèrent cela à eux, pour être tentés de faire quelque révolte ou changement, ce sera non seulement une
folle et inutile spéculation (pensée), mais aussi méchante et pernicieuse.
En outre, si nous ne fichons pas seulement nos yeux sur une ville, mais que nous regardions et considérions dans son ensemble le monde entier, ou bien que nous
jetions la vue sur divers pays, certainement nous trouverons que cela ne s’est point fait sans la providence de Dieu que diverses régions fussent gouvernées par diverses manières de police
(gouvernement). Car comme les éléments (atmosphériques) ne se peuvent entretenir sinon par une proportion et température inégale, aussi les polices ne se peuvent pas bien entretenir sinon par
certaine inégalité. Mais il n’est pas nécessaire de démontrer toutes ces choses à ceux auxquels la volonté de Dieu est suffisante pour toute raison. Car si c’est son plaisir de constituer des
rois sur les royaumes, et sur les peuples libres d’autres supérieurs quelconques, c’est à nous de nous rendre sujets et obéissants aux supérieurs quels qu’ils soient qui domineront au lieu où
nous vivrons.
Jean Calvin,
Institution de la religion chrétienne, livre IV, 8.b,
1 - Soit une sorte d’oligarchie, davantage qu’une démocratie au sens actuel du terme, sur le modèle du « régime des conseils » cher à Calvin.