Dominique, évêque au Brésil...

Publié le par Garrigues et Sentiers

Diocèse de la Très Sainte Conceição Do Araguaia
 
En commémorant ces jours derniers le premier mois de ma présence au siège du Diocèse de la Très Sainte Concieção do Araguaia, me viennent à la mémoire les paroles du Pape Benoît XVI qui m’a demandé d’être un « Maître spirituel sur les chemins de l’Évangile ». Face aux événements qui, ce mois ci, ont entraîné l’expulsion (NDT : des terres qu’ils occupaient) de plus de 600 familles sur le territoire du diocèse, ce qui représente environ 1% de sa population, le Christ me pousse à exprimer publiquement la position de l’Église sur la problématique de la terre et la recherche d’une meilleure répartition de celle-ci.
 
Quand le sens des choses se perd, on en devient l’esclave…
 
Dans la société dans laquelle nous vivons, on peut dire ou faire tout ce qu’on veut. Il s’en suit qu’on ne comprend plus le sens de ce qu’on fait. Le sens, la signification et l’importance des valeurs se perdent alors que ce sont elles qui font que l’existence humaine est différente de celle d’un animal et est supérieure à celle d’un esclave.
Les choses ne sont plus évaluées que par rapport à deux des nouvelles idoles du monde globalisé : la valeur marchande et le plaisir qu’en retirent quelques-uns. Ainsi, des valeurs qui ont une importance fondamentale se transforment en simple marchandise au service de ces faux dieux. La santé par exemple. Il s’agit d’un droit qui a été conquis après beaucoup de luttes. Nous voyons pourtant qu’aujourd’hui elle devient une industrie lucrative. L’embryon devient une marchandise, la personne agée un fardeau.
Quand se perd ainsi le sens des choses, on entre dans un nouvel esclavage, sous la coupe de ces idoles qui imposent leurs priorités arbitraires. Notre peuple, façonné par l’expérience de la foi et de la souffrance, éprouve cela dans sa chair ; privé des valeurs fondamentales sa dignité de personne humaine se trouve mutilée. Pour notre peuple, ces valeurs sont des dons de Dieu à l’homme, même quand elles ont été conquises de haute lutte...
 
La terre n’est pas un bien comme les autres
 
La terre est précisément une de ces valeurs fondamentales. Chacun de nous en éprouve l’importance à sa façon : elle est le terrain sur lequel est construite ma demeure et qui est le garant de ma stabilité, elle est le lopin de terre sur lequel je travaille et qui est le garant de ma liberté, lopin de terre que je transmettrai à mes enfants ... Tous nous percevons combien la terre est plus qu’une marchandise, beaucoup plus qu’un objet de spéculation et de lucre. On ne peut en refuser l’accès à l’homme et à la femme sans porter atteinte à leur dignité humaine. Nous ne pouvons pas laisser la terre se banaliser.
Cette expérience est confirmée avec force par la parole de Dieu. Celle-ci nous révèle que Dieu est un Père infiniment bon qui invite tous ses fils et ses filles à s’asseoir à la table de la vie. Il nous apprend à vivre ensemble en faisant usage de ses dons répartis entre tous, sans convoiter le bien d’autrui. (Genèse 1,23-30 et Deutéronome 5,18). L’Église affirme ainsi fermement deux convictions : Dieu donne la terre à tous et, en même temps, chacun peut recevoir l’usage d’une propriété privée.
Le propre de la sagesse est de savoir rester en harmonie avec ces deux affirmations, en mettant en relief le fait que la propriété privée des biens de la terre est au service de leur utilité sociale et non pas sans lien avec celle-ci. La propriété privée doit être vécue non comme un obstacle au partage des biens, mais comme un moyen pour mettre en oeuvre leur utilité sociale.
La force de la loi qui règle la possession et l’usage des biens, celle du pouvoir judiciaire qui en assure l’application, celle du pouvoir exécutif qui la fait connaître et la protège, toutes sont au service de cet équilibre que la sagesse nous fait découvrir. Chaque membre de la communauté humaine accomplit sa mission quand il se positionne au service de la paix sociale véritable, fondée sur le respect intégral du droit.
De l’équilibre entre ces deux principes, l’Église a depuis toujours déduit les conséquences suivantes qui ont été reprises, en 1997, dans le document du Conseil Pontifical Justice et Paix intitulé « Pour une meilleure répartition de la terre »
 
Dans le § 25
   - Personne n’a le droit de priver de la jouissance de la terre quelqu’un qui en a l’usage, ce serait violer un droit divin. Pas même un roi ne peut le faire.
   - Par ailleurs, toute forme de possession absolue et arbitraire, exclusivement au service d’intérets privés est interdite : on ne peut pas disposer à sa guise des biens que Dieu a donné à tous.
 
Dans le § 27
   - Le processus de concentration de la propriété foncière, qui empêche une grande partie de l’humanité de profiter des fruits de la terre, est un scandale qui heurte la volonté et le dessein de Dieu de sauver le monde.
 
Le § 31 poursuit en faisant l’analyse de la situation actuelle.
   - Il condamne l’expulsion des paysans des terres qu’ils cultivent, sans que leur soit assuré le droit de recevoir ce qui leur est nécessaire pour vivre.
   - Il reconnaît les occupations de terres incultes par des paysans qui n’en sont pas propriétaires, lorsque ceux-ci vivent dans une situation d’extrême indigence. En effet, quiconque se trouve en situation d’extrême pauvreté a le droit de prélever sur la richesse des autres ce dont il a besoin pour lui.
 
Dans le § 44
  - L’occupation de terres est, dans de très nombreux cas, la manifestation d’une situation intolérable et déplorable sur le plan moral. Elle est un signal d’alarme qui exige que soient prises des mesures efficaces et justes au niveau social et politique. Le retard et le report à plus tard de la réforme agraire retirent toute crédibilité aux actions gouvernementales de dénociation et de répression des occupations de terre.
 
Accueillir la liberté qui vient de la vérité
 
Ma conviction est que le problème social brésilien trouvera sa solution par l’évangélisation. L’action évangélisatrice de l’Église avance, à côté de Notre Seigneur Jésus Christ, de différentes manières : celle de la présence auprès des petits et des humbles, tout particulièrement de ceux qui souffrent de l’injustice et avec lesquels Il s’identifie ; celle de la condamnation courageuse accompagnée d’actions prophétiques, susceptibles d’influencer, pour la renouveler, la façon de penser de notre société ; celle de la formation patiente de la conscience chrétienne. C’est cela qui montrera à notre Peuple le chemin pour que la Parole de Dieu et non pas des idoles illusoires et éphémères, nous conduise tous au bonheur véritable.
En effet, Dieu désire pour nous quelque chose de grand : Son Royaume de justice et d’amour est aussi le nôtre. Notre marche de Peuple de Dieu, dans la Bible et dans l’Église, s’enracine dans une multitude d’hommes et de femmes, fils de rois ou de pauvres, qui ont accueilli la Lumière de la vérité et se sont glorifiés d’être appelés chrétiens, rejetant tout ce qui s’y opposait pour s’ouvrir à tout ce qui pouvait l’honorer. Ils vécurent non pas esclaves des idoles de leurs époques, mais en fils et filles de Dieu. Ils ont reçu du Christ, avec lequel ils communiaient chaque jour par l’écoute de la Parole et par l’Eucharistie, la véritable liberté qui vient de la vérité. Les peuples savent leur témoigner la gratitude qu’ils méritent et Dieu les comble pour l’éternité de son Amour. Depuis toujours, l’appui de notre Église et notre communion englobe tous ceux qui s’efforcent de vivre dans ce monde conformément à la sagesse et à la justice que la Parole nous révèle.
Le Chrétien qui s’engage à annoncer et à vivre cette Parole ne sait pas si elle sera acceptée ou rejetée. Il sait cependant que, même rejetée momentanément, elle le fait participer au Mystère de la Croix, elle le fait participer également à la Victoire de son Amour.
Que Dieu nous donne à tous et à toutes cette grâce et que l’Immaculée nous accompagne.
 
Conceição do Araguaia le 25 avril 2006
Dom Dominique YOU
Évêque diocésain
 
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Le 29.04.06, le syndicat rural (des propriétaires terriens) de Xinguara a remis une lettre à l’évêque du Diocèse de Conceição do Araguaia, Dom Dominique YOU, pour se plaindre de l’activité en faveur des sans terre de la Commission Pastorale de la Terre et du Frère Henri des Roziers et pour demander que ce dernier soit déplacé de la région. La lettre contient également des menaces voilées contre la C P T et le Frère Henri au cas où les revendications qu’elle présente ne seraient pas acceptées.
 
Le 07.05.06, Dom Dominique a publié une lettre ouverte pour défendre la C P T et le Frère Henri.
 
Lettre ouverte de Dom Dominique à la paroisse de Xinguara
 
En ce jour de la fête de Saint Joseph Charpentier, nous voulons donner toute sa valeur à la dignité du travail par lequel un homme ou une femme fait don de sa vie à ses fils et ses filles ou encore à la communauté ou à la société.
Aujourd’hui, nous ne pouvons oublier les tristes évènements qui, au cours de ces dernières semaines, ont affecté cruellement la commune de Xinguara en atteignant plusieurs centaines de familles qui sont privées du droit de travailler, dés lors que leur est refusé celui d’accéder à la terre.
Je tiens aujourd’hui à exprimer publiquement la reconnaissance du diocèse de Conceição do Araguaia pour l’activité de la C P T en faveur des plus pauvres.
La C.P.T. est liée à la C.N.B.B. (Conférence Nationale des Évêques du Brésil) pour assurer, sur les pas de Jésus le Bon Pasteur, une présence qui aide les travailleurs ruraux à défendre leur droit à la terre ou à demeurer sur celle-ci. A leur coté, la C P T défend leur droit à faire vivre leurs familles de leur travail, ainsi que le respect qui est dû à leur dignité.
Avec les autres pastorales agissant dans d’autres domaines, la C P T a également la mission de s’efforcer d’impliquer l’ensemble de la communauté et de la société dans cette cause.
A Xinguara, lors de tous les épisodes difficiles, c’est la personne de Frère Henri et celles de ses collaborateurs qui ont été les témoins de la présence de Jésus auprès de ceux qui souffrent de ces conflits de la terre.
Ainsi que l’a fait Jésus, notre frère ne donne pas pour vrai ce qui est faux, ni pour faux ce qui est vrai. Il marche dans la vérité et pour cela même est vainqueur de la mort.
Un chrétien ne peut d’un coté reconnaître, représenté sur un crucifix de bois le Seigneur qu’il aime, puis, quelques instants plus tard, s’étant retourné et sorti de l’église, omettre de le reconnaître en la personne de ceux qui aujourd’hui sont atteints par la même exclusion, la même négation de leur dignité... Ce serait un mensonge et une tromperie de plus.
Le combat que notre frère mène – toujours dans les limites de la légalité – contre l’impunité est un combat contre les racines de la corruption.
En effet, l’impunité démultiplie l’injustice. Elle est la pire des incitations qui puisse exister : l’incitation à persévérer dans le crime.
Son action auprès des « sans défense » de la campagne est un motif de fierté pour les chrétiens, pour ceux qui cherchent la justice et veulent voir le règne de Dieu changer la face de notre monde.
Je sais que le 19 mai prochain, un titre de plus sera attribué à ce combattant de la justice sans laquelle il n’est pas de Paix véritable. Le titre de Citoyen d’Honneur de la ville de Xinguara. Xinguara rejoint ainsi les nombreuses collectivités et instances nationales et internationales qui reconnaissent les mérites de leur contemporain.
Félicitations Xinguara. Félicitations Frère Henri.
 
Xinguara le 7 mai 2006
Dom Dominique YOU
Évêque du diocèse de la Très Sainte Conceição do Araguaia
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