Marie, Arche de Noël

Publié le par Garrigues et Sentiers


Ce 21 décembre, la liturgie de l’Église catholique nous invite à assister à la rencontre de Marie avec sa parente Élisabeth, vieille femme stérile devenue enceinte du futur Jean le Baptiste ; c’est ce qu’on appelle la Visitation (Luc 1,39-45) :

39 En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda. 40 Elle entra chez Zacharie et salua Élisabeth. 41 Et il advint, dès qu'Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie d'Esprit Saint. 42 Alors elle poussa un grand cri et dit : « Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! 43 Et comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? 44 Car, vois-tu, dès l'instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein. 45 Oui, bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! »
 
Il est inutile de se poser la question de l’historicité de ce texte aussi connu que curieux,
 
Les trois autres évangélistes ne mentionnant jamais un lien quelconque de parenté entre Jésus et Jean.
 
pour s’en tenir, comme d’habitude, à son aspect catéchétique.
 
On évoquera pour cela du tressaillement du fœtus de Jean-Baptiste dans le ventre d’Élisabeth, et, après d’autres (bien plus célèbres que moi !), le parallèle de ce récit avec celui du 2e livre de Samuel (6,2-5.9.15) :
 
2 S'étant mis en route, David et tout le peuple qui était avec lui partirent de Baala de Juda afin de faire monter de là l'arche de Dieu sur laquelle est invoqué un nom, le nom du Seigneur Sabaot, siégeant sur les chérubins. 3 On chargea l'arche de Dieu sur le chariot neuf et on l'emporta de la maison d'Abinadab, qui est sur la colline. Uzza et Ahyo, les fils d'Abinadab, conduisaient le chariot. 4 Uzza marchait avec l'arche de Dieu et Ahyo marchait devant. 5 David et toute la maison d'Israël dansaient devant le Seigneur au son de tous les instruments en bois de cyprès, des cithares, des harpes, des tambourins, des sistres et des cymbales (…) 9 Ce jour-là, David eut peur du Seigneur et dit : « Comment l'arche du Seigneur entrerait-elle chez moi ? » 15 David et toute la maison d'Israël faisaient monter l'arche du Seigneur en poussant des acclamations et en sonnant du cor.
 
Pourquoi ce parallèle ?
Tout d’abord parce qu’en grec les deux récits commencent par des expressions très voisines : anastasa dè Mariam (…) époreuthê (…) pour l’un et anestê kaï époreuthê David (…) pour l’autre.
 
Noter que les deux traductions de la Bible de Jérusalem annihilent complètement l’hébraïsme se leva et partit. D’autre part, la Septante (suivie par la Vulgate) traduit l’expression hébraïque mibahaley iehoudah par des hommes forts (des notables) de Juda, le mot Bahal signifiant aussi bien Baal (le dieu) que maître, mari, homme fort.
 
On charge l’Arche de Dieu (on y reviendra !) et alors apparaît une expression qui passe tout à fait inaperçue, mais qui est un des points forts du parallèle avec le texte de Luc : on l'emporta de la maison d'Abinadab.
Abinadab (prononcer avinadab) est un patronyme hébreu qui signifie père de l’empressement, du don généreux.
Mais… dans la Septante ce nom est transcrit en grec par Aminadab (au lieu de Abinadab), qui signifierait alors en hébreu non plus père, mais mère de l’empressement et du don généreux.
Voilà comment Marie, grâce à la Septante et au génie de Luc, peut partir avec empressement, après avoir fait le don généreux de sa personne à Dieu !
 
Si on note que cette confusion entre les lettres mu  et bêta dans les noms grecs permet aussi d’évoquer ’Aminadab père de l’Élisabeth de l’Exode (6,3) : Aaron épousa Élisabeth, fille de ’Aminadab, et que Aaron évoque évidemment aron, qui signifie arche en hébreu, on est conduit naturellement à ce qui suit…
 
Et tout le monde marchait
Et… Uzza marchait avec l'arche de Dieu et Ahyo marchait devant. David et toute la maison d'Israël dansaient devant le Seigneur. Et Élisabeth dit à Marie : l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein !
Un peu plus tard, David s’écrit : Comment l'arche du Seigneur entrerait-elle chez moi ? et Élisabeth lui fait écho : Et comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?
 
Une évidence apparaît alors : pour Luc, Marie portant en son sein le Fils de Dieu porte en elle la présence de Dieu, devenant ainsi une image vivante de l’Arche d’Alliance que le peuple juif avait construite au désert pour garder son Dieu auprès de lui et que David a – enfin ! – transférée à Jérusalem !
 
Cela est bien, direz-vous, et alors ? Alors Luc est ainsi un des tout premiers – sinon LE premier – à affirmer (sans le dire explicitement, mais comprenne qui pourra) que Jésus n’est pas seulement le Fils de Dieu mais Dieu lui-même incarné !
 
Voilà pourquoi Élisabeth poussa un grand cri (anéphôsen kraughê mégalê) faisant ainsi écho à ce que raconte le Livre de Samuel : David et toute la maison d'Israël faisaient monter l'arche du Seigneur en poussant des acclamations et en sonnant du cor (méta kraughês kaï méta phonês) : elle voit entrer chez elle l’Arche de Dieu !
 
Marie Arche d’Alliance est une expression très connue ; mais dans nos églises on ne nous explique pas pourquoi on peut l’appeler ainsi…
Dommage, car on ne peut qu’aimer cette Marie-là, lien entre les deux Testaments, entre le peuple juif et le peuple chrétien, sans se mettre en porte-à-faux entre frères chrétiens.
 
C’est bien cette Marie-là que salue Élisabeth en lui disant : béni (soit) le fruit de tes entrailles, ce fruit dont il est question dans les paroles adressées à David par le prophète Nathan, peu de temps après le récit que nous évoquions, au verset 7,12.14 du même livre de Samuel : celui qui sera issu de tes entrailles, (…) j'affermirai sa royauté (…) Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils.
Il s’agit bien sûr de Salomon, mais pas de Dieu…
 
Ce n’est donc pas un hasard si Luc écrit au verset 11,31 de son évangile : la reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec les hommes de cette génération et elle les condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon !
 
Merci Marie ! Saint et joyeux Noël à vous tous !
  René Guyon
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I
<br /> Au 5e siècle , St Maxime, évêque de Turin écrivait : "Cette arche devant qui le prophète David dansa, ne correspondait-elle<br /> pas à la Vierge Marie ? L'arche contenait les tables de l'alliance. La première gardait la loi, la seconde l'évangile ; celle-là la voix de Dieu, celle-ci son vrai Verbe. L'arche resplendissait<br /> dedans et dehors de l'éclat de l'or;  Marie resplendissait dedans et dehors de la lumière de la virginité. L'or de l'arche était de ce monde. Celui de Marie venait du ciel !<br /> » <br />
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